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L'histoire
C'était donc bien Khan, le méchant du film, malgré les tentatives d'Abrams et ses lieutenants d'étouffer la vérité. Même moi qui n'ai jamais vu les séries et films de la timeline originelle, je sais à peu près que Khan est un méchant (celui, éponyme, de The Wrath of Khan, le film de 1982, mais qu'on rencontre dans la série originale, en 1967). Et il faut avouer que dans le genre méchant de service, Benedict "Sherlock" Cumberbatch assure le spectacle à base de grimaces, de regards sournois et de sourires mutins.

Mais il ne suffit pas. On nous avait annoncé un Star Trek noir, glauque, sanglant, à en croire le marketing, et jusqu'au titre ("dans les ténèbres"). Certes, après avoir enfreint la Prime Directive (ne pas modifier le développement des civilisations moins avancées technologiquement) Kirk (Chris Pine) est mis à pied et se fâche avec Spock (Zachary Quinto). Mais tout cela est rapidement réglé dans le quart d'heure qui suit, suite à l'attaque de John "Khan" Harrison qui met tout le monde d'accord.

Il y a bien le départ de Scotty (le drôlissime Simon Pegg) qui laisse un doute, mais bientôt le film prend une tournure comique. Finalement, on n'aura pas nos ténèbres. Ce qu'on retrouve, en revanche, ce sont ces répliques savoureuses et ces personnages construits d'abord pour le divertissement, du docteur McCoy (Karl Urban) en médecin débordé à Chekov (Anton Yelchin), le jeune ingénieur qu'on bizute en le propulsant en salle des machines.

Même si elle est réactivée de manière totalement artificielle, la querelle entre Kirk et Spock nourrit le film en émotion et en potentiel comique, surtout lorsqu'on ajoute le lieutenant Uhura (Zoe Saldana) à l'équation. On regrettera que la petite nouvelle, Alice Eve, ait peu d'interaction vraiment remarquables, mais vu comme le personnage de Carol Marcus est traité par les scénaristes (en atout charme qu'on montrera en sous-vêtements) on se dit qu'on a peut-être évité pire.

To boldly go where everyone has gone before
Il n'échappera à personne que Star Trek into darkness est un film qui s'assume sans aucun complexe comme une oeuvre post-11 septembre. Un ennemi attaque la Fédération, et il semble au service des Autres, les Klingons, avec qui la Fédération ne s'est pas encore alliée et qui sont, pour le moment, sur le point de nous déclarer la guerre. Lorsque Kirk comprend que Khan a été manipulé par l'Amiral Marcus, qui veut faire de la Fédération une force de combat plutôt que d'exploration, la métaphore devient évidente.

Khan est l'ennemi que nous avons nous-même créé, issu de la peur et de la lâcheté de certains hauts-placés - ici, l'amiral déjà mentionné - et qui se retourne contre nous. Ce qui est un peu le scénario qui hantent les américains depuis le 11 septembre 2001, lorsqu'on s'est demandé si la CIA n'avait pas instrumentalisé Al Qaïda pour lutter contre les communistes dans les années 80. Est-ce pour cette raison que Khan a été "whitewashed", c'est-à-dire, interprété en 2013 par un acteur blanc, là où la série originale le faisait apparaître sous les traits de l'acteur mexicain Ricardo Montalbán ?

C'est en tout cas ce qu'explique Orci via un commentaire sur Trekmovie.com, si on en croit les sources : il ne voulait pas pointer du doigt une personne de couleur, notamment des gens originaires du Moyen-Orient, vu le contexte actuel et la thématique du film. Il voulait faire de Khan un ennemi bien de chez nous, bien américain même - mais du coup, l'ennemi est blanc : dans un monde où toutes les couleurs, et même toutes les espèces des systèmes voisins cohabitent, Khan devait-il être blanc pour avoir l'air terrien ? Le débat reste ouvert, mais il est évident que c'est un sacré sac de noeud qui a lancé une controverse - on se rappelait, déjà, de problèmes similaires avec le Dernier maître de l'Air de Shyamalan ou encore Cloud Atlas... Le cinéma hollywoodien se retrouve de plus en plus fréquemment face à son reflet, qu'il renvoie essentiellement blanc, brun, masculin aussi.

