Le crépuscule des idôles

Si tu lis cette critique, spoilé tu seras, jeune padawan !

Rian Johnson tourne en dérision la mythologie Star Wars au lieu de la réinventer. Ce film est une sorte de vaste farce qui ne croit même pas en elle-même et qui s'autosaborde, comme les pirates dans Astérix, hanté par son héritage trop grand. Et que fait on quand on est embarassé d'un héritage trop grand ? On le dilapide et on rit, gêné, de tout ce luxe.

Quel gâchi. Parce que si l'épisode VII offrait peu de consistance, il était d'une fidélité pieuse à la trilogie originelle au point de la copier, avec moins de talent. JJ Abrams nimbait son film de mystère, n'apportait aucune réponse mais donnait follement envie de voir la suite. Qui sont Rey, Snoke, Finn ? Il introduisait des personnages pas toujours parfaits mais que l'on voulait découvrir. Mais la structure narrative du VII offrait finalement peu de choix pour le VIII et, piégé, Rian Johnson n'avait pas d'autres alternatives que de faire des choix drastiques.

Malgré cela, j'aurais aimé je crois, que Abrams réalise cette suite car elle aurait eu, à défaut d'être originale, un peu de cohérence. Les Derniers Jedi est une mauvaise suite dans le sens où elle ne respecte presque aucun choix de l'épisode précédent. A croire que Disney ne s'est pas concerté et n'a pas pensé sa trilogie comme un tout. C'est un drame ! Quand on a un tel budget et de l'or entre les mains, de ne pas être capable d'avoir une ligne directrice claire, c'est hallucinant. A la place on a un film en roue libre où Rian Johnson fait un peu ce qu'il veut. Et surtout, il fait de mauvais choix. Incapable de prendre le relais d'Abrams ou avec la claire volonté de faire le malin et de saborder son travail, il nous fait trois entorses à la saga : un début in media res, suite directe du premier film et un flashback. Formellement, c'est le seul Star Wars qui fait ça. La fin aussi, qui ouvre le film sur un gamin qui attrape son balais avec la force est d'une niaiserie sans nom (mélange entre Harry Potter et le Mickey de Fantasia) et tord complètement la structure traditionnelle des épisodes. Ca fait vieux con de dire ça mais Star Wars ça se respecte. Et je veux bien des innovations mais là, elles sont gratuites et sans intérêts. Même la prélogie, avec sa myriade d'erreurs est plus respectueuse de la saga et a plus de consistance !

On avait reproché au Réveil de la Force de manquer d'audace. On ne peut pas en dire autant des Derniers Jedi, qui tente, tente tout le temps et même un peu trop sans que les choix retenus soient toujours judicieux. Rian Johnson visiblement voulait éviter le remake, reproche fait à juste titre à l'épisode VII. Il voulait aussi mettre à mal toutes les théories de fans qui avaient fleuri sur internet et qui faisaient le sel justement de la saga. Une mythologie c'est des théories, des mystères, des interrogations. Ici, il les balaye. Rey est elle la soeur de Kylo ? Vous n'en saurez rien. Peut-être que était-ce une théorie convenue mais au moins elle était logique. Ici, elle semblerait être une bouseuse, sortie de nulle part (j'y reviendrais) selon Kylo Ren qui lui annonce cette vérité dans une scène au demeurant pas mal. Snoke est il Dark Plagueis ? Vous n'en saurez rien non plus. Le film frustre, agace, irrite, renforcé par un humour marvelisant, parfois sympa parfois risible (la première blague du film tombe à plat) mais omniprésent, jusqu'à affadir la dramaturgie.

