Attention, cette critique dévoile l’intrigue du film.
Disons-le clairement, cet épisode VIII est en-dessous de tout et donne raison à ceux qui craignaient le rachat des droits par Disney. Si l’épisode VII, déjà décevant, réussissait à sauver les meubles, cette fois les meubles sont brûlés et la maison n’est plus qu’un tas de cendres. A lui seul, cet opus rabaisse l’entière série et donne à l’œuvre complexe et intelligente de Lucas des allures de blockbuster lourdingue et sans relief.
En somme, Disney a « Marvelisé » Star Wars et voici comment.


1) Le scénario des Derniers Jedi est d’une platitude effarante. On a cette impression désagréable qu’il a été écrit par une personne dont la culture cinématographique se résume aux blockbusters sans intérêt des 10 dernières années et qu’elle a voulu en faire un épisode de Star Wars. L'histoire est sans profondeur, simpliste, probablement pour plaire à un large public, le film dans l'emphase permanente, la surenchère facile et bébête. Exit les fines intrigues politiques ; les nombreux renvois historiques : l’Antiquité (Sénat, relation maître-élève, empereur manipulateur, la course de chars revisitée), le Moyen-Age (ordre religieux, combat au sabre) mais aussi la Renaissance, le nazisme etc. ; les références religieuses (dimension messianique et christique d’Anakin : il est l’objet d’une prophétie et n’a pas de père), les psychologies travaillées des personnages…


2) Une des grandes réussites de la trilogie originale était la création d’un méchant focalisant toute l’attention sur lui par son côté mystérieux, sa psychologie, son apparence quasi-robotique, ses pouvoirs hors-normes et oubliés de tous ou presque. A l’inverse, Snoke ne présente aucun intérêt, aucune complexité, aucune profondeur. Ce personnage n’est relié à rien, semble sortir de nulle part, son apparence ne rappelle rien de l’univers de Star Wars, son attitude caricaturale se révèle vaine, bien loin des manipulations géniales de Palpatine. Sa mort semble affirmer la volonté de mettre fin à une création ratée et malvenue. C’est également un premier indice d’une trilogie écrite au fil de l’eau et sans grande concertation entre les réalisateurs chargés des épisodes VII à IX.


3) Si le conflit intérieur de Kylo Ren, déjà moyennement réussi dans l’épisode VII, faisait penser à celui d’un adolescent capricieux (bien plus qu’aux éventuelles fêlures d’un Jedi torturé devenu Sith), il devient franchement incompréhensible dans le VIII. Les multiples retournements de situation sont le cache-misère d’une psychologie mal étudiée et peu profonde. Ici aussi, on imagine que la volonté est d’éviter la complexité et de toucher un large public. Le basculement progressif d’Anakin vers le côté obscur constituait indubitablement une des grandes réussites de la seconde trilogie : son humanité, opposée au côté monastique, désintéressé de l’idéal Jedi, en faisait un personnage attachant. L’enfant privé de mère, la crainte de perdre une nouvelle fois l’être aimé (sa femme Padmé) sont autant de facteurs qui, par leur caractère obsessionnel et leur intensité, font réfléchir le spectateur. A sa place pourrions-nous faire fi de nos sentiments personnels pour protéger le bien commun ? Ou basculerions-nous dans l’horreur par peur de perdre ceux à qui nous tenons le plus ? Anakin, esclave depuis sa naissance, n’a pas connu l’insouciance souvent associée à l’enfance, il a trop souffert pour être parfait. Mais ce processus d’identification du spectateur au personnage se révèle impossible et vain lorsque l’on tente de l’appliquer à Kylo Ren. Son histoire personnelle ? Bâclée. Son humanité ? Imperceptible.


4) La Force, élément mystique et religieux, est réduit à une sorte de superpouvoir qui n’échappe pas à la surenchère stupide qui règne durant tout le film. La surprise de voir Leia survivre consécutivement à une explosion, une perte de pression et un froid intersidéral laisse place à la gêne lorsqu’elle utilise la Force pour flotter dans les airs comme Mary Poppins (ou Superman, le résultat est le même) pour rejoindre le croiseur rebelle. Quelques heures plus tard, elle retrouve toutes ses facultés, comme si de rien n’était. Evidemment, la Force n’existe pas dans le monde réel, et parler de vraisemblance pourrait en faire sourire certains. Mais cette séquence est une trahison fondamentale de l’univers de la saga. Lorsqu’il est tué par Palpatine avec la complicité d’Anakin (épisode III), Mace Windu est projeté depuis le haut d’une tour dans une chute mortelle. Idem pour l’Empereur jeté dans l’abîme de l’Etoile Noire (épisode VI) par Dark Vador. Ces deux personnages ne reviennent pas en sifflotant et en volant pour continuer le combat... Par ailleurs, si certains êtres initiés pouvaient ressentir grâce à la Force une présence ou une absence, on apprend qu’ils peuvent désormais communiquer de manière consciente et instantanée. D’où ces scènes ridicules entre Rey et Kylo Ren qui donnent l’impression d’avoir plus affaire à une dispute de couple qu’à un affrontement mystique entre Bien et Mal. Il en va de même pour Luke, qui sort de son chapeau la possibilité de se créer un double, sorte d’hologramme à des années-lumière de son véritable être, qui berne bien longtemps Kylo Ren, ce triste Sith. Risibles, ces « innovations » remettent en cause tout ce qui a été fait précédemment et ce qui servait à ancrer et borner l’univers Star Wars. Que devient alors le particularisme de la saga face aux Avengers, Thor et autres blockbusters bodybuildés dont la dernière tare est d’ailleurs de mélanger des imaginaires totalement différents (Batman et Superman, Spiderman, etc.) ?


