Parler de Star Wars revient, en quelque sorte, à parler de soi. Quoi de mieux donc, alors que je revoyais le film pour la quatrième fois, que de raconter mon expérience, non pas avec la saga de Georges Lucas, mais avec ce septième opus ? Comme beaucoup je pense, j’accueillis la nouvelle du rachat de Lucasfilm par Disney, fin 2012, avec la plus grande indifférence. Pas même les quatre milliards alignés par la firme aux grandes oreilles ne surent éveiller chez moi une quelconque émotion ou m’arracher le moindre rictus d’indignation. Il est vrai que les transactions milliardaires d’Hollywood ne m’intéressent que peu, et les acquisitions de Pixar (2006) et de Marvel (2009) ne m’émurent d’ailleurs pas davantage en leur temps, mais la simple évocation du nom de Lucas aurait normalement dû provoquer quelques soubresauts en moi (je ne m’explique toujours pas cette neurasthénie passagère). L’annonce de la mise en chantier d’une troisième trilogie, en revanche, su me tirer de ma torpeur et piqua ma curiosité ; non pas que la jugeasse alors nécessaire ni même pertinente, mais plutôt que la perspective de retrouver ma « galaxie lointaine, très lointaine » préférée, à l’horizon 2015, m’enthousiasma plus que les détails financiers et stratégiques de l’opération. Mais quoique mon sismographe enregistra encore quelques secousses les jours suivants, ce fut tout du réveil de la Force chez moi.


Les années passèrent, les rumeurs les plus folles émergèrent ci et là à mesure que Disney, faisant montre de la puissance de sa branche marketing (qui doit bien représenter les trois-quarts de sa masse salariale), distillait savamment de nouvelles images du film ou du tournage (sans jamais qu’aucune me parvienne d’ailleurs), et la Force sommeillait toujours profondément en moi. Puis, un jour, la fièvre reprit. Au fin fond de la galaxie, une étoile gelée depuis des années s’était ravivée et avait envoyait jusqu’à moi ses rayons de lumière. Une tempête avait secoué l’univers lointain et le peu qui m’en parvint avait suffi à ébranler les hauts murs de ma cinéphilie endormie. Bref, j’avais souffert en moi, comme un éréthisme, le réveil de la Force. Les quelques secondes de la première vidéo promotionnelle de l’épisode VII avaient en effet eu raison du long sommeil de mes midi-chloriens : la Force s’était réveillée en moi et elle allait le rester les douze mois suivants, jusqu’au mercredi 16 décembre 2015, au soir, plus exactement. Je fus ainsi de ces quelques-uns qui, s’étant pressés dans les rares cinémas retransmettant en France la Star Wars Celebration Anaheim qui se tenait au même moment en Californie, avaient découvert la première bande-annonce du film en direct et sur grand écran. Je fus également de ceux qui, dès la possibilité de le faire, avaient réservé leur place pour le jour même de sa sortie. Je comptais enfin parmi la foule des badauds qui, chauffés à blanc, s’étaient précipités, deux heures avant le début de la séance, devant l’entrée du cinéma. Bref, j’étais on ne peut mieux disposé envers le film au moment où la salle, tel un étudiant plongeant ses pâtes dans l’eau bouillante, lâcha ses épaisses ténèbres sur ses occupants et que la toile vint délivrer ses mois (années) d’attente. Tatatatata tatatatata… Tantantantaaaaan Taaaaaan Taantaaaantaaaantaaaantaaaaaaan… STAR WARS…


Plus de deux heures après le début du film, pourtant, la Force s’en était allée se recoucher. Pourquoi ? Comment centre trente-cinq minutes avaient-elles pu avoir raison de cinq-cents vingt-cinq mille six cents ? Comment une simple séance avait-elle pu gâcher tous ces mois d’attente et de promesses ? Pourquoi le résultat n’avait pas été à la hauteur des espérances qu’il avait suscitées ? M’étais-je enthousiasmé plus que de raison ? J’objecterais qu’à peine un an auparavant et, sinon quelques accès fébriles les mois précédents, je ne m’inquiétais pas outre mesure du film à venir ou de sa prétendue qualité, laquelle me semblat démontrée de toute façon par ses différentes bandes-annonces. Etait-ce alors Disney qui avait réalisé le plus gros braquage de l’histoire du cinéma ? Quoique son film fit effectivement sauter les banques du monde entier en récoltant plus de deux milliards de dollar à l’issue de son exploitation en salles, je vois mal Disney compromettre ses intérêts futurs (l’épisode VII n’étant que le premier film d’une longue liste déjà en préparation) en sortant sciemment un mauvais film (on ne construit pas une cathédrale sur des fondations conçues négligemment). De plus, toutes les images des différentes bandes d’annonce étant présentes au montage final, je ne saurais engager Disney sur le terrain glissant de la malhonnêteté. Alors qu’était-ce ? Beaucoup de choses très probablement ; trop assurément pour en faire ici la liste exhaustive. Aussi laisserais-je de côté l’aspect purement formel de cet échec pour me concentrer uniquement sur ce qui me semble être ses deux causes principales : son œcuménisme et son forçage.


