Parce qu'il est parfois nécessaire de casser ses jouets

Attention : cette critique va dévoiler un certain nombre de passages de l'épisode VIII, ainsi que de l'épisode VII de Star Wars. Il va donc de soi qu'il est fortement déconseillé d'aller au-delà de ces lignes si vous n'avez pas vu l'un ou l'autre de ces films et que vous souhaitez garder le mystère jusqu'au bout.


On avait laissé Star Wars en 2015 sur une scène finale où l'aspirante Jedi Rey croise enfin la route de la légende Luke Skywalker. Pendant ces deux dernières années, de nombreuses questions restèrent en suspens concernant le devenir de tous ces nouveaux héros créés avec le premier épisode de l'ère Disney et surtout ce qu'il allait advenir d'une franchise vieille de 40 ans mais qui avait été brocardée (pour ne pas dire trahie) par le propre créateur de la saga, George Lucas, avec sa "prélogie" sortie entre 1999 et 2005. Ces "produits" (car conçus comme des annexes des catalogues de jouets) ineptes et des insultes au cinéma avaient mis un sacré coup au flanc de la saga, même si leur succès commercial est indéniable et laissaient envisager un avenir assez certain.
Quand l'ogre Disney rachète la franchise Star Wars au début des années 2010, les inquiétudes peuvent être légitimes car l'épisode VII avait laissé dubitatif un certain nombre de fans (même si ce film a mieux compris et respecté Star Wars que George Lucas n'a su lui-même le faire dans les épisodes I,II et III).


La gageure avec en effet été pour JJ Abrams, réalisateur du Réveil de la Force, de ménager la chèvre des fans de la première heure et le chou d'une nouvelle génération qui découvre Star Wars au cinéma. Le résultat obtenu est un film certes efficace, une véritable oeuvre de cinéma (contrairement aux épisodes I, II et III) mais dont les ficelles de la relecture (presque à l'identique) de l'épisode IV étaient un peu grosses, car il ne fallait pas trop décevoir l'armada de fans, parfois intégristes, qui scrutent tous les faits et gestes concernant Star Wars.


Ainsi, à quelle sauce allait-on pouvoir manger cet épisode VIII ? Si les ressorts scénaristiques et les rebondissements restent somme toute classique et s'il faut admettre que les grandes lignes rappellent fortement l'Empire Contre-Attaque (la Résistance acculée face à l'Empire/Premier Ordre, un apprenti Jedi qui va apprendre à maîtriser son pouvoir avec un vieux maître reclus,...), Force (ahah) est de constater que de nombreux codes de la saga sont en train de tomber en filigrane et qu'une analyse fine de ce film préfigure une sorte de tabula rasa à terme de tout ce qu'on a connu dans notre enfance/adolescence.


Le réalisateur Rian Johnson a en effet pris un malin plaisir à détricoter tout ce qui avait été fait dans le passé pour mieux définir ce qui pourrait être le canevas de la suite de la saga. Par exemple, le discours de Snoke à Kylo Ren dès le début du film à propos du fait qu'il est un "enfant avec un masque" ou Luke qui balance son sabre (point névralgique de l'épisode VII) dès que Rey lui transmet en dit long sur cette volonté de marquer les esprits et de se débarrasser de cet héritage pesant autour de la saga, un peu comme si Star Wars avait enfin fait son Oedipe (symbole à ce propos lourd de sens dans une série qui raconte depuis 4 décennies comment tuer le père pour épouser son destin). Et tout l'intérêt de l'épisode VIII est justement d'avoir évité de faire cela à coups de gros sabots, même si les points sont mis sur les i dès le départ du film, notamment par les deux passage sus-nommés qui arrivent au bout de dix minutes de film et qui nous font comprendre qu'il y a des règles ici qu'il va falloir accepter.


C'est d'autant plus intéressant que visuellement, un vrai travail d'hommage a été rendu à l'esthétique des épisodes originels, que ce soit lors des dogfights spatiaux ou bien dans le design des machines et des costumes. On est en terrain connu, même si on nous fait clairement comprendre que Luke Skywalker, Leia Organa, Han Solo et Darth Vader, c'est du passé et qu'il va falloir penser à passer à autre chose. On ne va pas oublier leur héritage, mais maintenant le présent, c'est Rey, Finn, Poe, Kylo Ren et tous ces nouveaux personnages auxquels il faudra s'habituer, qu'on le veuille ou non. D'ailleurs, un des thèmes sous-jacents des Derniers Jedi tourne autour de l'héritage et de savoir ce qu'il est bon de garder ou pas. Ce thème pourrait ainsi s'appliquer sans problème à la franchise Star Wars en général.


Il est d'ailleurs assez étonnant de voir que Disney, que l'on ne connaît pas vraiment pour sa capacité à prendre des risques et qui s'appuie au contraire sur des codes bien établis (cf le MCU et ses films calibrés à l'identique), ait pu permettre ce genre de transgressions dans une franchise qui reste une poule aux œufs d'or depuis des décennies et qu'ils essayent de faire fructifier depuis le rachat à coups de films à intervalles réguliers. C'est d'autant plus étonnant que, finalement, il y a peu de nouveaux produits à marketer dans ce nouvel opus Star Wars. Il y a bien les adorables Porgs, ces macareux de l'espace qui vivent sur l'île où est reclus Luke Skywalker, qu'on peut trouver en peluches dans les Disney Stores, et à la rigueur les gardes de la garde de Snoke, mais on est quand même loin des Darth Maul et Grievious, coquilles vides de la trilogie précédente conçus pour remplir les étals de Toys 'R' Us ou même des Boba Fett et autres Ewoks des épisodes originels. Comme si Disney voulait se contenter de ce qui existe déjà et proposer un univers cohérent plutôt que d'étouffer sa franchise sous un trop-plein de produits dérivés. Ce qui peut paraître presque anachronique à une époque où remplir les rayons prévaut sur l'oeuvre cinématographique et encore plus dans une franchise qui a presque inventé le concept de merchandising dès le départ.


