Une saga plus si culte tombée dans la facilité du plaisir coupable. (Spoilers)

On y est. Le moment est venu de dresser le bilan de la saga Star Wars, l’une des plus grandes que le cinéma ait jamais contée, après la sortie de ce neuvième et ultime épisode de l’arc Skywalker. Il faut dire que ce dernier opus portait de bien lourdes charges sur ses épaules, en sa qualité de conclusion d’une postlogie loin de faire l’unanimité jusqu’ici, et surtout d’une saga culte vieille de 42 ans. Evidemment, ce final évènementiel cristallisait tellement d’attentes auprès de nombreux fans tous plus différents les uns des autres qu’on ne pouvait s’attendre à ce qu’il fasse l’unanimité. Mais même les plus tolérants à l’égard de cette trilogie estampillée Disney pouvaient légitimement s’inquiéter après un épisode 8 aux choix discutables, et ayant laissé bien peu de pistes afin d’ouvrir cette suite aux enjeux quasi inexistants. Encombré de la vision à contre-courant d’un Rian Johnson plus préoccupé par la surprise que par la cohérence, et par des producteurs trop pressés de capitaliser sur leur nouvelle licence lucrative, J.J. Abrams s’est donc vu obligé de bricoler une suite inévitablement casse-gueule, devant réparer les multiples bizarreries laissées par ses prédécesseurs. Un impossible chantier qu’il ne pouvait évidemment achever sans heurts, même si on peut au moins lui accorder d’avoir su limiter la casse. Mais en dépit du plaisir que j’ai eu à visionner L’Ascension de Skywalker, difficile de se satisfaire pleinement d’une fin aussi approximative et conventionnelle pour un tel monument du cinéma qui m’aura accompagné tout au long de ma vie.



Une narration en vitesse lumière



Forcément, avec le peu de marge de manœuvre qu’avait laissé Rian Johnson à ses successeurs, ces derniers se sont retrouvés dans l’obligation de relancer la machine en l’espace d’un seul long-métrage. En résulte inévitablement un film dense et riche en évènements, mais qui, à l’instar d’un Harry Potter et la Coupe de Feu, raconte son histoire avec bien trop de précipitation afin de tout condenser en 2h30. D’un côté, et de la même façon que le film de Mike Newell, on se retrouve avec un ensemble très rythmé et plutôt plaisant à suivre, les séquences spectaculaires s’enchainant aussi rapidement qu’un Faucon Millenium passé en vitesse lumière. Mais de l’autre, ce tempo frénétique ne fera que mettre en valeur le peu de consistance et les approximations d’un récit tronqué par l’urgence. Elle sera d’ailleurs perceptible dès les premières minutes au moment où l’habituel déroulé contextuel si cher à la série nous dévoile l’un des plus gros rebondissements de toute cette postlogie, à savoir le retour de Palpatine. Cette bombe, certes attendue, mais lâchée en quelques mots et sans aucun teasing, comme s’il s’agissait d’un évènement anodin, trahit sans peine la nécessité de ramener au plus vite un minimum de matière à des antagonistes alors orphelins de tout objectif clair.


Par ailleurs, ce rush incessant ne permet jamais à la narration de se poser. En découle inévitablement une narration percluse d’ellipses, et parfois même forcée d’expédier en une poignée de secondes certaines explications clefs qui auront tôt fait d’échapper aux oreilles un peu distraites. A ce titre, la plupart des nombreuses questions que soulèveront immanquablement le retour de Palpatine resteront sans réponses, tandis qu’il conviendra de rester extrêmement attentif afin de ne pas rater les quelques mots suggérant les raisons pour lesquelles le fils de Leïa est passé du côté obscur de la force. Par ailleurs, dans un film déjà obligé de réduire à peau de chagrin les rôles de certains de ses personnages secondaires déjà existants (Rose), difficile de comprendre la légitimité d’en rajouter d’autres qui n’auront soit pas le temps d’exister (Beaumont), ou seront tout juste esquissés (Zorii, Jannah).


Dans un tel contexte, ce neuvième volet canonique ne pouvait guère se laisser aller à une quelconque forme de subtilité. Et toute la partie illustrant l’infiltration sans finesse de nos héros au sein du vaisseau de Ren, dans le but de sauver un personnage bien connu, en est le parfait symbole. Le film se complaira donc dans les raccourcis faciles aboutissant à des situations peu crédibles, comme ce médaillon Sith passe-partout capable de justifier un hangar de vaisseau amiral déserté de toute garde. Il se perdra également dans des dialogues majoritairement insipides qui ne mèneront pas toujours à grand-chose, et aux velléités humoristiques d’une bêtise assez confondante. Il tentera, enfin, des twists qu’il préparera de façon bien trop convenue et sommaire pour qu’ils se montrent efficaces. Des problèmes qui sont loin de se limiter à ce seul passage, et dont la récurrence amène un peu trop souvent à sortir du récit.



