Rian Johnson a écrit et réalisé un film tout entier dédié à mettre en scène sa volonté de hurler qu'il ne ferait pas comme les autres, qu'il détruirait ce qu'il estime être les poncifs de la saga, qu'il accoucherait à l'écran de ses fulgurances esthétiques.


Cela débouche sur une écriture paresseuse et indécise, qui multiplie les arcs narratifs et les personnages sans en approfondir aucun, qui nie l'ampleur de la galaxie et de l'univers SW pour le réduire à une enfilade de scénettes excitées, qui s'encombre d'accessoires et de diversions pour évacuer le souffle, le sens, le mystère, aveugle aux incohérences et trous scénaristiques.


Trop occupé à briser ce qu'il pense être les lieux communs et trajectoires prévisibles de l'histoire, Johnson en oublie de proposer quelque chose d'intéressant, une vision métamorphosée du mythe. Ses alternatives et pistes vont de l'absurde à l'embarrassant, comme si avoir cassé ses jouets était une preuve suffisante d'engagement et de personnalité.


Il y a une vigueur adolescente dans cette désacralisation systématique mais la mécanique est stérile. Ce n'est pas de la déconstruction, suggérant une méthode et un projet, simplement du déni teinté d'excitation. Simplement pas intéressant.


Il s'agit également d'une écriture égoïste et autocentrée car Johnson n'est pas renseigné. Il n'accorde pas d'intérêt à l’œuvre collective qu'est la construction de l'univers SW. Je ne parle pas de nostalgie pour l'univers étendu avant la remise à plat du canon, j'étais au contraire très content de voir ce grand ménage être opéré en vue d'apporter de la force et de la cohérence aux nouvelles productions. Mais il s'enferme dans son entreprise de singularisation, apparemment hermétique aux propositions d'auteurs qui ont fait leurs devoirs. Quid des apports de Bloodline, Aftermath, des réflexions sur la politique galactique, sur le mystère des Régions Inconnues qui ont permis la renaissance du First Order, de la collaboration de Thrawn, sur les Observatoires comme celui caché sur Jakku. L'idée n'est pas bien sûr d'opposer l'univers canon filmique aux autres supports ni de forcer des cameos et allusions par complaisance pour les fans, mais quand on a cette richesse, cette profondeur et ces pistes à disposition, comment offrir des réponses aussi vaines et creuses, aussi idiotement provocatrices.


Snoke incarnait pour moi cette étrangeté, ce mystère séminal qui pouvait être le socle du retour de l'Empire et la mise en branle d'événements et de destinées cosmiques. Il est clair qu'il n'y pas eu de travail sur ce plan. Alors on évacue et on essaie de faire passer cela pour de l'audace. Johnson aurait lu tout ce qui se dit en matière de théories starwarsiennes. Il semblerait que pour les démonter toutes et ne souscrire à aucune il lui ait fallu recourir au plus petit dénominateur commun : un emmêlement confus de dénégations qui, en extrême recours, emploie la blagounette pour se défiler.


Johnson a même ressenti le besoin de péter ce que JJ Abrahms avait proposé et qui, pourtant, était le minimum syndical en matière d'inventivité. Mais ce n'est pas simplement un fan qui se plaint, c'est aussi un spectateur qui a des attentes irréductibles et modestes pour tout film.


Je ne vais pas lister tout ce qui a déjà été pointé du doigt mais quelques éléments font mal.



  • La structure et le rythme : trop de personnages, deux terrains
    principaux aux temporalités incohérentes, des raccourcis et des temps
    morts inexplicables, des diversions inutiles. Quand on est bercé par
    l'image d'une course poursuite de 2 h entre gros vaisseaux, on
    s'interroge techniquement sur le sens de ce choix, on regarde
    simplement si ça fonctionne "in world". En l'occurrence, non, d'où le
    recours à des bricolages scénaristiques plutôt que de remettre en
    cause le principe même de cette partie de l'intrigue. Ou alors on
    regarde à nouveau "33 minutes", Battlestar Galactica Saison 1 Episode
    1, qui traite exactement ce sujet. Par ailleurs, l'absence de ligne
    forte dans le scénario conduit à ne pas faire de choix, donc à une
    juxtaposition de scènes et d'événements confus, sans articulation
    dramatique, sans montée en puissance.

