Rian Johnson était un candidat inattendu pour prendre la suite de J.J Abrams sur le nouvel épisode de la saga cinématographique la plus célèbre de tous les temps, venu d’un cinéma indépendant à petit budget et c’est sans doute à son excellent Looper, exercice de science-fiction particulièrement réussi qu’il doit cette place enviée. Sa sélection à ce poste semblait marquer la volonté d’apporter un œil neuf sur la franchise.


Là où les plus jeunes cinéastes recrutés par Lucasfilm ont connus des destins contrastés : Gareth Edwards (qui a un cameo dans le film) mis sous tutelle sur la fin du tournage de Rogue One,  Lord et Miller  (La grande aventure LEGO) virés en plein tournage de Solo et Colin Trevorrow (Jurassic World) débarqué en pleine préparation de l’épisode IX (comme Josh Trank avant lui) l’expérience de Johnson et son entente avec Kennedy semble avoir été si harmonieuse qu’il s’est vu confier la conception d’une toute nouvelle trilogie post épisode IX. Quel résultat a produit cette sérénité derrière la caméra ?


Beaucoup ont reproché au Reveil de la Force de n’être qu’un remake déguisé de Star Wars Un Nouvel Espoir, même si nous pensons que l’utilisation d’une structure familière rendait plus facile le passage de témoin de l’ancienne génération à la nouvelle. Ici, même si l’on retrouve des motifs familiers aux spectateurs de L‘Empire Contre attaque (la fuite de la résistance chassée de leur base, leur traque à travers la galaxie, les héros séparés, Rey sur une planète isolée pour y recevoir l’enseignement d’un maître acariâtre, la rencontre avec un escroc dont on ne sait si on peut lui faire confiance) et une scène qui évoque pour mieux la subvenir une séquence du Retour du Jedi – Les Derniers Jedi offre assez de nouveautés pour apparaître comme indépendant de son glorieux prédécesseur. Les Derniers Jedi est aussi différent du Réveil de la Force que L‘Empire Contre-Attaque l’était du premier film, tout en s’intégrant parfaitement dans l’ univers établi par George Lucas. Comme il est de coutume dans les « épisodes du milieu » chaque personnage Rey (Daisy Ridley), Finn (John Boyega) et Poe (Oscar Isaac) – est testé dans son désir de devenir un héros, ébranlé dans ses certitudes par la prise de conscience de réalités complexes et des répercussions de leurs actions. Même Kylo Ren (Adam Driver) n’ échappe pas à ces conflits intérieurs dans sa volonté de suivre les traces de son grand-père. Les Derniers Jedi est thématiquement un des Star Wars les plus sombres puisque il traite de comment survivre et se construire quand on perd sa famille , sa foi ou l’espoir. C’est sans doute pour contre-balancer ce désespoir prégnant que le film est aussi un des plus drôles de la saga en tout cas l’un de ceux où les gags visuels et les répliques humoristiques sont les mieux exploitées sans entraver le drame ou diluer ses enjeux.


En revanche, l’auteur de Looper semble peu intéressé d’apporter des résolutions aux nombreuses théories relatives à l’héritage de Rey ou au Leader Supreme Snoke (Andy Serkis) qu’avaient fait naître le film d’Abrams, si son scénario est riche de rebondissements il est d’avantage préoccupé par proposer une évolution pertinente des concepts de la saga et d’en développer de manière organique les nouveaux personnages plutôt que d’offrir un twist semblable à celui de L’Empire Contre-attaque. Il introduit l’idée iconoclaste dans une saga tant marquée par l’héritage et la destinée qu’il faut pour avancer faire table rase d’un passé même glorieux, dépasser certaines histoires pour en bâtir de nouvelles. Ainsi la conclusion du film, inédite dans la saga laisse entrevoir son évolution loin de la lignée des Skywalker et de l’héritage des Jedi. Autre réussite à mettre au crédit de Johnson, Les Derniers Jedi n’apparaît jamais comme « un film relais » qui se contente d’avancer l’histoire, sa conclusion apparaît si définitive qu’elle ne laisse au spectateur que bien peu d’indices sur la façon dont cette trilogie va se conclure.


On ressent l’enthousiasme de fan de Rian Johnson qui profite pleinement de l’occasion d’exploiter l’immense magasin de jouets dont Lucasfilm lui a confié les clés : Les Derniers Jedi est d’une splendeur visuelle impressionnante, foisonnant de nouveaux environnements, de créatures (les fameux Porgs employés, qu’on se rassure de manière parfaite) et d’images iconiques qui entreront dans l’histoire de la franchise : la vision de ce X-Wing sortant seul de la vitesse lumière devant une armada, une collision kamikaze silencieuse au ralenti ou la vision de ces vaisseaux raclant le sol de la planète minière Crait en donnant naissance à des panaches de poussière rouge sang… Rian Johnson et son directeur de la photographie Steve Yedlin citent le film de guerre, le western, le conte de fées, la légende arthurienne ou le film de samouraïs rendant ainsi un hommage à toutes les inspirations de la saga. La conception artistique de Rick Heinrichs (collaborateur régulier de Tim Burton) est d’une opulence incroyable, répondant bien sur aux codes esthétiques de la franchise mais en allant aussi chercher l’inspiration dans l’Art-déco pour la planète casino Canto Bight ou dans les décors d’Opéra pour la salle du trône de Snoke.


Malgré ce foisonnement narratif et visuel, Les Derniers Jedi n’est pas exempt de défauts : dans sa volonté de multiplier les fils narratifs et de jongler avec tous ses personnages, après un début tonitruant – une scène d’ouverture digne d’un James Bond – le film perd son élan dans un deuxième acte qui n’évite pas les longueurs et les redondances. Malgré la réussite de sa direction artistique et son commentaire politique (une constante dans la saga) le détour par Canto Bright semble accessoire. Privilégiant l’aspect dramatique Johnson semble réticent à couper dans les prestations de ses comédiens, ce qui fini par nuire au rythme du film, moins percutant que l’opus d’Abrams. Voulant compenser ce ventre mou, Rian Johnson et son monteur Bob Ducsay (La Momie, Van Helsing) offrent un dernier acte tonitruant qui enchaîne les morceaux de bravoure : des affrontements mythologiques au corps à corps, des séquences aériennes à couper le souffle et une confrontation digne de Sergio Leone. Aussi grandioses soient-ils (et Johnson fait preuve d’un sens de l’action assez incroyable) cette succession de climax fini par en atténuer l’impact. Sans doute aussi manque t-il au film un grand vilain, Kylo Ren est un personnage intéressant, mais peut-être trop humanisé pour tenir pleinement ce rôle là ou au contraire Snoke semble trop « conceptuel » (le personnage est quasiment un pastiche intentionnel des grands méchants de la saga).


Conclusion : Malgré des problèmes de rythme et de structure Rian Johnson avec Star Wars les Derniers Jedi signe un film qui est à la fois un superbe volet de la saga, parmi les plus beaux visuellement, mais qui porte pleinement la marque d’un auteur.

PatriceSteibel
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le 15 déc. 2017

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