La barre pour L’Ascension de Skywalker était élevée puisque le film devait à la fois conclure la trilogie (une histoire qui n’a jamais été définie pour commencer) et l’ennéalogie (mot du jour pour moi c’est-à-dire la « saga Skywalker »). Avec aux commandes JJ Abrams, qui de son propre aveu sait mieux commencer les histoires que les finir et le scénariste de Batman v Superman, ce n’était pas gagné. Malgré quelques moments plutôt réussis, le film repose fortement (lourdement) sur la nostalgie, l’intrigue manque de cohérence et le film a l’air pensé en réaction aux critiques très vocales d’une minorité de fans conservateurs de l’épisode précédent.


Il est devenu apparent dès la campagne de promotion du film que celui-ci s’était rajouté un nouvel objectif : restaurer la nostalgie Star Wars pour satisfaire les fans les plus conservateurs après un épisode de questionnement de la mythologie de Star Wars. Pour cela, Abrams va essayer autant que possible de faire table rase de cet épisode VIII – est-ce que LucasFilm et Disney avaient préparé cette trilogie ou est-ce qu’ils ont tout improvisé ? L’exemple le plus frappant est sans doute la mise en touche du personnage de Rose Tico (Kelly Marie Tran). Il est difficile de ne pas l’interpréter comme un signal envoyé à la minorité de fans ultra conservateurs qui avaient mené une campagne de cyber-harcèlement particulièrement intense à l’encontre de Tran, première femme asiatique avec un rôle de premier ordre dans la saga.


D’autres personnages voient leurs arcs narratifs interrompus : Poe Dameron (Oscar Isaac) était jusque-là un pilote charmant et un rebelle héroïque et idéaliste qui fait face à ses défauts en tant que leader dans le deuxième film, ce qui le prépare à prendre des responsabilités voire à diriger la résistance. Là il redevient pilote pour satisfaire la demande des fans de réunir le trio Poe/Finn/Rey, séparés dans les précédents films. Il hérite d’un nouveau caractère irritable et moqueur et d'un nouveau passé de passeur d'épices (alias dealer de drogues) qui ne cadrent pas avec le personnage tel qu’on le connait. Finn (John Boyega), stormtrooper déserteur (pour moi le concept le plus intéressant de cette nouvelle trilogie qui n’aura malheureusement pas du tout été développé) qui apprenait l’importance de se battre pour une cause et pas seulement pour lui-même et ses amis, manque cruellement de profondeur ici et se contente généralement de réagir à ce qu’il se passe autour de lui, en général en criant « Rey ! »


Ces deux personnages passent au second rang derrière le combat entre le Bien et le Mal, incarné par Rey (Daisy Ridley) et Kylo Ren (Adam Driver). Leur relation était déjà la partie la plus réussie du VIII, mais là où c'était contrebalancé par des idées pas inintéressantes sur l'avenir de la résistance, ici ça éclipse tout le reste. Il n'y a plus aucun commentaire, le film ne suit plus la voie tracée par le précédent sur la place de la résistance dans la galaxie, sur comment chacun peut y participer même avec un petit rôle (idée incarnée en particulier avec le personnage de Rose Tico, quasiment invisible dans ce film). Exit l'allégorie qui comparait les méchants à des néonazis à coups de discours devant des foules de soldats, d’uniformes noirs. Exit aussi l'interprétation pas si tirée par les cheveux de Kylo Ren comme un jeune homme radicalisé politiquement vers des idées autoritaires et les éléments qui rappelaient les nouveaux membres de l'alt right américaine (émulation et idéalisation du passé, immaturité, crises de colère, tentation vers une idéologie vaguement néofasciste), place au combat des Jedi contre les Sith, dont les pouvoirs sont hérités génétiquement au sein de lignées quasi royales.


Daisy Ridley et Adam Driver sont très bons et leur relation de rivaux fascinés l’un par l’autre, chacun essayant de ramener l’autre de son côté est très convaincante (pour être honnête surtout Adam Driver, il joue extrêmement bien et élève vraiment le matériel qu’on lui donne). Les Derniers Jedi arrivait plutôt bien à l’équilibrer avec le fait que Kylo Ren est responsable de la mort de milliers de personnes et commande une armée dont les soldats sont kidnappés et conditionnés dès l’enfance. Là, le désir de Rey de le sauver devient omniprésent et est présenté comme un combat uniquement spirituel, qui clashe avec le reste de l’univers. Ils sont encore plus isolés non seulement parce que ce sont les seuls à savoir utiliser la Force (et donc à avoir des sabres lasers, le film ne se prive pas de nous montrer autant de combats que possible) et par leurs origines.


Ce qui me ramène à ce qu'il y a de pire dans ce film, ce qui le rend impossible à sauver dès les premières secondes : la décision de faire revenir l'empereur Palpatine, qui était le grand méchant des premiers films et qui meurt à la fin du VI. Il arrive, ça va de soi, avec un plan maléfique d’une ampleur telle que ça en perd tout son sens : quand dans les films précédents les personnages étaient mobilisés pour désamorcer un engin qui pouvait détruire une planète entière, on se retrouve ici avec une flotte entière de fusées qui peuvent chacune faire exploser une planète, et ainsi détruire quasiment toute la galaxie. C’est très à la mode dans les blockbusters parce que les scénaristes s’imaginent que dire que l’heure est grave suffit à impliquer émotionnellement le spectateur, mais 1) ça ne marche pas comme ça et 2) tout le monde sait que le monde ne va pas disparaître à la fin du film et donc qu’on n’a pas à s’en faire et que les héros vont trouver la solution pour tout empêcher.