Causons d’abord œcuménisme. Courir plusieurs lièvres à la fois expose, sinon toujours, du moins la majorité du temps, à autant d’échecs. D’autant plus lorsque cet universalisme soudain relève plus du placement financier que de la philosophie des lumières : il ne s’agit pas de chercher ici le consentement de la majorité mais de récolter son blé, semé plusieurs années auparavant et généreusement entretenu depuis au gré des divers épandages promotionnels. En témoigne sa trajectoire au box-office mondial ; la récolte fut si mûre en ce mois de décembre 2015 que les moissonneuses-batteuses de Disney ne jugèrent pas nécessaire d’attendre 2016 pour en faucher la moitié (le film franchit la barre du milliard de dollars le 27 décembre 2015, soit douze jours après sa sortie). D’aucuns me rétorqueraient aisément qu’il n’y a rien cependant, dans cette dernière allégation, qui implique, ni même explique, la néantise, la nullité du film ; en effet, un plébiscite public ne permettant pas de conclure systématiquement à un désastre critique, rien de permet de dire avec certitude que le raz-de-marée humain provoqué par le film ne fut pas le reflet de sa qualité. Je répondrais alors à ces objecteurs que ce n’est pas tant dans la maturité du spectateur proprement dite, mais dans son processus de maturation, que le bât blesse. Pour le dire autrement, ce n’est pas la manière dont les spectateurs du monde entier se sont déplacés dans les salles qui témoigne de la nullité du film, mais celle dont les cols blancs de Disney nous y ont invité, pour le dire poliment. Plus exactement, et pour rester dans la métaphore agroalimentaire, je dirais qu’à l’instar des gros producteurs cultivant leurs avocats, bananes et autres fruits aux quatre coins du monde, et les cueillant verts en vue d’être vendus mûrs sur nos étalages, Disney a ingéré dans le processus naturel d’émerveillement du spectateur et accéléré artificiellement sa maturation. A ce titre, toute l’année 2015 peut être considérée, conceptuellement, comme une immense chambre de murissage à l’échelle de la planète. Mon récit du début trouvera ici une résonnance singulière : successivement indifférent, intrigué et impatient, je fus cueilli un an avant l’heure par le premier trailer du film, puis traité tout au long de l’année par les différentes bandes-annonces qui suivirent, pour n’être finalement, le jour J, que le produit terminal d’un long processus de conditionnement. Et d’aucuns ne sauraient me rétorquer, cette fois, que la nullité du film n’est plus ici implicite, à moins qu’ils n’aient jamais consommé le moindre avocat en provenance d’Amérique du Sud. Non seulement le film est pourri, mais le ver y a encore été sciemment introduit. La trajectoire du film au box-office permet une nouvelle fois d’en rendre compte. Comme les avocats précédents pourrissent et périssent bien avant la date, le succès du film fut de courte durée : 85% environ de ses recettes finales furent ainsi engendrées en seulement trois semaines, soit le huitième de sa durée d’exploitation totale (vingt-quatre semaines). La vitesse de remplissage des silos de Disney n’est donc que le reflet de la déliquescence progressive du film et son état de fraicheur ne doit être jugé qu’à l’aune de son désamour auprès du public. Notez par ailleurs que, le sort qu’il fit subir à votre serviteur, Disney l’infligea également à son pâle-remake-mal-rythmé-de-l’épisode-IV de film : il le voulut si gorgé d’absolument tout et si prompt à la consommation générale qu’il en omit sa comestibilité et en fit, finalement, un simple catalogue de péripéties et de brimbalements de points en points du scénario (comme je le fus moi-même de bandes-annonces en bandes-annonces pendant ma phase de conditionnement).


Si j’ai fait ce quadruple parallèle entre l’industrie agroalimentaire, Disney et son film, le public et moi-même, ce n’était pas tant pour dénoncer les pratiques de Disney, et plus généralement de n’importe quel studio de cinéma, en matière de marketing, que pour souligner ceci : quand une œuvre artistique devient une doctrine commerciale, pour reprendre les termes de Voegelin à propos de l’Evangile, elle cesse d’être une source de vie, et peut se transformer en principe de mort pour elle-même. Aussi suis-je déçu qu’entre le grand tour de magie cinématographique et le petit numéro de passe-passe financier, Disney ait si franchement tranché ; car de prestige il n’y en eut que pour ses comptables.

blig
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le 12 déc. 2017

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