A qui la faute ?

Cette critique contient des spoilers. Même la force ne peut pas t'en protéger.

Voilà. C'est donc avec ce film que la saga Star Wars se conclut. Neuf films qui composent trois trilogies réparties sur une quarantaine d'années, avec en bonus des spin-off et plein d'autres produits dérivés. Mais avant de conclure la saga dans sa globalité (ce qui d'ailleurs n'était pas nécessaire puisque les épisodes I à VI formaient un ensemble cohérent qui n'avait pas besoin de suite), Star Wars : L'Ascension de Skywalker est d'abord la fin de la postlogie lancée par Disney. Et là déjà, on est face à problème car cette postlogie a été mal pensée depuis le début. Essayons d'y voir plus clair.

Il y a d'abord eu Le Réveil de la Force de J.J. Abrams en 2015. Globalement, le film a été un joli succès car en plus de rapporter plus de deux milliards de dollars au box-office, les critiques ont été convaincus et les fans des deux précédentes trilogies n'ont pas trop crié au scandale, ce qui était presque inespéré quand on connait la "fan-base" derrière Star Wars. Dans ce film, Abrams et son équipe étaient parvenus à poser des pierres solides pour démarrer une nouvelle trilogie tout en laissant plein de questions en suspens pour attiser le suspens. Le film en lui-même était très bon malgré un léger manque de prise de risque. Tout cela était très excitant pour la suite.

Puis est ensuite arrivé Les Derniers Jedi de Rian Johnson en 2017. Et les ennuis ont commencé. Les fans ont pour le coup hurlé au scandale et le film a moins bien marché au box-office ainsi que dans la plume des critiques. Attention, le film en lui-même reste bon. Visuellement, c'est peut-être l'épisode le plus beau de la saga avec des plans somptueux et un grand final sur une planète de sel magnifique. Cependant, ce sont les décisions scénaristiques prises par Johnson qui ont déplu. Contrairement à son prédécesseur, lui n'hésite pas à prendre des risques et il ne fait pas dans la nostalgie. C'est tout à son honneur mais ce n'est pas sans conséquence. A la fin de ce huitième opus, ce qui avait été amorcé dans l'épisode VII est détruit. Le grand méchant est mort, la Résistance pareil et certaines des questions qui avaient été laissées en suspens sont balayées d'un revers de main. Le message de ce film est clair, il ne faut pas glorifier le passé mais le tuer pour construire quelque chose de nouveau. Cela va complètement à l'encontre de l'épisode VII.

On arrive donc à l'ultime chapitre de la saga, L'Ascension de Skywalker par J.J. Abrams en 2019. Et c'est là qu'on voit que cette nouvelle trilogie a été très mal préparée. Car elle n'a pas de sens. L'épisode VII glorifiait le passé alors que le VIII cherchait à le détruire (ce qui n'était pas une mauvaise idée, de sublimer le passé pour mieux le tuer) pour finir avec l'épisode IX qui retombe dans la nostalgie et se remet à glorifier les précédentes trilogies. Les trois films ne sont pas cohérents entre eux, ils n'ont pas été pensés comme un ensemble logique mais ils ont été fait chacun leur tour, sans se soucier de ce qu'avait voulu construire leur prédécesseur. On se retrouve donc avec un épisode IX qui tente de recoller les morceaux avec l'épisode VII alors que le VIII avait tout cassé. Sauf que ça ne marche pas du tout. L'histoire écrite pour cette conclusion est pleine d'incohérences et de grosses facilités dans le but de recréer ce qui avait été prévu à la base lorsqu'ils avaient écrit l'épisode VII. Mais c'était peine perdue d'avance.

Donc pour essayer de quand même construire une conclusion digne de ce nom, ils font une nouvelle fois, et plus que jamais, appel au passé, en faisant revenir à la vie l'empereur Palpatine qui représente à lui seul la saga Star Wars désormais possédée par Disney : un cadavre à peine vivant, un zombie ressuscité pour tenter de recréer le phénomène qu'avait été Star Wars en son temps. Et ils essayent de nous faire croire que depuis le début, Palpatine manigançait tout dans l'ombre et que cela faisait partie de son plan. C'est à la fois ridicule et grotesque. Mais pas plus que d'apprendre que Rey est bien en réalité la descendante d'un personnage connu de la saga, et ce n'est pas Obi-Wan ou Luke, mais Palpatine lui-même. Ce ne sont que deux décisions parmi d'autres dans tout le film qui paraissent sortie de nulle part et qui sont des tentatives désespérées de joindre les bouts avec l'épisode VII. Ce neuvième chapitre donne l'impression d'être raconté en accéléré dès le début, tout s'enchaîne très vite comme pour rattraper le retard pris par le précédent opus. Il y a de grosses ficelles partout car ils n'ont plus le temps faire dans la subtilité. Abrams et son équipe ont eu moins de deux ans pour concevoir ce nouveau long-métrage qui, en plus de devoir proposer une fin à une trilogie qui ne veut rien dire, devait rappeler et conclure tous les autres opus. Ce film a été réalisé dans la précipitation, ça se voit et ça se ressent.