  • Les personnages : pourquoi en introduire de nouveaux si ceux qui
    existent sont si peu traités ou éclaboussés d'un humour embarrassant
    ? Snoke, dégagé sans explication. Phasma, après un teasing a
    posteriori bien trompeur sur la résolution du conflit avec Finn,
    dégagée. Hux, effacé. Finn, réduit à porteur de MacGuffin. Rose,
    inutile incarnation de l'amour-plus-fort-que-la-mort. DJack Sparrow,
    incohérent hacker parachuté et reparti comme il est venu. Leia,
    honorée à chaque plan, c'est presque too much. Je ne parle pas de la
    scène spatiale. Luke, oui, il y a quelque chose, mais c'est tellement
    dilué que l'idée-force d'un maître faillible et désabusé se délite
    dans le bla. Poe "Maverick" Dameron s'agite avec le cliché de la tête brûlée, ça va un temps.
    Kylo et Rey. C'est effectivement le point le plus intéressant et ambigu du film. Cette relation d'amour-haine-espoir-possession charnelle qui essaie de redéfinir ce que peut être la dualité Lumière-Ténèbres. Le "Join me. Please..." étant le climax de cette relation. Mais le dénouement reste pour moi décevant, avec un retour pépère aux valeurs sûres. Si on avait perdu moins de temps à faire une course poursuite qui ne marche pas et enfiler les facilités scénaristiques pour donner un truc à faire à Finn et à son excroissance de Rose, on aurait pu laisser de la place à cette relation arbitrée par Snoke et raccourcir tout le bousin.

  • La rupture au prix fort : le contrepied systématique est un artifice
    faible quand il s'agit simplement de ne pas répondre à une attente
    supposée tout en n'offrant rien de cohérent en retour. J'étais
    absolument client d'un effondrement des valeurs traditionnelles et
    des usages de SW mais là, à part un potable discours sur l'arrogance
    et la sacralisation des Jedi, on ne voit qu'un petit jeu
    autosatisfait avec les clichés, sans profondeur ni investigation.

  • Les blagues : je ne suis pas contre. Il y en a trop, elles ne sont
    pas drôles. Tout simplement.

  • Une galaxie de plus en plus lointaine : les films ont toujours eu
    tendance à réduire cette immense galaxie à quelques lieux et
    personnages. Paradoxalement, la médiocre prélogie est la plus riche
    en termes de contexte, de politique, de grandes magouilles. Là, c'est
    vide, décontextualisé. Le conflit se résume à une poignée de
    bonhommes contre un gros vaisseau. Où sont les mondes opprimés ? Où
    est la République en flammes ? Où sont les enjeux ? Canto Bight n'y change rien et Johnson confirme qu'il fait un film en vase clôt, coupé de son monde et de ses influences. L'opening crawl indigent était déjà un indice inquiétant.

