Le(s) Dernier(s) Jedi, une grande perturbation dans la Force, pourrait-on dire. Et comme de coutume, celle-ci n'annonçait rien de bien réjouissant. Un film atterrant, tel que je n'aurais jamais imaginé en voir un jour. Car non content de sacrifier l'âme de la saga par ses choix ubuesques, Star Wars VIII est le pur produit — et donc victime — de son époque : un scénario écrit à la dynamite, une narration et des dialogues désastreux, un rythme syncopé... Les Derniers Jedi n'est pas qu'un mauvais SW, c'est un mauvais film.


Comment a-t-on pu en arriver là ?


En choisissant des réalisateurs aux intentions bien différentes pour chaque film, déjà ! Mais quelle bonne idée ! Quoiqu'on puisse dire du Réveil de la Force, qui est loin d'être un épisode mémorable, la démarche de J.J Abrams avait le mérite d'être honnête et généreuse. C’était celle d’un fan qui, à grand renfort de fan-service parfois douteux, voulait ressusciter une saga pour d’autres fans. L'opus qui en résulte comporte son lot d'imperfections, mais il est respectueux de son héritage.


La démarche de Rian Johnson, à l'inverse, est égoïste. C’est celle d’un homme qui, dans son ambition de créer SON Star Wars et d’imposer SA marque sur la série, multiplie les choix farfelus et incohérents, n’hésitant pas à s’assoir allégrement sur les pistes proposées par son prédécesseur.


Seulement Les Derniers Jedi, c'est un film censé s'insérer au milieu d'une trilogie. En cela, son rôle, c'est d'apporter des réponses à la situation posée dans l'opus précédent, et de poser de nouvelles questions, de nouveaux enjeux, pour celui qui, après lui, devra clôturer l'ensemble. C'est l'épisode charnière qui doit relancer l'intrigue. Et c'est dans ce contexte que Rian Johnson vient poser sa pêche avec l’unique et présomptueuse intention qu’on se souvienne de son film comme « celui qui a bouleversé les codes de la saga ». Alors il casse tout, en premier lieu la cohérence avec l'épisode qui le précède — et donc la trilogie, — mais plus incompréhensible encore, la cohérence avec le reste de la saga dans sa globalité !


Débute alors la catastrophe : ce scénario qui n’a AUCUN sens puisqu’il ne cherche qu’à satisfaire le désir de surprendre. Surprendre ? Star Wars VII laissait tellement de questions en suspens, il est bien évident que les fans exploreraient toutes les théories possibles et imaginables, toutes les pistes digne d'intérêt, toutes les directions que serait susceptible de prendre l'histoire. Mais malgré tout, plus malin que tout le monde, Les Derniers Jedi s'obstinent à jouer la carte de l'inattendu ! Refusant catégoriquement de donner raison aux uns ou aux autres, il préfère multiplier les choix grotesques et contradictoires pour pouvoir hurler au visage de son spectateur : « Alors ? Tu l’avais pas prévue celle-là, hein ?! »


Et effectivement non, l’amoureux de cet univers n’avait rien prévu de tous ces caprices scénaristiques, de toutes ces pirouettes insensées, puisqu’il accordait un minimum d’importance à la cohérence et l'histoire de la saga. Rian Johnson balaye avec mépris tout ce qui aurait pu être intéressant à développer, juste parce tu comprends, lui, il voit plus loin. Il referme ainsi l’intégralité des portes ouvertes par Abrams, en cumulant des scènes toujours plus consternantes, atteignant leur apogée lors de la ridicule mort de Snoke, icone maléfique déchue en UNE séquence, parce que bon, autant évacuer d’un revers de main ce sujet qui nous embête — comme tous les autres sujets qui nous embêtent d’ailleurs !


Donner des réponses quant au personnage de Snoke ? Qui est-il ? Comment diable a-t-il pu reconstruire le Premier Ordre après la victoire de l'épisode VI ? Qui sont les Chevaliers de Ren ? Pourquoi Ren, d'ailleurs ? La parenté de Rey ? Mais Rian Johnson s'en cogne de tout ça !


Lui, tout ce qui l'intéresse, c'est que t'aies rien vu venir, ok ? Ça, et son discours sur les choses du passé qu'il faut laisser mourir. Très bien ! Alors je pose la question en ces termes : peut-on sérieusement nous rabâcher à longueur de métrage de « laisser mourir le passé » quand on déterre des sagas qui n'avaient pas à l'être ? Qui donc devrait laisser mourir le passé ? Le spectateur, adorateur d'une saga close depuis l'épisode VI, ou celui qui la ressort du placard pour se faire du pognon avec ?


Donc tout détruire sous ce prétexte, c'est un peu raide. Mais ok, admettons. Alors que proposes-tu derrière ? Qu'est-ce que tu reconstruis après ça ? Car si Les Derniers Jedi se veut original, on peut résolument se demander s’il l’est réellement au regard du contexte final... Rien ne bouge ! Chacun suit la trajectoire qui lui était destinée. Le film se perd en circonvolutions inutiles pour finalement revenir à la case départ : les gentils rebelles, affaiblis, face au méchant Premier Ordre, toujours aussi puissant. Sauf que cette fois-ci, on redémarre en ayant fermé toutes les portes dignes d'intérêt de l'opus précédent mais sans en ouvrir de nouvelles. Résultat : aucun enjeu n'est réintroduit pour relancer l'intrigue de l'épisode suivant. Bien joué Johnson ! Mais la prochaine fois, ne t'improvise pas scénariste, ni donneur de leçons, s'il te plait.