Cependant, malgré cette histoire complètement bancale, le film parvient à se montrer divertissant par moment. Abrams reste un bon réalisateur, sa mise en scène est dynamique et il a un sens aiguisé pour construire les plans. Certains sont grandioses et rendent bien l’aspect démesuré de plusieurs scènes. Les effets spéciaux sont excellents, la bande originale de John Williams, même si elle fait partie des moins bonnes de la saga, est tout de même de qualité et les acteurs ne sont pas mauvais. Mais ces points plutôt positifs ne suffisent pas à contrebalancer les défauts dans l’écriture. Ils permettent simplement de rendre le film pas trop désagréable à passer.

Alors à qui la faute ? Qui faut-il blâmer pour cette conclusion ratée ? Doit-on en vouloir à Abrams car il en est le réalisateur et l’un des scénaristes ? Ou plutôt à Rian Johnson car il n’a pas suivi le plan prévu à l’origine ? Ou encore même à Disney pour le simple fait d’avoir osé tenter de créer une nouvelle trilogie ? Eh bien comme souvent dans ce genre d’immense projet, la faute ne repose pas uniquement sur le dos d’un seul coupable désigné. C’est plus complexe. En vouloir uniquement à Rian Johnson n’est pas pertinent, il n’est pas le seul à avoir pris des décisions surprenantes. Alors qu’en vrai, il est le seul à avoir pris autant de risque dans toute la trilogie, en allant à l’encontre des attentes. Il a surpris tout le monde et même si son film non plus n’est pas dénué de failles scénaristiques, il a le mérite d’avoir tenté d’amener la saga dans une direction nouvelle au lieu de surfer uniquement sur la nostalgie et se reposer sur la première trilogie. Ce qui est tout l’inverse de J.J. Abrams. Son épisode VII était très bon et posait de bonnes bases pour une nouvelle trilogie, mais après la suite de Rian Johnson, il aurait dû revoir ses plans au lieu de retomber dans la nostalgie et de repomper la première trilogie. En tant que scénariste, il n’a pas assuré. C’est comme s’il avait cherché à ignorer le film de Johnson quand il a écrit l’épisode IX. Par conséquent, son long-métrage contient non seulement des absurdités mais rend en plus la postlogie incohérente et bordélique. Il aurait mieux fait de suivre l’épisode VIII dans sa volonté de partir dans une direction nouvelle et originale.

Donc Abrams déçoit. Mais il n’est pas le seul fautif. Car quand on décide de lancer la production d’une nouvelle trilogie, on est censé savoir dans quoi on se lance. Ce qui n’était pas le cas de Disney visiblement. En tant que producteur de cette postlogie, Disney avait pour rôle de donner un fil directeur et faire en sorte que les trois opus créent un ensemble cohérent qui soit lui-même cohérent avec les deux précédentes trilogies. Sans aller jusqu’à connaître l’histoire dans ses moindres détails, ils auraient dû avoir une trame principale à suivre d’un film à l’autre. Ils auraient dû savoir ce qu’ils voulaient voir dans cette nouvelle trilogie, comment la commencer, vers où la mener et comment elle se terminerait. Mais ça n’a pas été le cas du tout. Rian Johnson a lui-même avoué qu’on lui avait presque laissé carte-blanche pour écrire et réaliser son film et qu’il ne savait pas ce qui était prévu dans l’épisode IX quand est sorti le sien. C’est quand même aberrant qu’un studio de production veuille concevoir une trilogie, surtout dans une saga telle que Star Wars, mais qu’il ne sache pas quoi mettre dedans ni comment la mener. Car il semblerait qu’après l’accueil froid des fans à la sortie de l’épisode VIII, Disney ait voulu faire marche arrière et revenir sur un ton plus proche de l’épisode VII alors que c’était trop tard. Il fallait le prévoir avant et soit imposer à Rian Johnson de changer son film pour qu’il corresponde plus aux attentes du public après Le Réveil de la Force, soit imposer à Abrams de suivre les idées dans Les Derniers Jedi. Le top aurait été de donner l’entière responsabilité de cette nouvelle trilogie à un seul homme, Abrams ou Johnson en fonction de ce que le studio voulait voir dedans, ou alors de s’assurer que les différents réalisateurs impliqués partageaient tous la même vision et souhaitaient tous emmener la trilogie dans la même direction. Ce qui n’était pas du tout le cas. Disney a donc failli à ses devoirs de producteur.

Pour ma part, en tant que petit spectateur qui est certes attaché à la saga mais qui n’y connait rien à l’univers étendu (BD, jeux vidéo, séries…), j’aurai préféré que Abrams se charge des trois films et qu’il mène ses idées jusqu’au bout, quelle qu’elles fussent, sans être perturbé par le, bon, film de Johnson. J’étais même réjoui qu’il revienne pour l’épisode IX mais finalement c’était une mauvaise idée. En fait, Johnson aurait mieux fait d’être sélectionné. Tant pis. On aura donc eu une excellente première trilogie, une très bonne prélogie et une postlogie… décevante malgré un bon début. Rien nous garantit que la postlogie imaginée par Georges Lucas aurait été meilleure mais elle aurait au moins été plus légitime.