Déconstruction et démythification, que reste t’il de Star Wars ? (spoiler)

Star Wars est une saga légendaire, enfantée par George Lucas les deux trilogies précédentes ont révolutionnés le cinéma à bien des égards. Que ce soit par la technique, (même les prequels ayant été la première saga à utiliser des effets numérique à cette ampleur-là), ou bien dans l’esthétique du film. Le style de George Lucas, et donc le style de Star Wars pendant ses deux premières trilogies était un classicisme parfaitement assumé. Star Wars n’a jamais été le lieux des ralentis et de la sur esthétisation de l’image, mais davantage d’un montage et d’un style épuré mais surtout d’un rapport avec la musique très poussée. Les personnages ressortent dans toutes leurs couleurs dans le style Lucas malgré les erreurs d’écriture qu’il peut y avoir grâce à un sens de la composition de l’image très maîtrisé. Les séquences d’utilisation de la force sont toujours très marquante et codifiée, à l’image de l’entrainement de Luke dans l’épisode 5. Il était évident lors du rachat par Disney qu’il allait être difficile de surpasser ou même d’égaler ce qui avait été fait précédemment. L’épisode 7 avait pu à cet égard décevoir bon nombre de spectateur en n’étant qu’une resucée de l’épisode 4. L’épisode 8 se présente en contrepied complet de l’épisode 7, mais contrairement à ce que certains spectateurs ont pu penser il ne s’agit en rien d’une innovation mais davantage d’une capitulation. Comme certain ont pu le dire : « le dernier rempart est tombé ». Un aspect cynique du cinéma, incarné par le post modernisme présent de toute part dans le cinéma américain qui avale Star Wars à son tour.


Premièrement il me semble important de clarifier un élément crucial qui me semble mal compris par The Last Jedi. Il s’agit de la force. Qu’est-ce donc que la force ?
« The force is what gives a Jedi his power. It’s an energy field created by all living things. It surrounds and penetrates us. It binds the galaxy together. “
Cette explication très simple a marquée bon nombre de générations. Mais qu’est-ce donc alors que « le côté obscur » ? Pour le comprendre il faut plonger au cœur de la mythologie instaurée par George Lucas. Là où certains ont pu penser qu’il y a une opposition entre le côté lumineux et le côté obscur, en vérité le côté obscur est une perversion de la force. Ce que l’on appelle « côté lumineux » n’est que la force elle-même. Ainsi, les Jedi utilisent la force de manière altruiste alors que les sith l’utilisent de manière égoïste. Le Jedi laisse la force l’utiliser, il devient l’instrument de la volonté de la force en ignorant ses émotions le plus possible, il maîtrise ses émotions pour se laisser guider par la force. Le sith, ou utilisateur du côté obscur en revanche va utiliser la force selon ses propres besoins de manière égoïste, il laisse ses émotions le guider pour devenir le maître de la force. Un utilisateur de la force qui utilise son côté « humain » est condamné à sombrer du côté obscur, les émotions amenant forcément à une utilisation égoïste du côté obscur qui appellera toujours à plus de pouvoir. C’est ainsi qu’un personnage initialement bienpensant comme Anakin Skywalker a pu sombrer du côté obscur en voulant sauver la vie de la femme qu’il aime. C’est pourquoi Luke, dans son ultime affrontement avec Vador, refuse de porter le coup fatal à son père. Il comprends à ce moment-là qu’en utilisant ses émotions et sa colère pour vaincre son père il risquait de céder au côté obscur. La raison pour laquelle le monde de Star Wars peut paraître manichéen c’est précisément parce que la force existe. Désormais, on trouve une sorte d’insistance pour que les personnages soient plus « réaliste », mais c’est donc considérer que la force n’a pas un impact significatif sur le fonctionnement de l’univers de Star Wars, qu’il s’agit juste d’un pouvoir. Finalement l’oscillation avec le côté obscur que ce soit pour le personnage de Rey ou de Kylo Ren est très mal traitée. Là où l’aventure de Luke dans la grotte du côté obscur avait un message clair et présentait avec force le danger du côté obscur l'équivalent pour Rey est vague, insignifiant et immédiatement désamorcé par la voix off qui indique que Rey n’a pas peur et sait comment surmonter cette vision étrange de l’hypra reproductibilité de son propre corps. La force est traitée dans le film comme un McGuffin ultime, répondant à toutes les actions, justifiant tout et n’étant jamais proprement mise en scène. Que ce soit dans la trilogie originale ou dans la prélogie l’utilisation de la force était très codifiée et possédait d’une échelle de puissance claire et identifiable. Ici toute cette échelle de puissance est remise en question, il est difficile de juger l’effort demandé pour l’action finale de Luke tant Snoke paraît faire bien plus difficile sans effort (relier Kylo Ren et Rey à travers la galaxie).


