La déchéance d’un mythe cinématographique tome 3 : Star Wars : L’Ascension de Skywalker

J’ai longtemps hésité à mettre l’épisode 7 de la saga imaginée par George Lucas dans cette série des déchéances cinématographiques, tant celui-ci est un parangon de simplicité et de minimalisme, et est plus un film de fan pour les fans qu’un véritable film original. Mais force est de constater que ce film, qui garde un capital sympathie auprès du public (que je ne comprendrais décidément jamais) reste dans la lignée de ce qu’est vraiment Star Wars, et même s’il est mauvais, il ne trahit cependant pas la mythologie derrière l’œuvre originelle pour autant, ce qui n’est pas le cas de L’Ascension de Skywalker...


Risque de spoilers sur cette critique.


Après un épisode VIII rempli de défauts mais prenant des risques bienvenus pour relancer la saga sur de nouveaux terrains, autant dire que le dernier opus de cette nouvelle trilogie fait l’effet d’un cheveu monumental sur une soupe déjà pas très bonne, tant il désacralise tout ce qui a été fait précédemment.
Très long, digne d’un téléfilm sur les Ewoks, cette épisode est bancal, aussi bien en tant que suite qu’en tant que film, et laisse le spectateur indifférent, le comble pour une conclusion à une aussi longue saga. Le principal fil conducteur ayant été dévoilé dans les bandes annonces via le (pas du tout) subtil rire de Palpatine, le film ne promet aucune surprise pour rattraper le coup et se veut, comme le précédent essai de J.J. Abrams de 2015, un film de fan, pour le fan.


Le simple fait de faire revenir l’empereur en dit long sur le propos du film, c’est un épilogue qui va se reposer sur les acquis du passé, sans innover. L’Ascension de Skywalker, sous son titre dégueulasse et faussement mystique, donne la désagréable impression que chaque opus de cette nouvelle trilogie a été écrit indépendamment des autres en se basant sur les réactions des fans et/ou des critiques, car il n'y a pas de fil directeur entre les trois derniers films de la saga, maladroitement indépendants entre eux et ne sachant où aller d'un point de vue narratif.
Le premier était placé sous le signe de la nostalgie et le retour aux sources, voir même un peu trop, et le second sous celui de la déconstruction d’une mythologie et de sa reconstruction prochaine, enfin, c’est ce qu’on espérait.


Car il faut savoir que parfois la déconstruction est une étape indispensable du renouvellement d’un genre ou d’une saga. Pour base, l’auteur John G. Cawelti avait énoncé quatre grandes étapes de renouvellement d’un genre s’essoufflant :


1 - Le burlesque, tourner le genre en dérision, en se moquant des codes établis et connus
2 - Évoquer avec nostalgie le passé, ce qui a fait naître le genre
3 - Déconstruire la mythologie
4 - Et enfin, la reconstruire.


Et c’est là où Star Wars : L’Ascension de Skywalker est hors contexte et se viande totalement, car l’épisode signé Ryan Johnson avait parfaitement rempli les trois premières étapes décrites ci-dessus, il ne restait plus qu’à bâtir une nouvelle mythologie sur les cendres de la vieille, pour éviter l’essoufflement de la saga. Mais ici, J.J. Abrams, caricature du faiseur au service des producteurs et au style aussi impersonnel que jamais, ne reconstruit rien du tout et passe sous silence l’épisode VIII qui pourtant avait déblayé le terrain pour un final qui pouvait être intéressant et décide de refaire l’erreur qu’il avait faite dans le septième opus de la saga, à savoir la régurgitation du passé, sous un fond d'un fan-service putassier et même un peu insultant. Comme s'il était prisonnier de la saga qu'il avait pour tâche de conclure, comme si l'univers Star Wars était bien trop lourd et imposant pour lui, et qu'il dépassait ses capacités de cinéaste.
Ainsi, Rey a une filiation avec un personnage important, ce qui était normalement écarté dans Les Derniers Jedi, Kylo Ren remet son masque idiot, alors qu’il avait l’air d’avoir abandonné ce look dans l’épisode précédent, ce qui symbolisait normalement une sorte d’émancipation du passé et une maturation bienvenue de son personnage.
C’est comme si le cinéaste, plus dégoûté que jamais par le huitième opus de la saga, avait décidé de faire à Ryan Johnson un doigt d’honneur artistique, et de détruire tout ce qu’il avait construit, Johnson lui même ayant détruit ce qu’avait entreprit le réalisateur de Star-Trek dans l’épisode VII. Un peu comme ce vilain gamin à la plage qui piétine ton château de sable, sous prétexte qu’il est plus beau et plus grand que le sien.


Derrière des partitions d’un John Williams qui recycle une fois de trop ses thèmes fédérateurs, on retrouve un casting qui n’a rien d’attachant et qui en plus n’a pas l’air beaucoup concerné par le projet, entre le détestable John Boyega qui fait l'effet d'un touriste, l’inexpressive et chiante à crever Daisy Ridley, l’insipide Oscar Isaac et le qu’est-ce-que tu fous là bon dieu Adam Driver. Comme si, étant donné que c’était le dernier Star Wars, il fallait donc faire acte de présence, mais c’est tout. L’apparition surprise (enfin pas trop) et hors-contexte de Billy Dee Williams ou encore d’un Harrison Ford qui doit payer ses impôts tiennent également d’un fan-service digne d’un amateur. Peut-être celle impliquant le personnage de Han Solo était elle destinée à envoyer une petite dose d’émotion à un film globalement froid et aseptisé, mais l’essai est loupé, car Harrison Ford ne joue pas, il est là, tout simplement.
Les combats au sabre n’ont quand à eux rien de spectaculaire et il est assez frustrant de voir qu’en 2019, avec toutes les possibilités technologiques qu’offre le cinéma, un Star Wars ne fasse même plus l’effort de balancer la carte d’un duel épique et se contente du strict minimum.