Il est donc assez amusant de voir que ceux qui accusaient Disney d'avoir piteusement pompé l'épisode IV pour le Réveil de la Force sont souvent les mêmes qui leur reprochent maintenant d'avoir osé sortir du canon de la saga (au point même que certains ont lancé une pétition pour que le film soit retourné). Pourtant, les fans de la première heure ne devraient pas être mécontents du résultat, car tout compte fait, ce film les prend moins pour des idiots et des vaches à lait que tout ce qui a été fait jusqu'à présent dans la saga.


Cela dit, pour revenir à des préoccupations plus triviales, il faut admettre que le film n'est pas parfait, loin de là. On peut reprocher ici ou là, quelques longueurs et passages inutiles ou peu palpitants (la scène du casino notamment), ainsi que quelques incohérences et facilités dans le scénario. Certains personnages manquent aussi de profondeur, ce qui est regrettable. Je retiens aussi que les transitions entre les différentes scènes manquent de fluidité (soit cela est expédié un peu brutalement, soit cela met du temps à s'enchaîner) et que la chronologie est parfois étonnante (on va appeler ça le syndrome "Game of Thrones Saison 7"). C'est d'autant plus vrai que le scénario reste assez classique et que les deus ex machina sont un peu trop faciles. Légère déception aussi vis-à-vis de la bande son de ce film. Pas par sa qualité bien entendu ; l'oeuvre de John Williams reste majeure et chaque titre est intemporel. Non, ce que je "reproche" c'est que quitte à casser un peu les choses dans la saga, pourquoi ne pas aussi avoir proposé des titres plus originaux et sortir un peu des routines de la saga. Cela dit, ces morceaux sont tellement mythiques qu'il s'agit plus d'un désir personnel que d'une véritable critique.
Cela n'enlève cependant rien aux qualités intrinsèques du film, et on peut reconnaître qu'il y a quelques grands moments de cinéma (comme le sacrifice de Holdo ou le combat final sur la planète de sel) et voir une grosse franchise installée du cinéma tenter des choses (même si parfois cela ne marche pas) reste malgré tout quelque chose de peu fréquent dans l'industrie actuelle.


Bref, Star Wars est un quadragénaire qui semble s'être décidé enfin à se prendre en main et à accepter les responsabilités d'adulte. Restent maintenant à ses potes qui traînent avec lui depuis toutes ces années d'accepter ce changement et de grandir avec lui.

Benoit_Mercier
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 26 déc. 2017

Critique lue 279 fois

1 j'aime

1 commentaire

Benoit Mercier

Écrit par

Critique lue 279 fois

1
1

D'autres avis sur Star Wars - Les Derniers Jedi

Star Wars - Les Derniers Jedi
Cyprien_Caddeo
4

Comment faire n'importe quoi avec Star Wars, par Disney.

Voilà, pour la première fois de ma vie, je me suis fait salement chier devant un Star Wars, j'ai levé les yeux au ciel, grommelé pendant toute la séance, et détesté un film de la saga. Je suis à deux...

le 14 déc. 2017

308 j'aime

70

Star Wars - Les Derniers Jedi
Vnr-Herzog
7

Naguère des étoiles

Cela fait quarante ans que La guerre des étoiles est sorti, un film qui a tout changé et qui a marqué et accompagné des générations de spectateurs. Même si Les dents de la mer avait déjà bien ouvert...

le 21 déc. 2017

294 j'aime

42

Star Wars - Les Derniers Jedi
Gand-Alf
8

Les vieilles choses doivent mourir.

S'attaquer à une institution comme celle que représente Star Wars, c'est comme inviter à danser la plus jolie des CM2 alors que tu n'es qu'en CE1. Qu'elles que soient ta bonne volonté, ta stratégie...

le 18 déc. 2017

205 j'aime

54

Du même critique

The Haunting of Hill House
Benoit_Mercier
9

Des fantômes dans le placard

Début des années 1990. Olivia et Hugh Craine s'installent provisoirement dans un gigantesque manoir des alentours de Boston avec leurs cinq enfants. Leur objectif avoué est de retaper cette maison et...

le 4 nov. 2018

1 j'aime

Star Wars - Les Derniers Jedi
Benoit_Mercier
8

Parce qu'il est parfois nécessaire de casser ses jouets

Attention : cette critique va dévoiler un certain nombre de passages de l'épisode VIII, ainsi que de l'épisode VII de Star Wars. Il va donc de soi qu'il est fortement déconseillé d'aller au-delà de...

le 26 déc. 2017

1 j'aime

1

Suikoden
Benoit_Mercier
8

Comme le bon vin, s'affine en vieillissant.

Nous sommes en 1997. Un vent de J-RPG commence à souffler officiellement sur le Vieux Continent. Si les plus férus de ces jeux de rôles à la japonaise se payeront régulièrement leur dose en import...

le 26 févr. 2015