Dans une galaxie pas si lointaine,


Les magasins ont rempli de goodies et de fringues leurs étalages, les stations de métro ont arboré affiches et décorations starwarsiennes, les bandes-annonces ont pullulé sur la toile, les théories les plus folles ont commencé à naître sur les forums et les réseaux sociaux. Une galaxie dans laquelle la machine marketing s'apparente à un véritable bulldozzer ayant pour but de vous cueillir où que vous soyez, même si vous vivez dans une grotte.


Tout ça, c'est bien. Mais le film, qu'en est-il ? Car c'est après tout ce qui a le plus d'importance, d'autant que les fans étaient restés sur leur faim après une prélogie aux qualités très discutables. La question qui nous brûle tous les lèvres depuis plusieurs mois est : "Est-ce que J.J. Abrams a réussi à remettre la saga la plus mythique de l'histoire du cinéma sur les bons rails ?". Et pour ne pas vous faire languir, je vais y répondre fissa : "Oui !". Maintenant, il faut admettre que tout n'est pas rose et que quelques couacs sont à noter.


Alors avant d'aller plus en avant cher lecteur, prends bien garde à ce que tu lieras, car contrairement aux autres senscritiqueurs, je n'adresse certaines de ces lignes qu'à celles et ceux ayant vu le film. Ca va spoiler sévère dans les chaumières, donc arrête-toi de me lire illico si tu es encore profane en la matière. Mais comme je suis un type sympa, j'utiliserai la bannière "Spoiler".


L'HÉRITAGE LACUNAIRE, LA FORCE RETROUVÉE


J.J. Abrams l'avait promis, et il faut le reconnaître, il n'a pas menti. La première chose qui frappe lorsque l'on passe moins de dix minutes devant le film, c'est que la bouillie numérique nous a été grandement épargnée. C'est d'autant plus louable que nous vivons à une époque durant laquelle les fonds verts sont la solution à tous les problèmes des studios et des réalisateurs hollywoodiens, uniformisant à outrance la patte graphique du cinéma américain, et pas forcément dans le bon sens du terme. De George Lucas à Peter Jackson, de Lord of the Rings à Star Wars, le constat est frappant et même alarmant : Les trois volets du Hobbit ainsi que les épisodes I, II et III de Star Wars sont laids, sonnent faux, et gâchent d'autant plus notre plaisir que notre point de comparaison avec les opus précédents les dessert. J.J. Abrams prend à contrepied cette mode et nous offre un véritable récital visuel construit sur la base de trucages mécaniques qui n'abîme en rien notre rétine, ce qui est, j'insiste sur ce point, un véritable exploit pour un film de 2015.


Il aurait pu s'en contenter. Mais ce serait mal connaître J.J. Abrams. Car non seulement son approche visuelle est la bonne, mais sa mise en scène est riche, maîtrisée, pétrie de merveilleuses idées, et peu avare en trouvailles esthétiques. Sa façon de filmer les combats entre les vaisseaux spatiaux notamment est ce que j'ai vu de mieux dans le genre depuis Star Wars, épisode III : La Revanche des Sith. En témoigne la séquence durant laquelle


un X-Wing vole et virvolte au-dessus de la tête de Finn en éliminant tour à tour les Tie Fighters et les Stormtroopers au sol


avec un découpage en tout point exemplaire. Car là où Star Wars : Le Réveil de la Force frappe également fort pour un film de notre époque, c'est en choisissant d'éviter l'écueil du surdécoupage si cher au coeur des monteurs d'aujourd'hui. Un montage tout en nuance et qui prend le temps de donner aux plans essentiels une âme pour que l'ensemble prenne vie à mesure que notre regard s'imprègne du spectacle lui étant proposé. En cela, la réputation arborée par J.J. Abrams de digne fils des Movie Brats n'est en rien usurpée.