Parce que le cœur du problème, c'est que si on gratte un poil la belle couche nacrée du vernis Star Wars pour regarder ce qui se cache derrière, on peut alors juger le long-métrage pour lui-même et voir ce qu'il a dans le ventre : que dalle.


Tous les arcs narratifs sont profondément décevants.
Celui de Rey sur Ach-To est d'un ennui si profond qu'elle décide de se barrer de cette maudite planète au bout de deux jours sans avoir reçu de formation — pas grave, elle est déjà Jedi de toute manière, — celui de Finn et Rose est inutile, mais paradoxalement le plus long et blindé de péripéties sans queue ni tête (ne mentionnons même pas les dialogues à pleurer !), tandis que celui de Poe ne fait qu'introduire de faux enjeux, complètement artificiels, qui nous laissent pantois lorsqu'on découvre la supercherie sur laquelle ils sont basés. Seul l’arc de Kylo Ren et de son lien avec Rey aurait pu être digne d’intérêt, mais bon, il ne mène finalement nulle part et chacun reste sur sa position.


Pris pour lui-même, Les Derniers Jedi est un film qui ne mène nulle part, qui ne raconte rien, qui n'a pas d'enjeu — sinon ceux de son prédécesseur qui passent vite aux oubliettes — et dont les ressors scénaristiques sont basés sur des quiproquos débiles, ce qui est déjà dramatique en soi. Mais si on le replace dans son contexte, comme huitième itération d'une saga jusque-là cohérente, et qu'on voit à quel point il en trahit l'essence — Luke qui balance nonchalamment le sabre de son père, qui « dans un instant d’égarement », se voit tuer Kylo Ren ; sérieux ?! — on prend la mesure du désastre.


Et pour ne rien gâcher, comme si toutes ces énormités scénaristiques ne suffisaient pas, il faut que Star Wars VIII soit victime du mauvais goût de son époque, qui s’incarne désormais en une bien-pensance complètement hors-sujet (le véganisme dans SW ? Sans déconner ?) et en un humour consternant et systématique, donnant raison à tous ceux qui parlent de « Marvelisation » des grosses productions. C'est bien simple, il est désormais impossible de capter l’intensité d’une scène dramatique sans qu’elle ne soit désamorcée par un humour NUL et gênant. Ça devient pénible ! Tellement pénible !


On passera rapidement sur la réalisation en demi-teinte dont certaines fulgurances — plans iconiques et gestion sonore essentiellement — n'ont d'égales que les fautes de goût les plus navrantes de la saga comme ce remake daubé de Matrix et des Gardiens de la Galaxie, et pire hommage qu’on eut pu faire à Carrie Fisher…


Pourra-t-on alors trouver du positif dans cet opus ?


Si peu.
Je retiendrai personnellement ces quelques scènes finales.
Précisément celles que l’on attendait : des retrouvailles émouvantes et un retour fracassant. Précisément celles qui renouent avec l’essence Star Wars en fait... Est-ce si étonnant ?
Un dernier quart d’heure dont on avait vraiment besoin après une telle purge, mais qui peine à justifier à lui seul l’existence d’un film qu’on aurait aimé du même acabit sur toute sa longueur.


Autant dire que c’est maigre. Très maigre.


J'ai franchement de la peine pour le cast. À commencer par les anciens qui voient leur personnage complètement trahi, dénaturé, en particulier Mark Hamill, puis pour quelques autres comme Adam Driver — pourtant tant décrié dans le VII, — ces rares acteurs qui portent le film, ou plutôt qui font ce qu’ils peuvent, avec la meilleure volonté du monde, empêtrés qu’ils sont dans tous ces rôles écrits avec les pieds.


Au fond, je ne suis qu’un grand gamin, adorateur de Star Wars, qui a accueilli tous les opus avec bienveillance. Tous. Même le VII, qui ne m’avait pas tant déplu. Mais Les Derniers Jedi, même en faisant fi de ce qu'il représente pour la saga, est un film qui n'a aucun sens et qui ne remplit pas ses objectifs. En tout cas, pas ceux qu'il aurait dû se fixer.
C’est l’épisode qui brise sciemment la magie propre à la saga. C'est son unique raison d'être, que Rian Johnson ne cesse de clamer à travers ses personnages. Star Wars VIII est une entreprise de destruction pétrie d'égoïsme qui, loin d'apporter du neuf à la saga, ne fait qu'anéantir la cohérence et la continuité de l’œuvre. Rarement dans ma vie j'aurais vu un film qui transpire à ce point la suffisance de son auteur. Car quand on voit le résultat, on se dit que Les Derniers Jedi est somme toute moins ambitieux que prétentieux.


Du fond du cœur, bonne chance J.J Abrams. Mais malgré tout le courage qu'on peut te souhaiter pour tenter de redonner un semblant de sens à ce fiasco, je ne me fais guère d'illusions.

Gilraen
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le 17 déc. 2017

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Gilraën

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