Abrams contre-attaque



Rian Johnson en avait laissé plus d’un sur le carreau, de par ses choix discutables opérés dans les Derniers Jedi. J.J. Abrams lui-même n’ayant pas particulièrement apprécié la direction prise par son homologue, on pouvait donc s’attendre à ce qu’il remette tout en cause. Cependant, le réalisateur du Pouvoir de La Force a tout de même décidé de conserver certaines idées. Une optique parfois pertinente, notamment lorsqu’il pousse plus en profondeur la relation entre Rey et Kylo Ren qui, à mon sens, restera l’une des plus grandes forces de cette trilogie. Certains tiqueront peut-être à plus ou moins bon escient sur la démesure des pouvoirs qu’engendrent cette fameuse « Dyade », qui aurait sans doute gagné à être introduite de manière plus graduelle, et ce dès l’épisode VII. Mais une simple transmission pas si gratuite d’un sabre laser au moment opportun ne saurait remettre en cause ce lien vraiment réussi entre deux héros attachants, en dépit de quelques évidentes maladresses, notamment en fin de parcours. En outre, s’il est sans doute heureux d’avoir su conserver certains éléments plus discutables par souci de cohésion, tel les fantômes Jedi capables d’utiliser la force au même titre que les vivants, on regrettera que la démarche laisse distraitement passer quelques bévues. A ce titre, même s’il ne faisait aucun doute que Leïa était douée d’une certaine sensibilité aux arts Jedi, le niveau de maîtrise suggéré par cet ultime volet pourra légitimement remettre en cause la logique de certains évènements passés, notamment sa relation avec son fils.


Cela dit, J.J. Abrams et Chris Terrio ont tout de même pris un malin plaisir à dépecer une partie du travail de leur prédécesseur, sans toujours se soucier des éventuels dommages collatéraux. Luke en est peut-être le plus flagrant exemple, lui qu’on avait laissé sur un cinglant : « On se reverra mon grand… » lancé à son ex-padawan avant son incompréhensible trépas. Une bien vaine promesse laissée à nos bons souvenirs, au même titre que sa période de doutes, balayée en une seule phrase comme s’il s’agissait d’un moment gênant à oublier au plus vite. Même chose pour les origines de Rey, elles-aussi contredîtes pour être replacées au centre de l’histoire, malgré les débats chronologiques qu’elles ne manqueront pas de susciter. On pourra aussi trouver dommage que l’idéologie affirmant que tout le monde peut ressentir la force soit à ce point survolée, alors qu’il s’agissait d’une des seules pistes réellement intéressantes laissée par Les Derniers Jedi. Se gardant de toute allusion aux enfants sensibles à la fameuse énergie, la réflexion ne survit dans ce dernier film qu’à demi-mots par l’intermédiaire de Finn.


Parlons-en d’ailleurs du fameux Finn, ici, définitivement relégué au rang de faire-valoir de Rey, et à des années lumières de la sympathique figure centrale qu’il incarnait initialement. Prisonnier depuis l’épisode VIII d’intrigues secondaires n’aboutissant jamais à rien, il se retrouve même finalement privé des trois romances potentielles qui lui sont dessinées. Il y a d’abord eu Rey, depuis longtemps partie vers des galaxie plus héroïques désormais inaccessible à l’ex-Stormtrooper. Il y eut ensuite Rose, ici rejetée pour des raisons douteuses par deux scénaristes qui ne voulaient surtout plus guère s’encombrer du peu d’intérêt qu’ils lui trouvaient. Et maintenant il y a Jannah, son double féminin intégré au chausse-pied dans un but final purement fan-service. Mais dixit Daisy Ridley, Star Wars n’avait pas nécessairement besoin d’amour. Un parti-pris qui détruira aussi plus ou moins l’intérêt de la nouvelle arrivante Zorii, privée de toute autre utilité que celle d’étayer un peu le maigre background de Po, tout en véhiculant avec de gros sabots un message féministe aussi balourd que l’impromptu baiser lesbien de l’avant-dernière séquence. Au moins, le charismatique pilote incarné par Oscar Isaac aura le mérite d’exister un minimum par lui-même ce qui, dans un tel film, n’est déjà pas si mal.