Un petit bémol cependant : on notera quelques couacs au niveau du rythme dans le dernier acte du film, mais également un problème de langage cinématographique tant Abrams paraît parfois dépassé par la grammaire starwarsienne, notamment en terme de poétique. Car une analyse fine et poussée de la saga révélera que Lucas a instauré une forme de cycle dans laquelle des éléments visuels, sonores et scénaristiques se font écho. En effet, à la manière d'un poète, Lucas s'est amusé des rimes qu'il a construit autour de sa mythologie : la main coupée de Luke qui répond à celle perdue par Anakin puis, plus tard, à Dark Vador ; les formes géométriques qui traversent l'écran dans un sens puis dans l'autre lorsque le cinéaste filme le balai graphique des impériaux dans l'espace ; les chartes colorimétriques qui se répondent les unes aux autres et rappellent à nos souvenirs un lieu ou un événement... Star Wars est une saga qui se répond à elle-même, et Abrams l'a compris en convoquant dès l'ouverture du film


le sable chaud de Jakku qui ne manquera de nous rappeler les débuts de l'épisode IV se déroulant sur Tatooine.


Mais si cette grammaire s'étend à la saga, elle s'avère également intrinsèque à chaque opus, et c'est là qu'Abrams n'a pas su répondre présent aussi brillamment qu'on l'espérait. C'est néanmoins un détail, mais il est dommage de ne pas voir l'épisode VII se faire écho à lui-même aussi bien qu'il arrive à le faire avec les épisodes I à VI. Un manque de maîtrise que l'on pourrait d'ailleurs étendre à l'utilisation des volets si chers au coeur de Lucas pour segmenter les chapitres de sa saga et pas toujours très bien employés par Abrams et ses monteurs Maryann Brandon et Mary Jo Markey - parfois brutaux, souvent inexplicablement absents.


Autre bémol - et non des moindres, le foirage complet de la séquence la plus importante du film : mal filmée, mal écrite, mal interprétée, la scène qui débouche sur la fin tragique de Han Solo manque cruellement de ce génie loué quelques lignes plus haut. De part l'hésitation bien trop prononcée de la remise du sabre laser entre les mains de Han qui nous permet de voir arriver à 20 km à la ronde la décision que va prendre Kylo Ren de se débarrasser de tout ce qui le rattache à celui qu'on appelle Ben, à l'absence totale d'émotion que cette séquence suscite alors que, bordel de merde, c'est quand même Han Solo qui claque, l'événement de cet épisode devient un non-événement fort préjudiciable.


LE RESPECT DE L'OEUVRE vs. LA PRISE DE RISQUE


Pourtant, côté trame narrative, nous ne sommes pas en reste, l'histoire s'inscrivant dans la lignée des précédents opus, avec une fin suffisamment poignante pour nous donner envie d'étrangler notre voisin quand le générique de fin débute. "Vivement la suite !", nous dirons-nous. Preuve en est que nous souhaitons connaître le dénouement de la dramaturgie mise en place dans cet épisode où tout commence avec ce qu'il faut de perspectives pour se sentir comblé par l'infinité de possibilités s'ouvrant à nous. Surtout, J. J. Abrams, Lawrence Kasdan et Michael Arndt nous épargnent l'humour lourdingue caractérisé par le personnage de Jar Jar Binks de la prélogie en nous gratifiant d'un BB-8 autrement plus malicieux et sympathique. Assurément la bonne surprise de cet épisode VII, car l'humour dispensé à travers ce droïde fait mouche à chaque fois. Néanmoins, on aurait aimé certaines révélations mieux amenées, à commencer par l'annonce de l'identité de Kylo Ren qui tombe un peu comme un poil de wookie sur le potage.


Pourquoi par exemple ne pas avoir attendu la confrontation entre Ren et son père pour nous le balancer à la tronche ? L'écho avec l'épisode V n'aurait été que plus fort à mon humble avis. Idem pour le dévoilement de son visage : pourquoi ne pas avoir attendu cette même confrontation pour découvrir sa gueule de con ? Le fait d'avoir auparavant enlevé son casque devant Rey est non seulement inutile, mais gâche également la force des retrouvailles entre Han et son fils tant la séquence aurait gagné à ce que Kylo Ren daigne apparaître sous son jour "humain" seulement devant le père qu'il s'apprête à tuer.


