Épisode VIII : La claque de Luke dans ta gueule

[SPOILERS PARTOUT !]


Le Réveil de la Force était une promenade pépère quoique fort appréciable dans un univers bien connu, avec quelques nouveautés posées ici et là, parfois très moches d’un point de vue esthétique (les rathars, Snoke, Maz). Les Derniers Jedi ne s’encombre plus d’un aspect vintage feint et nous embarque dans un véritable grand huit intersidéral, tout en bazardant Snoke et Maz, ce que j’ai apprécié. Pour rassurer et satisfaire les esprits friands d’exotisme synthétique, il nous offre un casino extraterrestre peuplé de créatures laides (mon dieu, ce petit monstre qui glisse des pièces dans BB8 en le confondant avec une machine à sous…), mais pulvérise presqu’aussitôt ce décor sous les sabots des fathiers à l’occasion d’une « chevauchée fantastique » qui convoque tout à la fois Indiana Jones et Jurassic Park. Pour combler ceux qui poussaient des soupirs exaspérés à l’apparition de l’hologramme de Snoke dans l’épisode précédent, il assassine purement et simplement le personnage. Et nous entraîne dans une direction inattendue. Les Derniers Jedi est déroutant, mais à aucun moment je ne me suis senti perdu. Tout le long, nous sommes guidés par des mantras qui nous appellent non pas à créer du Nouveau ex nihilo, mais à nous détacher de ce que l’on tenait pour Acquis.


La réalisation se disperse par intermittence (la scène de Leïa flottant dans l’espace ne m’a pas gêné parce que oulala c’est pas possib’ de survivre dans l’espace – l’espace ne s’embarrasse guère de logique dans Star Wars –, mais en raison de sa lourdeur quasi mariale), alors qu’elle atteint à de nombreux moments des sommets qui sont autant de claques visuelles (Rey dans la grotte des « miroirs », le ballet de fumée rouge sur Crait, l’évanouissement de Luke et j’en passe) teintées de poésie. L’humour, bienvenu (j’étais plié au tout début, « Général Câlin », c’est juste énorme) permet de désamorcer des moments de tension que tout être humain normalement constitué jugerait inacceptables (je vivrais dans la galaxie de Star Wars sans aucun second degré, je me pendrais direct.) Et puis, je préfère voir BB8 conduire un AT ST en mode Chewbacca plutôt que R2D2 volant tel Superman dans un certain épisode de la prélogie, c’est moins incohérent. Si Holdo est à peu près ratée, son sacrifice final nous livre sur un plateau d’argent l’explosion la plus… détonante de toute la saga. Durant ce bref instant de silence, tout le monde au cinéma retenait son souffle et écarquillait les yeux. Les Derniers Jedi est à ce titre un condensé de chocs esthétiques qui révèle une vraie griffe du réalisateur. Avec de la poésie dedans plutôt que de la philosophie de comptoir.


À côté de cette poésie, le film prend de gros, gros risques. Il pose de gros, gros testicules sur la table. Et cette hypertrophie testiculaire peut s'avérer dérangeante, notamment lorsqu’il s’agit d’éluder toute réponse au profit de l’action. Hormis la cavalcade des fathiers, tout l’arc sur Canto m’a laissé désagréablement de marbre. Itou quand Finn et Rose se retrouvent prisonniers de la très accessoire Phasma, avec carnage libérateur tout à fait irrecevable. J’ai trouvé le film trop long (bien que ma compagne, cinéphile et à peine curieuse de Star Wars, en eût volontiers repris vingt minutes supplémentaires, comme quoi…)


Les Derniers Jedi pourrait être qualifié de progressiste : cause animale, approfondissement de l’univers (tout n’est plus blanc ou noir), égalitarisme (la sensibilité à la Force n’est a priori pas génétique et apparaît très largement répandue dans la galaxie), rejet subtil non pas des codes en eux-mêmes, mais de leur formalisme (Yoda brûle l’arbre contenant les Livres mais savait, peut-on penser, qu’ils ne s’y trouvaient déjà plus), Rey passant du statut de personnage un peu paumé à celui de nouvel espoir incarné…


Je le noterais 7/10 si je ne prenais Luke Skywalker en considération. Celui-ci est joué par un Mark Hamill qui a vieilli comme un excellent vin. Projetons-nous à la fin de cet épisode. Quand Luke époussette son épaule d’un air narquois, je me suis dit « Putain, il est déjà mort en fait ! » En une fraction de seconde, j’ai pensé qu’on nous baladait depuis le début (voire depuis l’épisode VII), que pour une raison ou une autre Luke était parti sur son île pour y mourir et qu’il avait effectivement rejoint la Force. Que Rey avait eu affaire des jours durant, sans s’en rendre compte, à un nouveau genre de fantôme de Force. Bref, j’essayais de comprendre. Et puis boum, retour sur Ahch-To, ce plan magnifique qui serre le cœur et vous précipite dans un vertige émotionnel incroyable. Sans doute mon moment préféré du film avec la scène des « miroirs » de Rey, parce que c’est déroutant et que ça tient de la haute poésie.


Voilà ce qui distingue les montagnes russes de Star Wars VIII d’un bête et méchant manège à sensations fortes : sa capacité à se transcender (Rey claquant des doigts dans son obscur couloir de miroirs touche à l’existentialisme), à laisser entrapercevoir le sublime dans un écrin biscornu et intimiste.


Allez, 8/10.

Rebellix
8
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le 27 déc. 2017

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Rebellix

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