5) La surenchère constante touche bien d’autres pans de l’univers : on apprend désormais que l’on peut tracer un voyage en vitesse lumière, première frontière dépassée, mais aussi et surtout que foncer en vitesse lumière contre un autre vaisseau (ou en l’occurrence contre la moitié de la flotte du Premier Ordre) revient à le détruire de manière assez simple. Autre gradation facile : fin du croiseur, voici le cuirassé, qui laisse lui-même place au vaisseau-mère de Snoke. Et laissez le TB-TT au garage, nous avons un marcheur deux fois plus grand, l’AT M6.
D’ailleurs, quid de BB-8 qui sait désormais conduire un TR-TT ? On se demande alors pourquoi les humains s’embêtent à piloter ! Une folie quand on pensait jusqu’alors que ce nouveau droïde était l’une des seules bonnes inspirations de cette nouvelle trilogie, aussi bien par son déplacement que par sa manière très personnelle de réparer le X-Wing mal engagé dans la bataille initiale. Autre ineptie : les croiseurs, véritables fers de lance de la flotte impériale, ne résistent pas à l’attaque d’un seul bombardier rebelle. On se demande pourquoi cette technique n’a pas été utilisée durant la Guerre des Clones ou par la Rébellion auparavant. Mais la vraisemblance ne semble, encore une fois, pas être le souci principal de Disney.


6) La dimension comique du film est pesante, là où elle était généralement discrète dans les créations de Lucas (à l’exception de Jar Jar Binks dont le rôle n’est toutefois pas fondamental dans l’intrigue, sauf lorsque sous influence, il fait voter les pleins-pouvoirs au chancelier Palpatine, mais qui ne l’aurait pas fait à sa place ?), et se double d’une sottise effarante. Les nouvelles créatures introduites dans ce huitième opus se vautrent dans un humour forcé proche de celui des Minions. Les considérations misérabilistes de Rose, personnage d’une niaiserie hautement détestable, ne font que renforcer l’ambiance puérile du film. L’horreur de l’esclavagisme, condition première d’Anakin, était pourtant traitée avec brio dans l’épisode I : la volonté d’y mettre fin est d’ailleurs la motivation première du jeune héros pour devenir Jedi. L’enfant fait alors comprendre à Qui-Gon et Padmé avec une naïveté désarmante que chaque esclave est marqué dans sa chair par une puce (référence fine aux numéros tatoués des déportés de la Seconde Guerre mondiale) qui exploserait en cas de fuite. Sans être surligné, le thème de l’oppression et de la privation de liberté n’en devient que plus puissant.
De plus, la scène nous présentant un ersatz de Monte Carlo à la sauce Star Wars, où le capitalisme sans vergogne domine, est un exemple parfait de lieu commun et de non-respect des codes établis par les précédents épisodes. Tout est forcé, surjoué, comme quand Luke s'enlève une poussière de l'épaule après avoir essuyé le feu nucléaire : "Même pas mal !", semble-t-il dire avec les rires gras du blockbuster classique l’accompagnant. Faute suprême car la saga se révèle passionnante quand elle exploite les infinies ressources (scénaristiques, politiques, historiques, mythologiques) de sa complexité. L'humour est une arme - particulièrement efficace dans la trilogie originelle entre les mains de Han Solo - quand il permet de désamorcer l'espace de quelques secondes la tension constante et addictive de l'intrigue, malheureusement inexistante dans ce film.


7) Même la musique, autrefois complexe et novatrice retombe dans les mêmes travers : tantôt plate et sans originalité, tantôt grandiloquente et forçant l’épique. Aucune mélodie, à l’exception des thèmes classiques revisités, ne retient l’attention, comme cela était déjà le cas dans l’épisode VII. Pourtant omniprésente, la bande originale est ainsi rapidement oubliée. Le combat des deux Jedi contre Dark Maul, l’invasion de Naboo, la marche sur le temple Jedi, la bataille sur Hoth, la bataille d’Endor sont autant de scènes sublimées par des thèmes marquants. Il n’y a désormais plus d’originalité dans la partition de John Williams.


Pour comprendre à quel point cet opus est raté, il ne faut pas simplement l’évaluer en tant que simple œuvre cinématographique (le constat est pourtant déjà sévère) mais aussi le confronter à l’exigence des films de George Lucas. Il faut cerner la profondeur des épisodes 1 à 6 pour juger de la qualité d’un épisode Star Wars.


On s’étonne déjà qu’un blockbuster nunuche fasse le bonheur des critiques mais on se dit que leur exigence a été sapée par ce flux de créations Marvel ou DC qu’Hollywood déverse depuis des années. La plupart des journalistes dits « spécialistes », vraisemblablement satisfaits et dépourvus de cette exigence, ont désormais rangé Star Wars aux côtés de ces films de divertissement grand public, ultime camouflet.


Vianney LG et Maxime B

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le 20 déc. 2017

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