L’épisode 8, dépossédé de toute ambiguïté par sa traduction française, n’est pas le Star Wars que j’espérais. Pour être plus précis, il n’est pas le Star Wars que beaucoup espéraient.
Il n’est pas non plus un produit un peu vain et facile comme pouvait l’être son prédécesseur, cette appétissante madeleine dont l’objet semblait être la semaille ultra-récréative d’un Mac Guffin à la minute dans un terreau réputé très fertile. Je ne dissimulerai pas cette ferveur qui m’animait au sortir de la projection, ni le plaisir coupable d’avoir renoué avec le Star Wars de mon enfance. La légèreté scénaristique, quelque peu masquée par l’introduction d’une nouvelle génération prometteuse et l’adoption d’un prisme déformant, s’effaçait net sous les vrombissements des sabres lasers et les pirouettes d’un escadron de X-Wing virtuoses.


Le huitième épisode se devait de proposer davantage pour légitimer cette nouvelle trilogie et c’est un pari réussi principalement grâce à son scénario. D’ailleurs, ses plus grandes réussites comme son plus grand échec résident dans le scénario.


Conséquence d’un processus d’écriture absurde par son découpage film par film, il n’est pas difficile d’imaginer l’agacement de Rian Johnson devant sa checklist de l’ensemble des mystères disséminés par J.J.Abrams et Lawrence Kasdan. Le retour du sabre de la famille Skywalker ? On s’en moque : ce n’est qu’une relique sans importance. Qui sont les parents de Rey ? En quoi cela est censé lui apporter de la légitimité ? Snoke, ce grand méchant caricatural en CGI parachuté de nulle part ? Quel intérêt présente-t’il dans tout ce nouveau contexte, faisons-le crever comme le trou de balle arrogant qu’il est. Comment Luke pourrait-il à lui seul inverser le court des choses alors qu’il n’est même pas parvenu à former son neveu ? Et ce ne sont que quelques exemples, évidents, parmi une bonne grosse douzaine. Johnson entreprend une destruction méthodique de ces vieilles ficelles éculées si chère à une franchise qui brille par son immobilisme, un comble quand on s’y déplace en vitesse lumière.


Les Derniers Jedi fait table rase du passé en achevant l’exploration de l’héritage catastrophique de la famille Skywalker, entamée dans l’épisode 7, et aborde plus largement le poids de l’échec. L’échec d’un ordre religieux millénaire aveuglé par l’orgueil, l’échec d’une famille face à la perte d’un fils, l’échec du légendaire dernier maître Jedi, l’échec de la nouvelle République face au nouvel Ordre puis l’anéantissement de la Résistance par cette réminiscence de l’Empire. Tout le monde en prend pour son grade, et c’est tant mieux : alors que brûlent les idoles derrière lesquelles les peuples de la saga de Lucas avaient pour habitude de se réfugier, les lendemains du Star Wars nouveau seront construits par les petites mains meurtries des oubliés, des fils de rien ni personne, à l’image de Rey, Poe et Finn, dont la valeur ne se mesure pas à l’aune d’un quelconque héritage.
Vu qu’à la relecture je semble m’emporter, je me dois de tempérer quelque peu mon propos : n’allez pas imaginer que le scénario de The Last Jedi est parfait, il est très loin de l’être. Desservi par nombre de petits écueils que je suis prêt à pardonner, il est surtout plombé par l’intégralité de l’arc consacré à la mission de Rose et Finn à Canto Bight, qui me semble être la véritable faiblesse du film. Le développement maladroit de toutes ces péripéties n’a fait que renforcer le malaise : que ce soit le traitement des minorités, l’esclavagisme ou la maltraitance animale, rien ne semble submerger d’une vieille soupe de niaiserie bien superficielle, à des années-lumières de ce qu’aspire pourtant véhiculer Johnson.
Étonnant et décevant, difficile de comprendre cette maladresse intégrale et la dilution du rythme qu’il entraîne, surtout mis en parallèle avec la poursuite, le retour de Luke et le développement fascinant de Kylo Ren.