Ce prélude et rappel au fonctionnement de la force est important et devait être fait. Passons maintenant à l’analyse du film The Last Jedi.


Rian Johnson a indéniablement pris des risque avec ce film puisqu’il a choisi de mettre en scène la déconstruction systématique de tous les mythes de Star Wars, parfois même en les tournant en dérision. Cette déconstruction passe en premier lieu par un renom de l’esthétique de Star Wars, là où le classicisme était de mise jusqu’alors c’est le post modernisme qui est revendiqué par Rian Johnson, il esthétise énormément son image par des ralentis (avec la télécommande, le combat de Kylo et Rey contre les gardes, l’évitement à la matrix de Luke) une utilisation du Flash Back (trois différentes versions de la même scène sont présentées avec la « tentative d’assassinat de Kylo Ren) mais aussi de la voix off (pendant la scène du miroir). Tous ces éléments font de Star Wars 8 un épisode qui se démarque sensiblement d’un simple point de vue esthétique. Cette modernisation du style met en relief le thème central du film : l’obsolescence de Star Wars.


Rappelez vous cette scène dans Star Wars 7 où l’on nous présentait l’hologramme de Starkiller Base en comparaison avec l’étoile noire. L’objectif était de montrer à quel point le danger était plus gros, comme si il y avait un besoin d’écraser ce qui avait été fait précédemment en le remplaçant nécessairement par une chose identique mais supérieure. Cette tendance se reproduit de manière artificielle dans l’intégralité du 8ème opus, Rey n’est qu’une version supérieure de Luke, Snoke de l’empereur, BB8 de R2D2, Poe Dameron de Han Solo (ou de tous les autres personnage de pilote). Finalement on a l’impression que cette nouvelle trilogie vient se positionner comme une mise à jour de l’univers de Star Wars, et comme toute mise à jour elle se doit d’effacer la version précédente. C’est donc une action extrêmement destructrice que met en place Rian Johnson, notamment dans son traitement du personnage de Luke Skywalker, et par extension de la rébellion dans les épisodes 4 à 6. Force est de reconnaître que Luke n’a rien accomplis, l’empire n’a en réalité jamais été défait et le côté obscur non plus. Tout ce qu’il a appris il semble avoir désappris dans l’intervalle entre l’épisode 6 et l’épisode 8. Le véritable haut fait de Luke dans la trilogie originale a été de trouver la bonté dans le cœur de Darth Vader, de détourner quelqu’un du côté obscur. Chose jusque-là considérée comme impossible. Ce haut fait est annihilé par son incapacité à aider Kylo Ren. Encore une fois, on positionne le personnage de Kylo Ren comme supérieur à Darth Vader en ce que Luke n’a pas été capable de vaincre les ténèbres présente dans Kylo alors qu’il a été capable de vaincre celle de Vader. L’état mental de Luke Skywalker détruit toute la progression du personnage des films précédents, en voulant mourir sans se soucier du destin de l’univers (qu’il savait forcément en danger avec le first order et Kylo Ren) il en devient un personnage lâche et insignifiant. Pas même capable de se donner la mort, se laissant dépérir dans un isolement qui n’en est même pas un (l’île est sacrément peuplée pour un endroit où on ne peut pas vraiment avoir d’agriculture et où pas grand-chose ne pousse). Pas même capable de lire les seuls livres présent sur l’île qui sont le dernier héritage de l’ordre Jedi. L’ordre jedi rendu risible par Yoda lui-même, dont le message aussi sonne creux « pass on what you have learned », si le film démontre une chose c’est que Rey n’a aucunement besoin de lui et qu’il n’a rien à lui apprendre.