Et là il nous faut s’arrêter et faire un constat, aussi évident que frustrant : le film, sur n’importe quel plan, n’innove rien, et est aussi vide que Le Réveil de la Force, voir plus. C’est là où le bât blesse, car si les puristes de la saga ont traîné dans la fange la tant décriée prélogie, elle osait, autant sur la forme que sur le fond, de remplir un univers et d’innover, pour le meilleur comme pour le pire certes, mais n’était-ce-pas une preuve de prise de risques ? N'est-ce pas là tout l'attrait d'une telle saga, repousser les limites ?
Le film ne nous fait pas voyager, à part au début lors d’une scène ridicule où il est question de ricochets avec le Faucon, une seconde, une planète, une seconde, une planète... (et un ver de Dune en passant), pas assez pour immerger le spectateur dans un autre univers.


La scène où les personnages se retrouvent sur la planète où une fête se déroule en est un parfait exemple, là où un Lucas ou même un Whedon (il a fait quelque chose de similaire sur le second film des Avengers) ou un autre auraient profité de cette séquence pour créer une rupture avec l’intrigue et ainsi enrichir l’univers et permettre aux personnages de se poser, ici il n’en est rien, ce n’est que l’illusion d’un mouvement, car sur cette planète ou une autre, le fil directeur reste le même et les personnages n’évoluent pas, alors à quoi bon déporter l’action, si elle ne fait pas plus avancer nos héros ou si ce changement d’air ne nous permet pas de concocter un capital sympathie pour eux. Car comme vu ci-dessus, aucun protagoniste n’est attachant, la faute, autant sur cet opus que sur la nouvelle trilogie dans son entièreté, à un manque de scènes plus axées sur la psychologie des personnages, qui les dépeint plus en profondeur, au lieu de balancer stupidement la sauce, l'action au détriment de l'émotion.


Déconstruire avec maladresse la logique de l’épisode précédent a été le sacerdoce de J.J. Abrams, mais si encore L’Ascension de Skywalker s’arrêtait là... mais non, car en plus de faire un pied-de-nez aux Dernier Jedis et être un film incohérent dans son ensemble, ce troisième volet détruit également toute la mythologie Star Wars en une poignée de scènes. Alors on ne citera pas tout, les incohérences foisonnent dans ce film au caractère bâclé, comme par exemple les Jedi capables de transmettre leur force vitale à d’autres...ce qui n’a jamais été exploré ni même mentionné dans les films précédents.
Mais il y a une scène, un seul plan, dans lequel toute la mythologie s’effondre.


Il nous faut avancer vers la fin, quand Rey, armée d’un sabre à couleur non identifiée (?) regarde l’horizon et voit Luke et Leia, silhouettes fantomatiques qui semblent enfin avoir trouvé la paix (même si on aurait aimé qu’ils la trouvent à la fin de l’épisode VI pour de bon, mais je m’égare), où est le problème dans cette scène ?
Le problème c’est que Kylo Ren n’y apparaît pas.
Alors on peut lui reprocher beaucoup, méchant banal, immature, à mille lieux d’un Dark Vador mais en faisant abstraction du bonhomme, quelle est la symbolique sur ce plan, la morale ? Pas d’espoir de rédemption ? On l’a vu au cours du film et de l’opus précédent, Kylo doute de ses choix, et finit par revenir du côté du bien, et son sacrifice à la fin prouve en quelque sorte que la lumière est revenue en lui. Alors pourquoi n’est-il pas aux côtés de sa mère et son oncle sur ce plan final ? L’Ascension de Skywalker était-il si dépendant de la trilogie originelle qu’il se sentait obligé de conclure sur les personnages du passé, jugés plus méritants car ayant le plus marqué les esprits ?
S’il y a bien une seule chose, une seule scène de la trilogie originale qui méritait d’être repompée dans cette nouvelle saga, c’est la séquence finale, l’arrivée parmi ses anciens maîtres d’Anakin Skywalker, en paix avec lui même, car le message originel de Star Wars, naïf mais diablement efficace, c’est le triomphe du bien et ses valeurs (la liberté !) contre le mal et ses fondements (la tyrannie), dans la vie comme dans la mort, et non fier d’être déjà un mauvais film de base, L’Ascension de Skywalker se révèle, par sa conclusion, être en plus une œuvre dont les créateurs n’ont absolument rien compris à la mythologie Star Wars.


Prenant comme ses congénères actuels la forme d’un blockbuster banal et aseptisé, L’Ascension de Skywalker est un pur ratage sur tous les points, qui prouve que même après Le Réveil de la Force qui était une relecture sans âme de l’épisode IV ou encore Rogue One qui n’était rien d’autre que la bande-annonce sans intérêt du film suivant dans la chronologie, la franchise était toujours capable de pondre encore pire.
Clôturant une saga qui aurait mérité un meilleur traitement sur grand écran (un meilleur réal ?), cet opus est le parfait exemple de la déchéance d’un mythe cinématographique, mais contrairement à Jurassic World qui a désacralisé une mythologie avec cynisme et renié les valeurs de ses prédécesseurs, ou Terminator Genysis qui a maladroitement détruit son propre univers et ses codes, le neuvième épisode de Star Wars a fait l’exploit d’enterrer symboliquement la saga en se reposant sur les acquis du passé et en réutilisant la même mayonnaise, hélas plus assez épaisse qu’autrefois, et une fois de trop.

Tom-Bombadil
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le 5 mai 2020

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Tom Bombadil

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