Affirmer que Star Wars est un incontournable de la culture populaire est un euphémisme. Cette saga a fait rêver depuis maintenant quarante ans et a été exploité sous toutes ses formes, nous offrant le meilleur comme le pire. Il s’agissait d’une licence déjà surexploitée avant le rachat par Disney, mais cette entreprise est allée un niveau plus loin : la sortie d’un film Star Wars n’est plus un événement particulier mais une banalité annuelle, ce qui réduit fortement son impact. D’autant plus que la décision s’avère plus mercantile que créative… Nouveaux films, principaux ou spin-off, jeux vidéos, romans, comics… La licence n’a jamais été aussi influente !


Disney représente une industrie à elle seule : il est donc normal (quoique déplorable) que les films produits sous sa houlette évitent la prise de risque pour impacter le public le plus large et rentabiliser les milliards qui auraient pu être dépensés plus judicieusement. Le réveil de la force avait suivi cette logique à la lettre : des bonnes et mauvaises idées émergeaient dans un métrage qui était un pur film de studio sans prise de risque. Il lançait cependant des pistes intéressantes et attendait qu’un meilleur réalisateur s’occupe de la suite. JJ Abrams, effleurant la nostalgie sans créativité, s’est éclipsé (pour revenir après, hélas) pour céder sa place à Rian Johnson dont la virtuosité n’était plus à prouver suite à son travail sur divers séries (notamment Breaking Bad). Et le résultat est là.


Il y a beaucoup à dire sur Les derniers jedi, que ce soit en positif comme négatif. Deux constats peuvent être déjà établis : premièrement, il est généreux ! À l’instar de La revanche des sith, il s’ouvre sur une spectaculaire bataille spatiale et fourmille de scènes d’actions excellemment mis en scène. Enfin je retrouve cet esprit de Star Wars, space-opera classique mais ambitieux reconnu pour la qualité de ses batailles spatiales. Deuxièmement, et pas des moindres : il s’est révélé audacieux ! De la prise de risque dans un Disney ? On ne risque pas d’en revoir d’ici un bout de temps.


Quelques éléments dissonants se sont pourtant incrustés dans ce « spectacle ». En sortant de la salle, j’ai ressenti comme un sentiment bizarre, comme si on s’était approprié pour en élaborer une version nouvelle : une aura unique pour le meilleur comme pour le pire. Rares sont les films de 2h30 à maintenir une qualité égale tout du long et celui-ci ne fait pas exception. Des scènes ridicules gâchent de bons moments :


] Je pense, comme beaucoup, à la fameuse scène où Leia se retrouve éjectée dans le vide intersidéral. Elle parvient, grâce à la Force peut-être, à retourner tranquilou sur le vaisseau, en forme après un petit coma. On a beau me balancer toutes les explications imaginables, la mise en scène demeure lamentable et jure dans un film qui s’était révélé cohérent jusqu’alors.


Le film se subdivise en trois intrigues principales : l’entraînement de Rey par Luke, la mission de Finn et Rose et la « course-poursuite » entre la Rébellion et le Nouvel Ordre, avant de se rejoindre lors du dernier tiers du film. De manière générale, de nouvelles impressions bizarres se sont insérées dans mon esprit : on aurait dit que tout le film se déroulait sur trois jours ou que les armées étaient assez minuscules (la Rébellion compte subsister avec quelques centaines de soldats même s’ils ont des partisans ?)


L’entraînement de Rey par Luke était l’arc narratif que j’attendais le plus et il ne m’a pas déçu ! Je concède qu’il possède quelques défauts, comme des similitudes avec l’Empire contre-attaque et Le retour du jedi (que j’expliquerai par après), et des passages humoristiques pas toujours appropriés. Sinon, j’aimais déjà le personnage de Rey, ce film-ci semble me donner raison ! Son aspect « héroïne solitaire de western » est aussi exacerbé au travers d’une quête de ses origines et d’une construction triangulaire avec les personnages de Luke Skywalker et de Kylo Ren. Ce dernier subit enfin un traitement à sa juste valeur grâce à son tiraillement entre le côté lumineux et le côté obscur de la Force, permettant d’apporter une ambiguïté tout à fait bienvenue.


D’aucuns considèrent que Luke Skywalker est « trahi » et « démystifié ». Selon moi, cela rentre dans une cohérence interne de le représenter en tant que simple humain et non comme l’élu. Il a réussi à vaincre le Côté Obscur et pensait que Ben Solo, son neveu, serait apte à devenir un grand jedi, mais il a échoué de sa propre faute. Les torts sont partagés des deux côtés mais la responsabilité partielle de Luke nuance son allure de héros shakespearien qui, s’il avait sa place il y a quarante ans, méritait d’être retravaillé aujourd’hui. C’est dans cette même veine que la « révélation » sur les parents de Rey. Il s’agissait juste des simples « ouvriers » qui l’ont abandonnée pour pouvoir s’acheter à manger. Certains ont été déçus, moi j’ai été ravi : ses aptitudes ne proviennent pas d’un quelconque statut d’élu, elle est partie de rien et s’est battue pour parvenir là où elle est. Elle-même est tiraillée entre le point de vue de Kylo Ren et de Luke Skywalker, et ses dialogues avec le premier contribue à éprouver de la sympathie pour lui.