Bien sûr, on pourra pester sur l'absence de prise de risque de la part des scénaristes tant Le Réveil de la Force ressemble à s'y méprendre à un remake d'Un Nouvel Espoir. Mais n'ai-je pas déjà dit que Star Wars était une question de cycle qui se répète inlassablement, tant visuellement que scénaristiquement ? La critique serait trop facile, ou alors il faudrait faire le même reproche au Retour du Jedi qui après tout remet exactement le même couvert que l'épisode IV avec le trio Death Star / Rebelles informés / Rebelles victorieux. Or, je n'ai jamais entendu quiconque s'en plaindre pour autant que je sache.


CASTING : SURPRISE SUR CRISE


Autre (très) bonne surprise, Daisy Ridley dans le rôle de Rey, le véritable petit coup de génie d'un casting se trouvant sublimé par les performances hautes en couleur de Harrison Ford et d'Oscar Isaac. Classe, envoûtante, forte à l'image de la femme-combattante instaurée par Ridley Scott dans Alien, le huitième passager, Ridley fait des débuts tonitruants qui ne peuvent qu'interpeller. On regrettera en revanche le peu de charisme dégagé par l'autre personnage principal du film, Finn, interprété par un John Boyega qui fait ce qu'il peut pour être à la hauteur mais qui n'y parvient que dans les moments les moins dramatiques. Pire encore, Adam Driver, l'acteur en charge de donner vie au démoniaque Kylo Ren, ne dégage rien d'autre que l'envie de lui coller trois claques et de le foutre au pieu


sitôt son masque ôté dans les deux séquences où le Sith palabre à visage découvert. Un acteur qui est disons-le plutôt laid, avec un manque de classe sidérant, dans la peau d'un personnage qui se veut l'héritier direct de Dark Vador, ça la fout vraiment mal.


En espérant voir l'épisode VIII corriger grandement cette bévue, d'autant que le leader suprême Snoke n'inspire pas le dixième de crainte que nous inspirait l'Empereur dans les épisodes V et VI. D'ailleurs, à titre de comparaison, on pourra penser ce que l'on voudra de l'épisode I, mais en attendant un méchant comme Dark Maul avait bien plus d'arguments maléfiques à faire valoir : sa réussite était incontestable tant il inspirait la crainte tout en ayant une classe folle. Or, passer de Dark Maul puis de Dark Vador et Dark Sidious à Kylo Ren et Snoke, pour l'instant, ladite comparaison a de quoi souligner une légère déception auprès d'un public toujours plus friand de manichéisme dans un monde où Bien et Mal sont antagonistes à travers l'usage de la Force.


JOHN WILLIAMS : L'ÂGE DE L'ARRÊT-SON


Maintenant, je dois terminer sur le gros point noir de cet épisode VII : la musique. S'il y avait un point sur lequel je l'attendais au tournant, c'est bien sur le travail fourni par John Williams qui avait réussi en 1999 l'exploit - et je pèse ce mot - de donner une suite à la symphonie des étoiles qu'il avait écrit vingt-deux ans plus tôt. Car qui ne se souvient pas de Duel of Fates ou encore d'Across the Stars ? Certes la prélogie est ratée sur de nombreux points, mais musicalement parlant, c'est un pur chef-d'oeuvre dans la parfaite continuité des scores écrits par le maestro pour la première trilogie. Alors comment ne pas piailler d'impatience en imaginant quelles trouvailles orchestrales Williams allait nous faire grâce pour ce nouvel épisode ? Et pourtant, quelle ne fut pas ma déception en écoutant cet OST... Pour résumer le problème, imaginez aller à un concert de Metallica et que, pour la dernière chanson, le groupe en vienne à jouer du Charles Aznavour : quelque chose clocherait. C'est le même effet que font certains nouveaux thèmes de cet épisode VII car Williams a fait du Williams période 2000-2010 là où les six précédents OST dépeignaient un style développé entre les années 1970 et 1990. De fait, même si les nouvelles musiques sont subtiles et mélodieuses, elles ne collent pas toujours avec les thèmes épiques et romantiques des scores précédents. Nul doute qu'un mélomane appréciera un tel niveau de composition, mais le fan de Star Wars qui lui associe une certaine identité musicale la trouvera à certains moments à côté de la plaque. On pourra à ce titre lire ici et là des reproches sur le peu de leitmotivs, sur le manque de nouveaux thèmes, sur des ressemblances bien trop importantes entre le thème de Snoke et le Palpatine's teachings. Preuve en est que l'approche musicale de Williams pour ce nouvel opus ne sied pas à tout le monde.


