Paresse du scénario, étroitesse des enjeux, mauvais remake ou reboot de la première trilogie, plagiat, absence de prise de risques, intrigue sans surprises… A l’opposé de la réception dithyrambique d’une large partie de la critique, nombreux sont ceux qui n’ont pas hésité à exprimer leur déception, leur dégoût, voire leur haine envers Le Réveil de la Force, le septième volet de la saga Star Wars, le marketing délirant érigé autour du film amplifiant d’autant plus l’accablement des plus réticents. Nouvelle figure de proue du débat typique entre l’universel et le simpliste, relancé en 2009 avec la sortie d’Avatar de James Cameron, Le Réveil de la Force est le parfait exemple du blockbuster tiraillé entre son pesant cahier des charges imposé par les studios et son devoir de renouveler les codes de la franchise à laquelle il appartient, entre sa volonté de respecter les désirs des anciens fans et de marquer les jeunes générations. Au-delà de la trop simple dichotomie du « J’aime / J’aime pas », la question n’est pas de savoir s’il faut voir ou ne pas voir Le Réveil de la Force, mais plutôt comment le voir, comment l’appréhender. Quel regard porter sur la nouvelle poule aux œufs d’or de Disney, sur un film hanté par la nostalgie de ses glorieux ancêtres et destiné à leur succéder en introduisant sa propre saga au sein d’une mythologie déjà bien établie ?


Ce qui frappe au premier abord, c’est la constante posture d’humilité adoptée par Abrams par rapport à ses modèles (les épisodes 4 à 6 essentiellement). Visuellement, le film impose une tournure, une apparence rétro qui le place dans la parfaite lignée esthétique de la première trilogie (utilisation de la pellicule et de lentilles anamorphiques Panavision, décors réels, effets spéciaux de plateau). A cette patine vintage – particulièrement appréciable face à l’homogénéité numérique fade et hideuse des blockbusters actuels – s’ajoute un jeu d’échelles permanent dans le cadre, conférant aux éléments repris des anciens épisodes une stature de gigantisme (épaves impressionnantes issues de la guerre entre l’Empire et la Rébellion) en forme d’hommage révérencieux. Une humilité qui s’inscrit également dans le traitement des nouveaux personnages, pour lesquels Luke Skywalker et Han Solo, l’ordre Jedi et le côté obscur constituent une véritable mythologie, mais aussi dans un cadre introspectif, dans la mesure où le film témoigne directement du trac de son réalisateur, de ses doutes à l’idée de succéder à ses modèles. Véritable relai intradiégétique d’Abrams, le personnage antagoniste de Kylo Ren, torturé par un inavouable complexe d’infériorité, emblématise à lui seul cet écartèlement, étouffé par la figure tutélaire, sacrée, de Dark Vador (à laquelle il voue un véritable culte, à l’image des fans de la première heure) et ses propres désirs de grandeur maléfique. Son dilemme est celui d’un réalisateur de blockbusters, tiraillé entre sa posture de faiseur soumis aux studios (Kylo Ren est montré comme l’homme de main du Premier Ordre) et son ambition de faire un grand film (Kylo recherche l’excellence dans le côté obscur).


Conscient de sa posture, Abrams nous livre un film d’aventure à l’ancienne, à la fois humble et paradoxalement puissant dans sa confession d’humilité, tirant sa force non pas d’une mise en scène tape-à-l’œil recherchant le spectaculaire à tout prix, mais du regard éperdu et nostalgique qu’il porte sur la grandeur de ses maîtres, dans la distance idéale à maintenir par rapport à leur tutelle. Ayant parfaitement saisi la dimension opératique de la saga Star Wars, il construit son épisode comme une variation sur un même thème, d’où la reprise en miroir inversé, souvent incomprise, d’éléments scénaristiques des opus précédents. Rey vit sur une planète semblable à Tatooine, mais elle n’est pas un nouveau Luke Skywalker, sa mentalité casanière s’opposant aux rêves d’émancipation de ce dernier. Une scène tragique héritée de L’Empire contre-attaque par son décor en renverse le sens, passant d’un aveu de paternité à un terrible renoncement de filiation. Quant à la séquence typique de destruction de l’arme ultime de l’ennemi, ici crépusculaire en diable, elle correspond certes au désir cathartique de défaite de l’antagoniste, mais de manière plus viscérale, la menace du Premier Ordre étant représentée avec une cruauté et une barbarie encore inédites dans la saga.


Et c’est bien là que Le Réveil de la Force se démarque de ses prédécesseurs, dans le visage humain qu’il donne ou redonne à leurs icônes. Qu’il s’agisse de Finn, le stromtrooper déserteur, ou de Kylo Ren, le sale gosse colérique du côté obscur, le film tombe les masques, littéralement, amplifiant considérablement notre empathie pour les personnages, quel que soit leur camp. Le scénariste Lawrence Kasdan, après avoir brillamment sacralisé les héros des anciens épisodes, se lance ici dans une entreprise de démythification pour mieux nous les faire redécouvrir, pour mieux réenchanter leur aura dans le cadre d’une intrigue d’héritage. Le Réveil de la Force redonne à Star Wars sa vocation de saga familiale. Loin des développements politiques fumeux et de la volonté de rationalisation quasi scientifique de la prélogie, ce septième volet remet au goût du jour un univers rétro futuriste tangible, vivant et crasseux, replace la Force dans un contexte purement mystique et se recentre sur les personnages, leur progression dramatique et leurs interactions.


Si l'on peut certes lui reprocher quelques facilités et un emploi du virtuel tellement parcimonieux que ses rares utilisations sonnent presque comme une faute de goût (le Suprême Leader Snoke), Le Réveil de la Force se donne à voir comme un modèle de divertissement, rythmé et prenant, un épisode de transition qui s’érige comme la base réussie d’une nouvelle trilogie (attendons la sortie des prochains volets pour vraiment en juger les enjeux), mais surtout comme un objet filmique de pur plaisir, couronné par un morceau de bravoure final dans une forêt enneigée nous offrant le plus beau combat au sabre laser depuis des lustres, et un plan de conclusion muet qui nous bouleverse tout autant que son démiurge en larmes, en nous promettant une suite explosive. Vivement 2017 !


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le 4 janv. 2016

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