Très peu de films ont dû susciter le même genre d’attente que celle créée par l’annonce de la réalisation de nouveaux épisodes de Star Wars. C’est dire à quel point la série, la plus mythique du septième art, et dont la portée transcende largement ce simple medium, est l’un des phénomènes culturels les plus importants de notre génération. Alors que George Lucas a offert au monde l’un des univers de fiction les plus merveilleux qui aient été imaginés, il y a de cela trente-huit ans, que l’on parle déjà de gros sous et de records au box-office, et que chacun y va de sa petite critique, il est temps de se demander ce que vaut ce « Réveil de la Force ».


Je ne prendrai pas de pincettes ici et je le dis sans détour : que ceux qui veulent éviter d’être spoilés passent leur chemin et aillent d’abord enrichir Disney – à d’autant plus forte raison si vous avez la chance de devoir payer quelques euros supplémentaires pour vous abîmer les yeux avec cette affligeante 3D.


Aux commandes du film, on trouve un certain J.J. Abrams – de son prénom Jeffrey Jacobs –, connu entre autre pour « Lost » et son utilisation enthousiaste du "lens-flare". Il s’agit également, hélas, du réalisateur a qui l’on doit les immondes « Star Trek » récents (non pas que les anciens soient bons). Le bonhomme faisant preuve d’une retenue et d’un respect quasi-religieux envers l’œuvre de Lucas, et les quelques trailers aguichant habilement le spectateur, l’on se prend presque à espérer pouvoir rêver à nouveau.


L’action de ce nouveau film est située trente ans après la conclusion des évènements du cycle original. La victoire a permis de rétablir la République, mais les tentatives de Luke Skywalker pour remettre sur pied l’ordre Jedi ont tourné court. Visiblement meurtri par cet échec, le dernier maître s’est exilé, sans que personne ne sache vraiment où.


D’autres évènements plus graves ont survenu. L’apparition d’un nouvel ennemi, le Premier Ordre, à la tête de légions de stormtroopers, menace la stabilité et la paix de la galaxie. Heureusement, la République dispose de combattants courageux, qui mènent la lutte face à cet envahisseur. Cette "Résistance" s’est lancée à la recherche de Skywalker – également pourchassé par le nouvel ordre mondial (euh, galactique). Tout l’enjeu consiste donc à retrouver une carte permettant de dénicher le Jedi perdu.


Si cela vous rappelle quelque chose, ce n’est pas anormal.


C’est, d’ailleurs, l’impression qui prédomine lorsque l’on découvre le scénario de ce nouvel opus. Dès le générique, passé le frisson grisant dû à l’apparition de ces lettres géantes mythiques, les mots "Résistance", "Premier Ordre" laissent entrevoir les fils d’une intrigue déjà bien connue. La scène d’ouverture, l’assaut victorieux d’une troupe de stormtroopers, l’arrivée très théâtrale de leur commandant, visiblement roué aux arts Sith, et la transmission du document secret à un droïde, pêche immédiatement par son manque d’originalité. Et ce n’est que le début ! La suite du film parachève ce sentiment révoltant de recommencement, tant les passages sont semblables à ceux que l’on avait eu le bonheur de découvrir bien des années plus tôt. Chasse au trésor, planète ensablée, station géante et assaut final : rien ne manque.


L’idée derrière est évidente : il s’agit d’en appeler à la nostalgie du spectateur, de l’amener à rêver dans un univers connu en reprenant la trame d’une histoire adorée. Outre le scénario, quasiment identique, Abrams multiplie les clins d’œil à la trilogie originale, dont le spectre est omniprésent. Musique, vaisseaux et personnages bien connus font leur retour, et, si c’est toujours un plaisir de revoir Han Solo et sa dulcinée, un peu de nouveauté aurait été bienvenu.


Le problème avec cette stratégie, c’est à la fois le manque d’intérêt terrible qu’il y a à redécouvrir la même histoire, et le simple fait que tout souffre de la comparaison avec son illustre aîné, tellement meilleur sur tous les plans. Il est particulièrement triste de constater la pauvreté du scénario et le manque total d’initiative de la part de l’équipe d’écriture. Visiblement, dix années, deux cent millions de dollars et toute la richesse de l’univers étendu – pas toujours grandiose, soit, mais à tout le moins original et varié – n’ont permis aux scénaristes que d’accoucher d’une histoire pathétiquement identique à celle que nous contait Lucas en 1977. Quand on songe aux possibilités infinies qu’ouvrait la vente des droits à Disney, il y a de quoi être en colère, à la fois contre le studio et le réalisateur. Mais, au final, tout ceci ne constitue qu’une nouvelle manifestation de la gangrène actuelle du cinéma américain, dont les principales caractéristiques sont aujourd’hui un manque de courage terrible, et un refus pathologique du risque et de l’originalité.