De manière plus globale, c'est l'impression d'inachevé qui prédomine. Voire d'inégalité. Car si certains thèmes sont profondément travaillés, notamment le thème de Rey et ses trois motifs caractérisant l'évolution du personnage (d'un motif plus aérien via un système pentatonique à un motif plus lyrique dans lequel viennent se mêler cordes et cors en passant par un motif plus organique où flûte, harpe et célesta se répondent), d'autres sont en revanche plus discrets quand bien même les personnages ou les événements qu'ils accompagnent ne sont pas moins présents à l'écran que la jeune aventurière. C'est notamment le cas de Finn dont l'identité musicale est, chose étrange, nettement plus en retrait alors qu'il est le second personnage principal. Et que dire des thèmes développés autour du personnage de Kylo Ren, qui en l'état aurait bien besoin d'un développement plus conséquent étant donné la complexité supposée du personnage. Les deux motifs l'accompagnant (l'un décrivant la menace qu'il représente et l'autre exprimant son attirance pour le côté obscur) ne sont en l'état et hélas pas suffisants. En somme, un sentiment d'incomplétude vient alors nous saisir là où John Williams nous avait donné le sentiment d'une oeuvre pleine et entière dans les précédentes trilogies.


En revanche, entendons-nous bien : les yeux bandés, une main dans le dos, et même sourd, John Williams compose des musiques qui sont à des galaxies ultra-lointaines de ce que font tous les autres compositeurs sévissant à Hollywood. Là où l'ensemble prône un sound design sans saveur ni candeur, Williams s'accroche à ses rêves symphoniques et nous entraîne avec lui mieux que n'importe qui. Le score de Star Wars : Le Réveil de la Force fait partie de cette caste. Mais comment ne pas pester sur le manque d'audace et d'inspiration dont fait preuve Williams, lui qui nous a habitué à tellement plus épique que les quelques morceaux qu'il a composé pour l'épisode VII ? Tout juste pourrions-nous dire qu'il a fait le job, mais ce n'est clairement pas ce que l'on attend d'un score composé par John Williams himself, et plus encore quand il s'agit de Star Wars. C'est en tout cas à ce jour sa plus faible performance orchestrale pour cette saga, et j'ose espérer que ce serait davantage dû à un manque d'inspiration passager que du fait de son grand âge car, sitôt Williams disparu, il ne nous restera que les Hans Zimmer et autres Alexandre Desplat. Et autant dire qu'il y aura de quoi regretter les Maurice Jarre, les James Horner, et toute cette veine de compositeur romantique qui n'ont à ce jour aucun équivalent et trop peu d'héritiers.


Maintenant, j'aimerai terminer sur le fait que bien que j'ai souligné un grand nombre de problèmes inhérents à ce Star Wars : Le Réveil de la Force, mon plaisir n'en a pas été gâché pour autant. La liste des défauts est importante, mais à mes yeux celle des qualités l'est bien plus. Ce Star Wars a beau être imparfait, il remplit pourtant avec une réussite insolente son cahier des charges. Car, pour paraphraser la citation d'un vieil ami, c'est en exigeant la perfection qu'on finit par passer à côté.

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le 16 déc. 2015

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Kelemvor

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