  • Pirouettes-cacachuètes : on sent aussi fortement le manque de travail
    d'écriture et le refus de remettre en question une idée initiale qui
    semblait séduisante bien qu'à l'usage, elle ne fonctionne pas.
    Quelques points en vrac.
    Des vaisseaux qui ralentissent et capotent lorsqu'ils n'ont plus de fuel. Oui, dans l'espace.
    Des chasseurs TIE qui seraient mal à l'aise un peu trop loin de leur croiseur. Ah bon ? Quand ils parcourent la surface de Lothal ou de Jakku, ça n'a pas l'air de les inquiéter.
    Finn, dont l'objectif depuis le début, est d'éloigner Rey du Supremacy, qui a l'occasion miraculeuse de se barrer sur Cantonica mais confie bien la balise à Poe pour que Rey retrouve bien le chemin de l'endroit où il ne veut pas qu'elle aille.
    Une belle scène de bordel à Canto Bight à base de chevaux-chèvres exaltés et galopants et alors que, cherchant à échapper aux autorités, Finn et Rose préfèrent chevaucher un de ces machins, au centre de l'attention, plutôt que profiter de la diversion fracassante pour se planquer dans les recoins de la ville et se barrer discrètement.
    Un coup de bélier hyperspatial abondamment reconnu comme étant une aberration (étrange hasard, un ami me demandait quelques jours avant la sortie s'il était possible de se servir de vaisseaux en HS comme de béliers. A la réflexion, je disais que non car l'HS est censé être une dimension parallèle, on ne va pas réellement plus vite dans l'univers physique, hormis en tout début et toute fin de course. Cf. Solo dans TFA ou Hera Syndulla dans Rebels.). Là, c'est acté. Et, effectivement, comme d'autres l'ont noté, ça aurait pu tout régler depuis longtemps, depuis des siècles dirais-je même, invalidant la notion même de combat spatial.
    Holdo qui se sacrifie mais percute après des plombes qu'elle peut tout péter. On la refait : tu prends ta décision de te sacrifier, tu fais affréter les navettes, tu les largues, tu pètes tout immédiatement. Et on peut passer à une autre phase de l'histoire. Ou alors ça fait le film de 1h30 que ça aurait dû être.
    Du coup, on a un vaisseau amiral de 60 km infoutu de détecter 30 navettes qui s'échappent d'un croiseur situé à la la louche à 50 km de lui, juste pour pouvoir donne une justification à la trahison de DJ, à la fuite éperdue, etc.
    Un holo-Luke fantôme de la Force qui dupe même Leia.
    Un Snoke qui ne voit même pas venir sa fin malgré sa toute puissance...

  • Visuellement : rien de neuf. La surenchère des Dreadnought et autre
    Supremacy, pourquoi pas. Sinon, c'est assez vide, lisse, anonyme. Une
    belle première scène de combat, classique. Grosse déception autour de
    Snoke, de ses gardes absurdes qui font des poses à la Naruto à 30 m
    du danger et livrent un combat en plastique. Canto Bight est assez
    moche, les flics du CBPD sont à chier, de même que leurs
    speeders-tréteaux. La scène de canassons est laide et inutile. Oui,
    la destruction du Supremacy est très belle et saisissante et le visage de Snoke incroyable.


Bref... La chute et la destruction des icônes, thème très transparent du film, auraient pu déboucher sur une relecture bienvenue, déstabilisante mais, paradoxalement, nous aboutissons à un incompréhensible statu quo qui recycle, n'en déplaise à Johnson, les références au passé, reprenant des lignes de dialogues complètes du Retour du Jedi. Finalement, cet opening crawl totalement vide nous avait prévenus.


Il apparaît désormais clairement que cette histoire ne sait pas où elle va. Il n'y avait pas de plan, pas de projet. Où sont les Luceno, Gray et Filoni ? Où était Pablo Hidalgo ?


La préologie merdait à tout bout de champ mais je découvre avec surprise a posteriori qu'elle bénéficiait malgré tout de la la cohérence apportée par Lucas qui, à défaut de savoir filmer, rythmer, écrire des dialogues ou faire évoluer ses personnages, avait son truc ficelé.


The Last Jedi est à The Force Awakens ce que Matrix Revolutions est à Matrix Reloaded, une extension décevante, plate, sans liant ni ambition qui s'emploie à neutraliser la part de mystère et d'inconnu que semblait laisser entrevoir l'épisode précédent malgré ses imperfections.
L'épisode 8 avait pour mission de sublimer le 7 en le justifiant, il l'enterre avec un soupçon de bêtise et d'arrogance.


Je suis étrangement content que JJ revienne aux manettes mais je ne comprends pas comment Disney qui a su virer les réas du 9 et de Solo n'ait pas pu réagir face à ça.

VulcaseArkolax
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le 15 déc. 2017

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Lazar Baruk

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