« Le dernier Star Wars ? Trop excellent ! Il y a même un Hobbit… ! »



De toute façon, le plus grand mal de L’Ascension de Skywalker et, à fortiori, de cette dernière trilogie reste la trop grande promptitude de Disney à vouloir capitaliser sur sa nouvelle poule aux œufs d’or. Là où ils auraient dû laisser leurs créatifs prendre le temps de développer une histoire complète à découper en trois long-métrages, on se retrouve donc avec un récit écrit au fil de la plume qui virevolte tous azimuts au gré de divers auteurs n’ayant pas pu, ou su, travailler de concert. En résulte un triptyque qui n’avait plus alors d’autre choix que celui de compenser sa relative vacuité scénaristique en assumant totalement son côté grand spectacle, et en caressant le plus possible ses fans dans le sens du poil, à grands renforts de moments fans services. Un contrat que ce neuvième volet, comme ses deux grands frères, remplit suffisamment bien pour faire passer un bon moment, mais trop approximativement pour remporter tous les suffrages. Il sera ainsi facile aux uns de se délecter du retour de Lando Calrissian, ou de voir Luke sortir de l’eau son vieux X-Wing entraperçu dans l’épisode précédent. Mais les autres questionneront à raison la véritable utilité scénaristique de telles démarches. Ces mêmes réfractaires ne verront sans doute pas d’un meilleur œil l’énième décalquage de la confrontation avec Palpatine issue du Retour du Jedi, qui compte-tenu des antécédents des épisodes VII et VIII, confine plus que jamais à la fainéantise. Une séquence d’ailleurs gorgée de rebondissements pour le moins exagérés et un peu gratuits, auxquels on aura bien du mal à croire sans une sacrée dose de complaisance. Enfin, les diverses utilisations de la force ne manqueront pas de gêner certains fans de la première heure, tant elles font aujourd’hui fi de toute règle claire. Et l’univers étendu ne saurait, à lui seul, se substituer à des films auxquels il incombait d’expliquer le minimum syndical, afin de ne pas perdre une portion de son public exclusivement cinéphile. Tout un catalogue de choix discutables qui font de cet épisode IX une conclusion assez symbolique de cette trilogie, souvent fun de par sa capacité à tirer sur la fibre nostalgique, mais qui se révèle finalement bien superficielle au regard de la grande saga de science-fiction qu’elle représente.


Difficile de produire une trilogie cohérente quand on est plus pressé d’engranger les bénéfices d’une licence à succès fraîchement acquise, que de vouloir prendre le temps de lui rendre l’hommage qu’elle mérite. C’est pourtant bien ce que Disney a tenté d’accomplir avec cette vision popcorn et fan-service de la saga Star Wars. Et la bienveillance ou le dégoût de chacun à l’égard de cette bien critiquable démarche dépendra de ce que l’on vient y chercher. Les plus sensibles à la proposition n’auront donc aucun mal à apprécier cette conclusion grand spectacle, qui n’a pas son pareil pour placer le nostalgique dans ses pantoufles, enchainant avec beaucoup de rythme les batailles spatiales spectaculaires ou de régulières apparitions d’anciennes gloires qui font forcément leur petit effet. En contrepartie, on ne pourra pas en vouloir aux plus mécontents de se sentir lésés par le singulier manque de profondeur, d’émotions, ou par les multiples incohérences d’une entreprise dénaturée par ses trop évidentes fins lucratives. Et l’Ascension de Skywalker en constitue une conclusion des plus logiques. Un film encombré des divergences créatives de ses réalisateurs, qui a bien trop à dire en trop peu de temps, et dont l’excès de hâte trahit toute la superficialité. Cependant, je le concède, j’ai apprécié le visionnage de ce dernier opus, au même titre que les deux précédents. Et je les reverrai sans aucun doute à la télévision, les neurones au repos et un paquet de popcorn à la main, avec le même plaisir coupable de l’indécrottable fan juste heureux de retrouver l’univers qu’il affectionne tant. La magie des blockbusters opportunistes qu’on n’apprécie pas toujours pour de bonnes raisons, mais que les indéniables réussites parviennent à sauver du naufrage. Pour autant, je pourrais voir ou revoir les péripéties de la sympathique Rey autant que je le voudrais, il me sera impossible d’oublier. Impossible d’oublier que la saga la plus culte du cinéma de science-fiction méritait infiniment mieux. Et impossible de pardonner à Disney d’avoir fait basculer un monument aussi culte que Star Wars du côté obscur du cinéma mercantile, et détruit à ce point tout ce qui en faisait le caractère évènementiel et unique.

Arnaud_Lalanne
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le 16 janv. 2020

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