Car rien ni personne ne pourra gâcher le retour d’un Mark Hamill au sommet de sa carrière d’acteur, transformé par des décennies d’incarnation géniale du psychopathe le plus dangereux de Gotham. Surprenant de charisme, le fermier de Tatooine a parcouru bien des parsecs. Cette jeune pousse d’endive un peu fadasse, à laquelle les vrais préféraient Han Solo, est méconnaissable : Luke Skywalker nouvelle version, broyé par ses héritages, sa légende et la somme de ses échecs met littéralement le feu à la bobine et constitue une des raisons les plus évidentes de s’infliger Canto Bight.
L’autre personnage majeur qui explose l’écran est Kylo Ren, le véritable nouveau héros/anti-héros/méchant de la trilogie. S’il présente dans un premier temps beaucoup d’ambiguïté et les traits de personnalité romantiques caractéristiques du héros Luciférien, le personnage fascine lorsqu’il affirme sa détermination et ses ambitions et se saisit pleinement de son potentiel, dépassant le statut de son sinistre grand-père. Star Wars épisode 8 va encore plus loin, rendant d’autant plus compréhensible et séduisante sa façon de s’offrir totalement au côté obscur.
La plus grande force de ce huitième épisode passe donc avant tout dans le traitement de l’intrigue et de ces deux personnages, tout en nuances grisâtres, n'en déplaisent à la part de midinette mollement masochiste qui sommeille en chacun de nous.


Pour conclure ce bien trop long passage en revue du scénario du film, comment ne pas évoquer le passage de relais de Leïa à un Poe Dameron chaperonné par un couple Fisher/Dern ? En dehors d’une opposition caricaturale First Order / patriarcat et Résistance / matriarcat, le film délivre un message d’apaisement non-genré : entre le masculinisme et le féminisme il existe un juste milieu. Poe, modernisation de l’archétype du beau gosse casse-cou un peu voyou (vous l’avez ?) est confronté aux conséquences de ses actes. Si jusqu’à présent Star Wars s’était reposé sur les manœuvres couillues et impulsives d’un jeune franc-tireur, le développement du personnage d’Oscar Isaac, tête brûlée première classe de cette nouvelle trilogie, passe par la tempérance et la juste mesure des conséquences de ses actes.


Ainsi le Star Wars nouveau veut détruire ses idoles et ses légendes pour mieux se reconstruire, expurgé de ses valeurs judéo-chrétiennes globalement conservatrices. Une promesse ambitieuse et dangereuse pour un phénomène qui a depuis longtemps dépassé le statut d’œuvre culturelle, et qui risque de s’aliéner au passage une partie de sa fanbase. Peu importe, abreuvé à l’univers étendu et ses différents média pendant deux dizaines d’années (le lait bleu délicieux issu des mamelles d’une vache-cachalot), je reste intimement persuadé que cet éloignement du matériau originel était nécessaire pour permettre à Star Wars de muer vers quelque chose de plus contemporain, d’autres histoires.


Après vous avoir retenu aussi longtemps en otage avec mes considérations sur l’écriture des Derniers Jedis, je vais tenter d’aller à l’essentiel sur les autres aspects.
La tonalité générale se veut dans la continuité de l’épisode 7, assez sombre et en accord avec les thèmes traités. Mais là où un Star Wars classique se serait contenté du potentiel comique de BB8 et des porgs, le film se sent obligé d’en faire des caisses et de reprendre l’humour typé actionner des années 90, surexploité chez le MCU. Je ne dis pas que c’est inadapté, simplement qu’il s’agit d’une première et qu’il m’a fallu un peu de temps pour m’y faire.
Si la réalisation, beaucoup plus statique et moins tape-à-l’œil que le travail de J.J. Abrams semble très terne et classique dans la première moitié du film, la deuxième moitié réveille le cinéphile averti avec un baroud d’honneur inédit et ne cessera plus de décrocher la rétine.
Enfin, le score de Williams m’a semblé ne reposer que sur une réorchestration mineure de son précédent travail sur l’épisode 7. Sans grande nouveauté, mais toujours d’une grande efficacité.


Il me reste tant de choses à dire au sujet de ce film que la frustration m'étreint au moment d'apposer le point final à cette critique, bien trop longue.
Un second visionnage s'impose, mais rien n'entamera cette envie de retourner conclure cette nouvelle trilogie, la tête dans les étoiles.

YvesSignal
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le 3 janv. 2018

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Yves_Signal

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