Difficile de se faire un avis immédiat sur le nouveau Park Chan-wook, oeuvre hypnotique imprégnée d’une sensuelle morbidité. L’on en ressort dérouté, grisé par l’infinie beauté des images que l’on vient d’assimiler, mais confus par un scénario raisonnablement prévisible. A-t-on déjà vu trop de thriller ? Hitchcock, dont le film revendique s’inspirer, et ses prédécesseurs, ont-ils déjà épuisé tous les cas de figure, faisant de nous de spectateurs blasés et sensibles à tout twist éventuel ?

La trame écrite par Wentworth Miller lutte à demeurer originale, poussant l’atmosphère Hitchcockienne dans ses retranchements. Nulle besoin d’avoir vu L’ombre d’un doute, dont Stoker est un quasi-remake, pour le ressentir. Mais ici, le malsain s’installe insidieusement, s’épanouit, et devient un élément central de l’ambiance du film. Entre sexualité subversive et sentiments ambivalents, le passage à l’âge adulte d’India s’opère discrètement, dangereusement. Loin des drames hystériques et de l’humour noir grinçant de Old Boy, Stoker se déploie comme un lent cauchemar sensuel.

Un peu trop lent peut-être. L’on ressent les longueurs d’une première heure durant laquelle l’intrigue tarde à s’installer. Pourtant, l’esthétique et la mise en scène de Stoker sont telles que l’on peut rester occupé à en admirer chaque plan en tant que chef-d’oeuvre. La photographie de Chung-hoon Chung – fidèle des oeuvres de Park Chan-wook – surplombe tout le reste et s’impose en maîtresse. Dès les premières secondes, l’on retrouvera ce que je qualifierais naïvement de touche asiatique : ce décalage un peu contemplatif, ces personnages dérangés à l’aspect juvénile, ces transitions oniriques d’un plan à l’autre. Et, dans son ensemble, la perfection toute propre à certains réalisateurs qui ne laissent aucune des 24 images par seconde au hasard. L’oeuvre d’art cannibalisant le divertissement, l’antithèse du blockbuster décérébrant.

Ingénue, Nicole Kidman semble tout aussi perdue que nous. Il est étrange et inhabituel de la voir dans un rôle si superficiel, et l’on arrive pas à savoir si elle a eu peine à donner de la substance à son personnage ou si cette transparence est intentionnelle afin de marquer le contraste avec une Mia Wasikowska merveilleusement indéchiffrable, aux mille nuances de caractère. On pourra reprocher à Matthew Goode son manque d’aspérités (le physique de Malibu Ken n’aidant pas trop à la crédibilité du mec) mais il n’en demeure pas moins séduisant (et tout aussi creepy, du coup).

Stoker nous plonge dans une sorte de dimension parallèle, où le temps se cristallise, nous imposant la patience, et où la mort, sensuelle et turbulente, enveloppe tous ces protagonistes que l’on aime détester jusqu’à la dernière seconde. Comme s’ils parvenaient, d’une certaine manière, à nous communiquer leurs psychoses.
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le 30 avr. 2013

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