Outre la tragique banalité de l’histoire, le film réussit l’exploit d’exacerber les défauts de son prédécesseur tout en gâchant ce qui faisait son charme. Ainsi, le premier Star Wars faisait preuve d’une parfaite maîtrise du rythme, enchaînant un nombre incroyable de découvertes et de péripéties tout en trouvant le temps de se poser – ce qui ne gênait nullement l’intensité de l’action. Le spectateur, presque passager du Faucon Millenium, profitait de ces moments privilégiés pour découvrir, au même titre que le jeune Luke, l’histoire de la Force et de la naissance de l’Empire. Le blockbuster d’Abrams semble malheureusement soumis aux impératifs Hollywoodiens du XXIe siècle : tout doit aller à toute vitesse, et jamais un instant de répit n’est octroyé, ni au public, ni aux personnages. L’on se prend pourtant à espérer, alors que l’on se réunit dans la salle commune du Faucon, le danger écarté. Hélas, la scène est de courte durée – tout juste le temps nécessaire pour digérer l’hommage et applaudir la référence. Well done Gigi. À l’inverse, l’Etoile de la Mort de la trilogie originale et ses faiblesses structurelles (les ingénieurs de l’Empire n’étaient visiblement pas très habiles) étaient déjà un peu gonflantes, mais s’effaçaient très vite pour laisser place aux seules machines impériales dignes de ce nom : les destroyers stellaires et les redoutables quadripodes, stars de « L’Empire contre-attaque ». Brillante idée que de reprendre ce concept en poussant le ridicule encore plus loin ; faute d’un genre de lune artificielle capable de détruire des planètes, c’est ici un monde tout entier aménagé pour exploser des systèmes solaires complets que l’on nous propose. Sérieusement, il y a des gens pour trouver ça cool ?
Le seul point positif, c’est que cela donnera peut-être de belles boites de Lego dans quelques temps…


Cette démesure dans la surenchère permanente, cette idée de "toujours plus", est symptomatique du manque de subtilité cruel du réalisateur. Par exemple, toute la symbolique bicolore, glaciale et efficace de l’Empire, laisse place à une esthétique ratée et tristement nazie pour son successeur, le "Premier Ordre". Bobba Fett, l’un des méchants les plus réussis et charismatiques de la trilogie originale, trouve aussi une bien pâle copie ici en la personne d’une capitaine stormtrooper au petit rôle, qui n’a, finalement, du grand Bobba, que l’armure chromée. J’en profite pour dire un mot sur les méchants, qui sont tous abominables. Le pire, c’est évidemment la pâle copie de Darth Vader affublée d’un masque de Darth Revan (pour ceux à qui cela ne dit rien, si vous avez du temps et du courage, vous pouvez essayer l’excellent jeu vidéo « Knights of the Old Republic »). Le sous-fifre, le général Rouquin, se distingue par son interprétation ratée, et aurait mieux fait de rester à la comédie sentimentale gentillette. Enfin, l’effet de surprise de l’apparition du "big-boss" est malheureusement annihilé en une seconde ; son apparence, à mi-chemin entre l’esthétique immonde d’un « Prometheus » et des cloneurs de Kamino, ne présage rien de bon pour la suite. On retrouve aussi, bien évidemment, toutes les thématiques familiales de Star Wars – qui n’est, au final, rien de plus que la chronique d’une famille dysfonctionnelle (à quand un SW dirigé par Woody Allen ?). Seulement, c’est encore traité avec moins de finesse que dans l’œuvre originale. Le passage paroxystique du film, la rencontre sur le pont d’un père et de son fils – énième clin d’œil à la première trilogie – est à la fois horriblement mal jouée (mais, ce n’était pas mieux avant) et très peu surprenante. On voit tout venir ! Cela dit, cette filiation semble par trop évidente : aucun indice n’est laissé au spectateur et elle est connue et annoncée d’emblée par les personnages. On s’en doute, la "vraie" révélation aura donc lieu dans les épisodes suivants. Et puis, quoi de mieux pour préparer le terrain qu’un abandon familial sur une planète désertique (hommage), qu’un passage sorti de l’épisode V, et qu’une sympathique bagarre entre cousins ? Qu’imaginer de mieux qu’un retour de la fille prodigue à son papa pour conclure le film ?


Il convient néanmoins de rendre justice à Abrams : tout n’est pas à jeter dans le film, y compris dans les ajouts et rares touches personnelles qu’il apporte.