L'autre problème de ce film c'est qu'il est mal écrit. Le VII était là dessus parfaitement cohérent et clair. Ici, les personnages font des choix incompréhensibles. Quand je dis que le mythe est bafoué, prenons Snoke. Snoke se veut le pendant de Palpatine dans la trilogie originale. On ne savait rien de Palpatine à l'époque. Il était mystérieux. Il était apparu deux trois fois puis il mourrait. Mais ça ne gênait pas, ça ne gênait pas parce qu'il n'y avait pas le background derrière qu'il y a aujourd'hui. Là, Rian Johnson nous fait de Snoke un personnage sans profondeur, ce qui fait qu'il le coupe de tout l'univers, univers composé de 8 films, plusieurs séries, des dizaines de livres. Par facilité, il tue Snoke. Certes, personne ne l'avait vu venir. C'est à contrepied de tout ce qu'on attendait et le tuer n'était pas idiot en soi, mais il fallait amener cette mort et nous faire craindre ce personnage qui a tout au plus 5 minutes à l'écran dans ce film. En plus, c'est tout à fait dommage. Dans le VII, tout le monde critiquait ce gollum géant, hideux et inutile et dans ce film il avait enfin de la consistance : une voix, une présence, des pouvoirs démesurés. On se disait : ça y est, ce méchant a du style. Il va être un défi pour nos héros. Et pouf, tué par Kylo Ren en un rien de temps et d'une manière misérable. La mise en scène de sa mort est pathétique. On voit son visage, gueule béante, langue pendante, comme s'il fallait se moquer de lui, le réduire à une dimension comique. Je n'avais pas du tout envie de rire de Snoke. J'ai eu pitié de lui. Ce film est ce que la trilogie du Hobbit est au Seigneur des Anneaux, bancale, moche, vulgaire.

Snoke n'est pas le seul à souffrir d'incohérences : Finn, personnage sympathique avec un background intéressant - ex stormtrooper - est ici inutile. Johnson semble se le coltiner tout le long du film sans savoir qu'en faire. Le voilà lancé dans une quête sur un casino aussi laid qu'une scène de Valérian avec un nouveau personnage, Rose, d'origine asiatique, ici conçue pour séduire le marché asiatique. Mais le problème de Rose c'est que sa soeur, que l'on voit au début du film mourir, a plus de charisme qu'elle. Elle n'est pas inintéressante mais elle s'ajoute à la myriade de personnages en roue libre dans ce film. Rian Johnson ne sait pas traiter les personnages visiblement : le capitaine Phasma et l'amiral Hux sont réduits au ridicule. Tous les méchants de cette saga sont drôles, c'est absolument affligeant. Seul Kylo Ren sauve la mise - j'y reviendrais. Côté gentil, Chewbacca est réduit au silence, R2D2 possède une seule scène, sympathique. C3PO, lui, a carrément perdu son bras rouge de l'épisode précédent. La raison est obscure, peut-être un caprice d'Anthony Daniel. BB8 est plutôt sympathique tout le long du film et a visiblement plus de courage et de talent que nos héros. Maze fait de la figuration dans une scène là pour combler les trous du scénario. DJ, le personnage de Benicio Del Toro, ne sert à rien non plus. Il nous fait la morale, sur la vente d'arme, ce qui pourrait être intéressant mais n'est en réalité qu'un joker scénaristique et sert Finn et Rose qui sont dans une impasse tout comme cet arc narratif qui n'est qu'un prétexte à développer une romance mièvre. Bref, les personnages dans leur majorité, n'évoluent pas, c'est problématique sans parler de l'originalité... Où sont les aliens dans ce film ? Il y a certes une énième scène de cantina, avec pas mal de bestiaire mais tout va tellement vite...

J'ai également détesté certaines facilités scénaristiques : la course poursuite entre la flotte de l'empire (pardon, le Premier Ordre), et la Rébellion (pardon, la Résistance) est plate.D'ailleurs le background politique est évacué totalement si bien qu'on finit par carrément appeler la Résistance, l'Alliance, c'est dire comment les scénaristes ont choisi la facilité, c'est dire comment on s'embarrasse pas avec l'originalité. La vice amirale Holdo, nouveau personnage, entretient un faux suspens sur ses intentions avant de se sacrifier pour détruire le Supremacy, version encore plus grosse du croiseur de Dark Vador. Il faudra qu'on m'explique pourquoi passer en vitesse lumière détruit n'importe quel obstacle sur son chemin et pourquoi utiliser cette technique maintenant ? Par facilité. Et cela pose des problèmes de cohérence pour le reste de l'univers mais ça Rian Johnson visiblement s'en moque, il se contente de faire son film, dans son coin. Il nous gratifie au moins d'une belle scène, esthétiquement splendide. Certaines scènes frisent le ridicule : Leia utilise un pouvoir pour flotter dans l'espace, que c'est exagéré ! Certes je voulais voir Leia utiliser la force, mais ainsi.... c'est gênant. Et l'amiral Ackbar, qui meurt dans l'indifférence générale, si ça c'est pas piétiner avec ses gros sabots la saga originale...