Au-delà du casting de Cumberbatch, j'ai été étonné de voir que l'événement dévastateur qui lançait le film était un attentat dans une base secrète de Starfleet, qui tue, si je ne me trompe, plusieurs dizaines d'officiers... C'est terrible, certes, mais il est traité avec cette saveur post-11 septembre, alors même que la catastrophe provoquée par Khan à la fin du film (le crash du bien-nommé Vengeance, qui dévaste plusieurs immeubles et tue, vraisemblablement, des milliers de civils), passe comme une lettre à la poste, sans que personne ne semble vraiment sous le choc - non, tout le monde était occupé à sauver Kirk. Une histoire de timing, sans doute... Ou alors je n'ai pas vu les gens évacuer à la vitesse de la lumière ? C'est surtout d'un point de vue scénaristique que la chose me perturbe, étant donné que le final aurait pu mener à des conséquences terribles que l'épilogue balaie sans véritables explications.

Reste qu'au milieu de ce foutoir thématique un peu bancal, persiste le message de paix du créateur de l'univers, Gene Roddenberry : Kirk, dans son discours final, certes un peu naïf mais tellement positif, annonce qu'il ne faut pas céder à la peur, sous peine de voir d'autres Khan naître sous l'influence du désir de vengeance. Il me faudra peut-être plus d'un visionnage, ne serait-ce que pour avoir les données exactes sur les événements mis en scène, mais il me semble, à chaud, que la thématique post-11 septembre, si très intéressante, n'a pas été menée avec brio par STID. Peut mieux faire ?

La technique
On retrouve là un bilan similaire à celui du précédent séjour d'Abrams à bord de l'Enterprise : malgré les lens-flare encore présents par moment, les effets spéciaux sont impeccables et en mettent plein les rétines, sans jamais déborder. On retrouve en effet d'immenses décors faits mains qui font plaisir à voir ; et lorsque le numérique est présent, il est au service de l'action (et non le contraire), donnant lieu à des séquences époustouflantes. Les quarante dernières minutes du film sont un festival son et lumière qui en ravira plus d'un.

Le rapport à l'univers Star Trek
Sur ce point, je ne m'étendrai pas, n'ayant vu aucune des oeuvres pré-Abrams. Mais ce second film m'a paru bourré de références qui m'échappaient, sans que cela soit gênant. J'ai été un peu déçu par les Klingons, que je croyais être une force belliqueuse d'envergure (avant leur alliance avec la Fédération), et qu'on vend dans le film comme étant LA menace qui a poussé l'amiral Marcus à réveiller Khan... Tout ça pour que Khan dézingue trente Klingons à lui tout seul, certains à mains nues...

Reste que le film est assez malin, puisqu'il ne se repose pas sur ses lauriers : certes, Spock (le vieux, interprété par Leonard Nimoy qui passera faire coucou) a rebooté la timeline, mais on ne s'arrête pas là : la destruction de Vulcain par Nero dans le film précédent a filé les jetons à la Fédération. Ainsi au-delà de la biographie de Kirk, le film a le culot d'aller titiller l'univers lui-même en tentant cette analogie entre la Fédération de la timeline rebootée et les USA post-11 septembre. Abrams et ses scénaristes semblent conscients que leur acte hérétique n'a pas été apprécié par tout le monde, et défendent leur concept en le poussant plus loin. J'ai apprécié, même si j'ai très envie d'en voir plus de la franchise pour savoir exactement sur quel pied danser.

Le bilan
Deux choses me semblent discutables dans Star Trek Into Darkness : la première, la promotion over-the-top faite autour du film, qui promettait du sang là où on retrouve - non sans plaisir - le mélange aventure/SF qui brille/second degré qui avait fait le succès du précédent opus. Pub mensongère, mais on n'est finalement pas déçu du résultat. La deuxième, le terrain miné thématique sur lequel s'engage le scénario, et dont il ne ressort pas sans quelques égratignures - mais là encore, la subjectivité du spectateur et ce qu'il en retirera y seront pour beaucoup.

Reste que ce second film de l'ère Abrams est un divertissement sans temps mort qui parvient à mettre les points sur les i à propos de ce reboot de la timeline et de ses conséquences, en osant une version plus noire de la Fédération. Mieux, il fait enfin le lien avec la série originale en lançant Kirk dans la mission d'exploration de cinq ans qui ouvrait l'univers Star Trek en 1966. Un troisième film est-il nécessaire ? Si ce second opus respecte bien les codes des trilogies contemporaines en jouant la carte de la noirceur, il me semble que c'est plutôt le moment idéal pour lancer une nouvelle série Star Trek : je doute que l'univers de cette timeline rebootée puisse s'épanouir longtemps au cinéma, et le monde est peut-être prêt pour un retour de l'Enterprise sur le petit écran ?
Rasebelune
8
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le 18 juin 2013

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Rasebelune

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