Il faut le reconnaître, c’est un sacré pied que de revoir Star Wars au cinéma. Je suis un très grand fan de la saga originale, et je suis convaincu qu’ouvrir l’univers à d’autres initiatives demeure une bonne idée. L’arc de la famille Skywalker constituera toujours le cœur et la colonne vertébrale de l’univers, mais cela n’est pas une raison pour se priver de conter les myriades d’histoires secondaires qui peuvent essaimer dans une galaxie aussi vaste et riche. L’univers étendu, au travers de quelques séries de livres, et surtout de quelques titres de jeu vidéo, possède également ses pépites, bijoux d’écriture et de personnages passionnants. Je ne me qualifierai donc pas de puriste, et je trouve que permettre à d’autres scénaristes et réalisateurs de conter leurs histoires dans l’univers Star Wars procède d’une bonne intention.


Donc, en fanboy de base, dès qu’apparaissent les lettres géantes et les premières notes de cette mélodie légendaire, je suis dans le même état qu’un gamin de cinq ans déballant ses présents un 25 décembre.


Outre l’immense plaisir qu’il y a à retrouver l’univers – heureusement traité avec une déférence admirable par Abrams – quelques nouveautés bienvenues sont à mettre au crédit de ce nouvel épisode. La plus grande réussite du réalisateur, c’est le personnage de Rey, interprétée par Daisy Ridley. Des trois acteurs de la nouvelle génération, avec le déjà bien établi Oscar Isaac et l’inconnu au bataillon John Boyega, elle est de loin celle qui s’en tire le mieux. Tout n’est pas parfait : l’un des charmes de la trilogie originale résidait dans l’équilibre bien mesuré entre les trois personnages principaux. Ainsi, Luke maniait la Force et le sabre, Han avait sa classe naturelle et pilotait comme pas deux, et Leia, l’âme du trio, se réservait les bons mots. Le problème ici, c’est que toutes ces qualités sont concentrées sur un seul personnage : Rey possède le background interlope, se faisait ferrailleuse là où Han était contrebandier, pilote, se bat, maîtrise la Force (en quelques minutes, mais ceci est une autre histoire) et promène son joli minois avec une aisance prometteuse. Alors, elle est certes bien partie pour devenir le personnage le plus badass de la saga, mais ses partenaires risquent fort d’être cantonnés à des rôles de faire-valoir. Ridley étant de loin la plus agréable à l’œil, ce n’est pas vraiment grave cela dit.


On pourra citer également une réalisation plutôt correcte : les scènes d’action ne laisseront un souvenir impérissable à personne, mais elles ont le mérite d’être filmées avec une relative sobriété. À quelques exceptions près, le film se laisse voir sans mal. Enfin, il y a parfois des efforts à saluer sur la direction artistique ; le destroyer stellaire ensablé sur Jakku est une idée brillante, et la première séquence de Rey dans cet immense cimetière silencieux est très réussie.


Bon, je me suis peut-être un peu trop épanché, et les élucubrations d’un fan aigri n’intéressent sans doute pas grand monde. Alors, pour résumer, voilà un résumé de ce qui ne va pas avec ce « Réveil de la Force » de J.J. Abrams :



  • Aucune prise de risque, aucune originalité de scénario : l’on se
    contente de nous recracher une histoire déjà bien connue, et mieux
    traitée, dans la trilogie originale. Il n’y a plus qu’à espérer qu’il
    s’agissait pour Disney d’une manière de "tâter le terrain" avant de
    proposer du neuf, mais j’en doute.

  • De bonnes idées… très mal exploitées. Les méchants qui occupent
    l’écran manquent cruellement de charisme, la stormtrooper chromée
    avait plus d’intérêt, mais s’efface au profit du rouquin dont la
    performance est confondante de maladresse. Kylo Ren est pitoyable, il
    n’y a bien que le guide suprême pour conserver un semblant de
    mystère.

  • Très peu de nouveauté : mêmes adversaires (les stormtroopers), mêmes
    vaisseaux, mêmes enjeux. En trente ans, l’on aurait pu imaginer une
    foule de nouveaux engins spatiaux, des ennemis plus retors, plus
    différents… mais non.

  • Peu de subtilité.


Le pire dans l’histoire, c’est qu’en dépit de tous les défauts de ce film, et de la déception cruelle constituée par cette intrigue absolument copiée de la trilogie originale, je suis quand même diablement content de retrouver cet univers chéri en salles obscures. Les méchants sont pathétiques, Leia s’est empâtée, Han disparaît trop tôt, et les nouveaux personnages, à l’exception notable de Daisy Ridley, ne sont pas très réussis.


Et pourtant, j’ai très envie de connaître la suite, j’attendrai le prochain film avec une certaine envie, et j’irai sans doute le voir en salle très vite après sa sortie, quitte à devoir subir cette 3D abominable qui me donne systématiquement mal au crâne.


Putain.

Aramis
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le 19 déc. 2015

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