Concernant l'intrigue, la course poursuite s'éternise. Elle permet de développer le personnage de Poe, pas trop mal, plutôt cool même, tête brûlée qui comprend que ses choix ont des impacts mais ces développements se font au détriment de l'action. A part quelques escarmouches spatiales, il n'y a qu'une grande bataille : sur Crait, très belle, mais très courte. En terme d'action, le film est assez faible. Idem pour les combats de sabre : le duo Rey/Kylo contre les gardes de Snoke est classe, la confrontation finale avec Luke aussi, mais c'est ténu. Sans parler des planètes, rares. Le film est un film de personnages et comme je l'ai déjà dit, c'est pas son fort, les personnages. Il veut aussi nuancer le manichéisme du film mais c'est assez maladroit, rien à voir avec la rébellion violente de Rogue One. Ici, ça reste plat.

Fort heureusement y a des qualités dans ce film, à commencer par les scènes avec Luke et Mark Hamill, qui porte le film sur ses épaules, qui a du charisme à revendre et qui donne de la consistance face à la fadeur du reste. A lui seul il vaut 4 points de ma note. Certes on peut critiquer l'écriture de son personnage mais je la trouve intéressante. Son final m'a également procuré des frissons, véritablement. Enfin, une vraie scène, enfin de la classe. Luke se projette sur Crait sans quitter sa planète par la méditation. Je trouve ça assez bien trouvé. Et ça offre une fin mémorable à Luke, qui meurt épuisé, sous un double lever de soleil, réminiscence de Tatooine. Je dis oui. Sans parler de la bande originale, de John Williams, très nostalgique, truffée des thèmes de la force, de Luke, de Leia, très belle. Mais en tuant Luke, on se débarasse du meilleur personnage et en laissant Leia seule survivante de la purge de l'ancienne trilogie, Johnson met le dernier épisode dans l'impasse puisque Carrie Fisher, son interprète, est décédée. Comme JJ Abrams l'avait laissé en plan pour le VIII, Johnson laisse le bébé avec l'eau du bain à Abrams pour l'épisode suivant. Niveau solidarité entre réalisateurs, c'est pas terrible.

Rey et Kylo ont également une relation intéressante. Kylo, Skywalker, s'affirme comme le personnage central de cette saga. Oscillant entre détestation et amour (on était pas loin du bisou à certains moments), leur relation, qui passe par des visions s'avère tortueuse et complexe. Seule chose dont j'ai envie de connaître la suite. Les origines de Rey, simple pécore, semblent étonnante et c'est un mensonge de Kylo, à mon humble avis. Nous verrons, il reste des solutions pour l'épisode IX, du moins sur cette relation. J'aurais aimé que Johnson ait plus d'audace, qu'il rende Rey méchante. Mais bon, je vais pas chipoter, c'est pas si mal ce qu'il fait de ce couple de jedis torturés. Rey reste trop puissante, même si ses adversaires sont bien meilleurs. Pas à un moment on ne s'inquiète pour elle, si ce n'est contre Snoke mais comme il meurt coupé comme un vulgaire morceau de pastèque...