Le film essaye de faire croire que Luke est une étincelle d’espoir mais c’est faux. Il ne « revient » qu’après l’intervention de Rey, c’est elle l’étincelle, lui n’est qu’un faible passeur. Pire encore, Luke n’a aucune véritable sagesse à transmettre la seule leçon qu’il transmet à Rey, que la force n’appartient pas aux Jedi était déjà présente depuis le départ. Leïa aurait pu lui transmettre cette leçon, les livres auraient pu transmettre cette leçon. Contrairement à ce que Luke dit dans le film les Jedi n’ont pas été vaincu en raison de leur orgueil mais parce qu’ils ont trop souhaité se rattacher à la république. Parce qu’ils se sont prêtés au jeu de la politique et sont devenu des pions. Mais ils n’ont jamais cessé d’utiliser la force de manière altruiste, ils n’ont jamais pris possession de la force.


La mort de Luke est décevante parce que le scénario qui l’accompagne est très faible. J’aimerais à cet égard contrer un certain argument, qu’il ne faut pas chercher la logique du film et le considérer simplement comme un « conte ». Le film lui-même se présente en porte à faux lorsqu’il introduit notamment le contexte des marchands d’arme qui vendent au deux côtés. La surabondance du thème de la guerre et du sacrifice héroïque du petit soldat viennent eux aussi en opposition à cette idée. La légende qui est propre au conte est montrée à découvert dans le film, présentée comme mensongère. L'univers de Star Wars à l'air plus semblable au monde réel qu'il ne l'a jamais été. La galaxie semble rapetissée et le dépaysement peine à s'opérer. Les deux "nouveaux" décors présentés, Canto Bight et Cait sont respectivement ressemblant à Monte Carlo et à la Death Valley.
Les bombardiers du film ne ressemblent à aucun autre vaisseau de Star Wars mais davantage à des bombardiers de la seconde guerre mondiale. Leur mode de largage de bombe ne peut d'ailleurs pas fonctionner dans l'espace.


Si l’on résume simplement le synopsis du film il s’agit d’une lente course poursuite où un vaisseau contenant le reste de l’armée rebelle reste hors de portée des canons du first order. De prime abord il parait difficile de croire que le first order ne puisse rien faire pour les rattraper. Des dizaines de solutions sont envisageable mais surtout le fait que les boucliers du vaisseau rebelle soit aussi efficace ou plutôt que les canons "impériaux" soit aussi faible provient d'une facilité de scénario. Par ailleurs toutes les erreurs des personnages sont justifiées par leur orgueil, mais cela va si loin qu'il parait difficile de croire que le First Order puisse régner sur la galaxie comme le suggère le texte déroulant.