La résurrection de Palpatine est à peine expliquée et se produit avant même le début du film, et on est juste censés l'accepter, alors qu'il n'y avait pas l'once d'un élément annonciateur ou d'un indice dans les deux films précédents et que ça n'a aucun sens. On veut nous faire croire que Palpatine tirait les ficelles dans l'ombre depuis le début, par un moyen extrêmement subtil et efficace : faire dire à un personnage « en fait il tirait les ficelles depuis le début ! » mais encore une fois on n'a aucune raison de le croire. Ça se rattache à l'idée de pouvoirs transmis par le sang parce que Rey a été abandonnée par ses parents quand elle était petite et a grandi seule, et beaucoup de fans se demandaient qui ils étaient : est-ce qu'elle est la fille secrète de Luke Skywalker, de Leia, d'Obiwan Kenobi ? Les Derniers Jedi avait répondu : elle n'est la fille de personne de connu, on peut être un héros de Star Wars sans appartenir à une dynastie. Mais là, nouveau retournement de situation qui contredit explicitement le film précédent : elle est en fait la petite-fille de l'empereur Palpatine, et Luke et Leia le savaient depuis le début, ce qui donne un nouveau sens à toutes leurs interactions et en fausse complètement la sincérité.


Le reste de l’intrigue manque aussi de cohérence : tout le monde se met à chercher Palpatine, à l’aide d’un compas spécial, lui-même accessible grâce à une dague spéciale que les héros comme les méchants cherchent frénétiquement en sautant de planète en planète, avec à chaque fois un petit combat pour garder le taux d’adrénaline élevé. Tous ces Macguffins arrivent de nulle part et comme beaucoup d’autres éléments de l’intrigue, leur présence est mal justifiée et maladroite voire complètement incohérente.


Un autre problème qui pèse sur le film, c’est la mort de Carrie Fisher, les critiques comme les fans ne sont pas très à l’aise pour en parler parce qu’elle était assez universellement aimée donc les scénaristes ne pouvaient pas juste la tuer entre deux films. Ça a empêché de donner à Leia le rôle principal qu’elle aurait dû avoir, et au lieu de la faire mourir au premier acte, on s’est retrouvé avec un rôle court et un peu bancal créé façon patchwork avec des scènes récupérées des tournages précédents qui personnellement me met assez mal à l’aise.


L’épisode VII mobilisait assez bien la nostalgie de la trilogie originale, là Abrams en fait trop et le fait maladroitement. Harrison Ford, qui a toujours trouvé le concept de Star Wars assez ridicule, revient pour un bref flashback inutile, ça m’a d’ailleurs fait un peu de peine pour lui. Abrams choisit aussi de faire revenir Lando Calrissian, qui passe d’allié de la rébellion, cool et moralement ambigu à Billy Dee Williams en costume coloré et qui délivre un bout de dialogue d’exposition.


Idem, Chewbacca et C3PO sont inclus sans vraiment avoir besoin d’être dans le film, ce qui donne lieu à deux des moments les plus pénibles du film, puisqu’ils sont tous les deux présumés morts avant qu’on nous dise « ah mais en fait non, ne vous inquiétez pas » : Rey pense avoir accidentellement détruit le vaisseau dans lequel Chewbacca se trouvait, avant qu’on apprenne inexplicablement qu’il était dans un second vaisseau jusque-là inaperçu, et C3PO doit effacer sa mémoire avant qu’on apprenne qu’il avait un backup. Pendant la campagne de promotion, Abrams avait déclaré, entre deux compliments sur le film de Rian Johnson, « I don’t think that people go to ‘Star Wars’ to be told ‘This doesn’t matter.’ » en référence à l’attitude assez irrévérencieuse de Johnson par rapport à la mythologie de la saga, qui nous disait que le héros qu’on n’imaginait avait échoué, que l’hérédité ne comptait pas tant que ça, et donc qu’il ne fallait pas s’accrocher au passé. Mais ça s’applique en fait davantage à son film, puisque les actions des personnages ne peuvent avoir aucune vraie conséquence.


L’Ascension de Skywalker est mal rythmé, on a l’impression de regarder une suite de scènes saccadées, et qu’un comité de scénaristes et producteurs a cherché à cocher toutes les cases d’une liste de moments à faire figurer à l’écran plutôt qu’une histoire qui se développe naturellement.


Même visuellement, le rendu est moins bon que lors des épisodes précédents. Le niveau reste toujours très supérieur aux autres blockbusters, avec des nouvelles planètes, des nouveaux aliens très réussis, mais le film manquait de moments iconiques qui restent gravés dans la mémoire du spectateur, les combats au sabre laser en particulier sont trop fréquents et oubliables.


Tout ça pour dire que L’Ascension de Skywalker est un film mal écrit, mal ficelé et thématiquement pas intéressant, à cause de sa volonté de satisfaire les fans les plus nostalgiques, ce qui en fait une conclusion décevante à la saga. Je ne sais pas ce qu’on pensera de ces films dans dix ans, mais il y a presque un effet Game of Thrones : je trouve la fin tellement décevante que ça me fait regretter d’avoir autant été investie dans l’histoire qu’on me racontait…

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le 2 janv. 2020

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