A cela il faut ajouter quelques moments très agréables, sur l'île notamment, avec l'apparition de Yoda, assez sympathique. Les scènes d'apprentissages avec Rey et Luke sont bienvenues mais trop courtes. Les porgs et autres créatures sont plutôt réussis sauf les chevaux sur la planète du casino, horribles. Plusieurs clins d'oeil et allusions sont bien trouvés et plusieurs scènes impressionnent, notamment le final, assez grandiose. En revanche il y a quelques scènes de mauvais goût, gâchées par l'humour, et des effets spéciaux spécieux, notamment au début dans l'espace. Le nombre de planète est restreint, les batailles aussi, ça fait peu pour un film si long. Le film est très inégal. Et je ne parle pas de la morale... Une scène vegan avec Chewbacca, marrante mais hors sujet, une scène pro animaux au Casino là encore hors sujet. On parle de Star Wars, un univers sans foi ni loi, pas de la bien pensance, sans parler de cet obscur message sur la force appartient à tout le monde. Certes, lorsque Luke évoque l'orgueil des jedis, et la réalité de la force, ça parait cohérent, mais en dehors de ça, la force c'est, avec Disney, magique et ça permet de justifier n'importe quoi scénaristiquement. La seule bonne idée sur la force c'était l'histoire d'équilibre : lorsqu'il y a un jedi lumineux, un jedi obscur doit exister et vice versa. Ca explique pas mal de choses de la saga... mais c'est tellement mal amené...

La prélogie souffrait d'un casting mal dirigé, de fautes de goût et d'un aspect bourrin trop prononcé. Mais la prélogie était cohérente, les personnages étaient intéressants. Ici, Rian Johnson avait un super casting, des possibilités énormes et c'est au final un vaste gâchi. Tout était réuni pour faire bien mieux que l'horrible Menace Fantôme.... mais non. Rian Johnson fait le malin, il s'amuse, il cabotine, c'est pas sérieux, hélàs. L'émotion se retrouve noyée dans la fadeur.

Je ne sais pas si c'est objectif ou subjectif. Quelque part le film change Star Wars, il a le droit de le faire. C'est normal. Qu'il prenne une direction différente que celle que je désirais c'est normal. Mais en même temps ce film est objectivement une assez mauvaise suite mal écrite et plus le temps avance plus le film essuie des critiques et du scepticisme de la part des spectateurs. Le film trahit Star Wars mais ce n'est que mon point de vue après tout.

Ce Star Wars c'est aussi le crépuscule du mythe, une saga affadie et sans ligne directrice. On a le cruel sentiment que l'histoire de cette trilogie est improvisée et bancale et qu'elle traine des handicaps depuis l'épisode VII. Et le contexte, lui aussi flou, alors qu'il sauvait la prélogie, n'aide pas non plus à entrer dans le film, donnant au final un film sympathique, épique, rempli de twists et de surprises, parfaitement regardable mais plein de superflu et d'inutile tout en évacuant des enjeux essentiels. Il s'attarde sur les échecs des personnages, sur le passé et le conclue parfois brutalement malgré des scènes prenantes et quelques bonnes idées. Le film est fondamentalement inégal. Sa dernière scène est ridicule alors que le final qui précède est grandiose. On a à peine le temps de pleurer la superbe mort de Luke qu'on nous montre ce gosse ridicule avec son balais...

Il ne reste plus grand chose du mythe : le générique et les frissons, la musique, quelques courtes apparitions de personnages emblématiques, quelques allusions à l'univers... Des moments de bravoure mais la saga est en péril et sans ligne directrice et charme.

Cet épisode est pour moi crépusculaire, symbole de la relève de Disney sur l'héritage de George Lucas (ce n'est pas nécessairement un mal mais il faudra s'y habituer). Ce n'est pas une question de faire plaisir aux mômes, de faire des produits dérivés. Ca existait déjà avant Disney et les mauvais films Star Wars aussi (Les Ewoks, les Wookies, quasiment conspués par George Lucas lui-même). Mais aucun film numéroté n'avait souffert de telles maladresses et d'une telle anémie scénaristique. Le film va diviser. Les fans vont se déchirer sur son sort, au bûcher ou à l'aéropage. Pour ma part je pense que c'est simplement un film moyen et une mauvaise suite, qui souffre de défauts narratifs majeurs tout en ayant de bons moments, à la fois plus abouti sur bien des points que son prédecesseur mais aussi bien plus foutraque et inégal.

C'est le deuil du passé et de la saga que nous avons connu. A l'image de Huxe qui crie "Le Leader Suprême Snoke est mort, vive Snoke !" Star Wars est un peu mort aujourd'hui alors vive Star Wars !