Les péripéties du film reposent toutes sur un non-dit. L’amirale Holdo, présentée comme une héroïne est indirectement responsable de la mort de nombreux rebelles car elle ne partage pas son plan avec son équipage. On aurait pu croire encore qu’elle ne le partage pas avec Poe Dameron, mais même la rebelle interprétée par la fille de Carrie Fisher qui était toujours présente à ses côtés ne semblait pas le savoir. C’est ce manque de dialogue qui conduit Poe, Finn et Rose à monter leur plan. Un plan voué à l’échec et qui demande encore une fois au spectateur d’accepter beaucoup de choses. Finn et Rose doivent s’échapper d’une situation de guerre, aller chercher quelqu’un à une distance que l’on ne connait pas et revenir à temps alors que les rebelles sont « en panne d’essence ». (au passage, dans l'espace un vaisseau ne devrait pas avoir à utiliser continuellement son carburant, une poussée initiale devrait suffire à le lancer, mais passons après tout ce n'est pas dans l'habitude de Star Wars de se soucier de ce genre de chose)
Le décor de Canto Bight semblable en tout point à Monte Carlo semble avoir plutôt sa place dans un James Bond que dans Star Wars tant il ressemble à la terre. Le film prend une pause interminable le temps d’un lourd message sur la maltraitance animale. C’est là que survient la seconde incohérence du film, une fois attrapés par le first order le personnage joué par Benito Del Toro trahis les rebelles en révélant le plan de l’amirale Holdo. Cependant il ne peut pas connaître ce plan puisque comme nous l’avons dit plus tôt aucun des protagoniste n’était au courant, raison pour laquelle Finn et Rose avaient monté leur propre plan. Toute cette situation se révèle être complètement incohérente, de ce fait, comment peut il y avoir de la tension dans le film quand l’artificialité de son scénario est à ce point dévoilée au grand jour ? De la même manière, ni Finn, ni Rose n’était au courant de l’existence de la base rebelle sur la planète aux cristaux rouges (Crait) et ils n’avaient visiblement pas pris contact avec le rebelle avant d’y arriver (puisque ceux-ci leur tirent dessus).
Nous arrivons enfin au point qui est sans doute le plus critiquable du film. La déconstruction n’est pas une chose nouvelle dans le cinéma, on la trouvait par exemple dans le très récent Thor Ragnarok, et ici comme dans Thor cette déconstruction à un effet décrédibilisant. Les nombreux retournements de situation du films surviennent comme avec un désir de surprendre à tout prix. Il s’agit de reprendre des scènes classiques de Star Wars et de retourner leur aboutissement comme pour démontrer à quel point l’ingéniosité des nouveaux personnages rendent les précédents stupides. La séquence avec Kylo Ren et Rey devant le trône de Snoke est de manière évidente un simulacre de la scène de l’épisode 6 avec Luke, Darth Vader et l’empereur. Les enjeux sont même identiques. La façon qu’à Kylo Ren de tuer Snoke en tournant le sabre laser discrètement vient presque moquer la scène du 6, présentant une forme de meilleure alternative. Mais l’insolence absolu du film provient sans nulle doute dans sa façon de fermer violemment les portes ouverte durant l’épisode 7. Snoke notamment était un personnage mystérieux, sa surpuissance et sa provenance demeurant inexpliquée il semble sortir de nulle part. Généré plus par un désir de perpétuer la saga que par une véritable intention d’écriture. La révélation de la parenté de Rey est elle aussi un véritable retour en arrière. C’est presque d’une façon moqueuse qu’est mis en scène cette révélation, l’on fait exprès de porter un accent sur la parenté de Rey qui n’est au final pas importante. On aurait pu très bien donner cette révélation de manière beaucoup plus simple, il s’agit ici de reproduire la scène de « No, I am your father » dans un sens inverse. Ces mise en scène sont d’autant plus insultantes qu’elles vont à l’encontre de la mise en scène du précédent opus. Pourquoi laisser le nom de famille de Rey en suspend en l’appelant seulement Rey si ce n’est pas pour révéler son vrai nom de famille ? Pour la raison simple qu’il s’agit d’aller à l’encontre des films précédents où la famille et le sang avait un sens, où l’héritage était au cœur de l’identité d’une personne. L’accent est ici posé sur l’importance du soldat inconnu, comme on peut le voir avec les sacrifices héroïques des personnages secondaire à de multiples reprise. Le film entreprend alors non seulement de déconstruire le mythe de Star Wars mais aussi de la famille Skywalker dont la lignée s’interrompt désormais et dont l’impact n’aurait été qu’un grain de sable dans la galaxie. Il est difficile de considérer l’Empereur ou Darth Vader comme menaçants et dangereux quand ces nouveaux personnages les surclassent en tout point. Pire que tout, il semble que la déconstruction opérée par le film est malhonnête. Kylo Ren prétend vouloir reconstruire quelque chose de nouveau mais le film lui donne tort. Comme tous les sith il tue son maître et prend sa place. Un plan en particulier vient même faire écho à la transformation d’Anakin en Darth Vader. D’un côté Vader entre dans le temple Jedi une armée de Clones à ses bottes, de l’autre Kylo Ren entre dans la base rebelle une armée de Stormtrooper derrière lui. Le cadrage est identique. De l’autre, Rey est destinée à reformer l’ordre Jedi puisque l’on voit qu’elle a récupéré les livres contenus dans l’arbre (bien que selon l’enchaînement des scènes du film entre le moment où elle se décide à partir et où Luke brûle l’arbre rien ne laisse suggérer qu’elle ai eu le temps de le faire). C’est là que l’incompréhension du fonctionnement de la force pose problème, Rey et Kylo utilisent la force de manière extrêmement confuse. L’image finale du film, donnée à un enfant inconnu, utilisateur de la force parachève la mort du mythe de Star Wars et l’obsolescence de son ancienne identité donnant à un enfant inconnu le pouvoir d’être une « étincelle » d’espoir et terrassant ainsi la légende que fut Star Wars. Le héros n’est plus légendaire, il est ordinaire.

DarkCraignoss
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le 17 déc. 2017

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