La deuxième s’avère plus « classique ». On introduit un petit couple et on le fait partir à l’autre bout de la galaxie pour un motif valable mais finalement avorté. Finn et Rose s’avèrent sympathiques et leur relation n’est ni intrusive, ni niaise, sans être marquante pour autant. Je ne comprends pas donc pourquoi Rose est tant décriée par les fans, mais bon… Détail curieux, Disney semble assumer son auto-critique en évoquant les « riches entreprises sans idéologie qui s’enrichissent en vendant des armes aux plus offrants. Je reste sceptique quant à la conclusion de l’arc : Finn et Rose s’en vont en libérant les animaux mais laissent les enfants comme esclaves… Mouais.


La troisième intrigue se centre sur Poe et l’armée rebelle. Il y a peu à dire sur eux, si ce n’est que leur situation semble peu évoluer tant que les deux autres intrigues n’ont pas avancé. Ils tentent donc un peu de meubler en créant des conflits internes avec une vice-amirale plus complexe qu’elle en a l’air. Au moins on peut se ravir que Poe apparaît davantage et se confirmer en tant que personnage principal sympathique même si, en dehors des interventions susmentionnées, il reste souvent en retrait.


Mais le film assure surtout lors de son dernier tiers quand il nous offre des moments de bravoure et des séquences d’émotion et d’action. Là les similitudes avec les précédents films et les prises de risque se confrontent. Là se sont succédés mes moments d’admiration et de déception :


] Les références au Retour du jedi se faisaient déjà sentir lorsque Rey abandonnait son maître pour tenter de ramener Kylo Ren du côté du bien, mais c’était assez flagrant lors de la confrontation entre Kylo Ren, Rey et Snoke. Bien que je sois content d’avoir vu les deux opposés affronter les gardes (à défaut d’avoir un véritable duel de sabre laser), mais ce qui a fait couler beaucoup d’encre, c’est la mort de Snoke. Il s’agissait d’un méchant très attendu sur lequel de nombreuses théories ont émergé. Il était évident que Kylo Ren allait le trahir et le tuer, mais cela laisse peu de perspectives pour le dernier opus… J’aurais voulu que le film prenne des risques jusqu’au bout et que Kylo et Rey s’allient et abandonnent la rébellion et le nouvel ordre, peu importe que Rey ait trahi ses valeurs, c’aurait été original… Mais bon, ça reste un film Disney. Quant à Luke Skywalker, il est certain que tuer une figure pareille risque aussi d’en dérouter plus d’un, et j’en venais à me demander s’ils comptaient tuer tous les anciens… Semi-déception au moment où il faisait face à tous ses ennemis, je m’attendais à ce qu’ils les détruisent tous, la séquence restait tout de même classe et le twist était sympathique


Compte tenu de tout ce que j’ai déjà énoncé, il demeure quelques points laissés en suspens. Beaucoup s’interrogent sur ce qui peut être raconté dans l’épisode 9 (surtout sous la direction de JJ Abrams) et je me le demande aussi :


reste-t-il comme méchants survivants ? Plus grand monde… Kylo Ren, qui a déjà tué son maître et aurait pu trahir tout le premier ordre. Le général Hux, qui a été humilié pendant tout le film… Avec ces deux-là, ça risque de faire court. N’évoquons le capitaine Phasma qui a sûrement été l’une des plus grosses déceptions. Un énorme teasing sur son personnage, elle meurt après un combat pas très intéressant et quinze minutes d’apparition sur les deux films, tout ça pour conclure l’arc de « Finn traître »


Avant de conclure, outre les thématiques que beaucoup ont déjà révélé (la rédemption, les liens fraternels, le capitalisme), ce film met en avant une thématique trop peu présente dans la fiction et qui a été peu relevé : le sacrifice féminin.


Entre le sacrifice de la sœur de Rose au début, « l’attaque-suicide » de la vice-amirale Holdo, puis le sacrifice de Rose elle-même pour protéger Finn (même si elle n’en meurt pas), ce film met en avant des figures féminines prêtes à se sacrifier pour protéger les leurs ou leurs valeurs, ce qui est un message féministe/humaniste très puissant.


Le dernier jedi remplit bon nombre de ses promesses : des scènes d’action spectaculaires et des musiques épiques côtoient des plans vertigineux et un rythme effréné. Ce film complet et généreux risque d’être le meilleur film de Star Wars sous Disney. Il a su développer une véritable personnalité, innover pour le meilleur comme pour le pire, et surtout exister en tant que film à part entière.

Saidor
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le 26 déc. 2017

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