Critique : Stoker (par Cineshow.fr)

Fin janvier, Kim Jee-Woon ratait son entrée dans le cinéma Hollywoodien avec le Dernier Rempart, un projet vraisemblablement gangrené par les exigences de producteurs et celles d’un Schwarzi sur le retour. Le talent que le réalisateur avait su déployer sur J’ai rencontré le diable ou Le bon la brute et le cinglé était passé totalement à la trappe à tel point que n’importe quel tâcheron aurait pu se charger de cette mise en scène sans âme. Quelques mois plus tard, c’est au tour de Park Chan-Wook de s’essayer à l’aventure Américaine avec un projet plus ambitieux sur le papier et, semble-t-il, nettement plus propice à son talent de faiseur d’images grâce à un script franchement malin. Le réalisateur d’Old Boy a donc pris les rênes de Stoker, thriller psychologique aux apparences Hitchcockienne écrit par Wentwork Miller (le Michael Scofiel de Prison Break) qui signe ici un premier script incroyablement mûr vis-à-vis de son expérience. Une surprise de taille qui prouve en un film que la vocation de ce dernier se situe clairement du côté de la plume plutôt que de l’actorat.

Park Chan-Wook ne s’en est jamais caché, sa référence ultime de cinéma se trouve incarnée en la personne se Sir Hitchcock. Avec Stoker, il trouve le terreau idéal pour réaliser un rêve de gosse et condenser en un film manipulation du spectateur, esthétique poussée à l’extrême et proposition sulfureuse. Le travail réalisé sur l’image est d’ailleurs probablement l’élément le plus frappant du film, transformant la moindre scène, le moindre plan en véritable œuvre d’art, en tableau à la construction toujours soignée, à l’éclairage habile et à la puissance évocatrice immense. Cette capacité à rendre beau à peu près tout et n’importe quoi permet par l’ambiance proposée d’installer et de faire grimper crescendo le malaise latent déjà porté par un script plutôt pervers.

Il se dégage de Stoker une sensation de réel magnétisme comme pouvait l’être certains films de De Palma dans sa grande époque, une attirance viscérale à l’image que l’histoire et la relation entre les personnages n’entravent jamais. Cette rencontre entre Park Chan-Wook et le script de Miller n’a pourtant rien d’improbable au regard des thématiques abordées. Ayant déjà prouvé par le passé et notamment grâce à Old Boy sa capacité à filmer une folie jusqu’au boutiste et l’anéantissement d’un homme en condition extrême, il voit dans l’histoire de Stoker un nouveau moyen de faire exploser de tous bords une situation familiale convenue mais fraîchement endeuillée par la mort du père. Une période difficile pour la famille (Nicole Kidman et Mia Wasikowska) qui sera corrélée à l’arrivée d’un personnage bien connu chez Hitchcock dans L’Ombre d’un doute, l’oncle Charlie.

Dès les premiers instants, la volonté de rendre Charlie (Matthew Goode) énigmatique est évidente. Quel secret cache-t-il ? Quel type de prédateur est-ce ? Qui est sa cible ? Autant de questions qui se posent légitimement à son arrivée trop immédiate pour être innocente. Fantomatique, presque irréel et pourtant véhicule d’une aura extrêmement malsaine, il va rapidement devenir un élément de passion et de fantasme malgré la peur qu’il suscite, autant pour les personnages que pour les spectateurs. Ce qui pourrait être considéré comme un loup à l’appétit dévorant (mais pour quel motif ?) attaque la cellule familiale frontalement alors que de l’intérieur, celle-ci se craquelle déjà par l’émancipation de la jeune India (Mia Wasikowska) et sa découverte des plaisirs de la chair en pleine période de deuil. Les pièces sur l’échiquier sont posées et Stoker brillera dans la manière de les faire évoluer, les faisant s’attirer et se repousser selon les contextes, mais laissant deviner malgré tout une convergence extrêmement dramatique s’amplifiant au fur et à mesure que l’histoire avance.

Malgré l’unité de lieu, c’est le parcours initiatique d’une jeune fille sur le chemin de l’âge adulte et de la liberté inhérente à cette étape de la vie que Park Chan Wook met en scène. Sensuel et souvent déroutant, Stoker oscille entre plusieurs genres tout en en maîtrisant systématiquement les grammaires cinématographiques respectives, passant avec une simplicité déconcertante du thriller paranoïaque au film d’horreur, ou de la chronique adolescente par l’éveil sexuel à un drame profond et sensible. Les idées de mise en scène se comptent par dizaines tandis que le jeu sur les lumières et les couleurs des environnements font partie intégrante de l’expérience que le film arrive à procurer. Comme De Palma avant lui ou Hitchcock, le réalisateur joue de la confusion permanente des spectateurs par les fausses pistes qu’il évoque, et ainsi mieux les surprendre lors des scènes les plus impactantes du récit. Un jeu de dupe rendu possible grâce au script aussi manipulateur que ludique, et qui empêchera jusque dans les derniers instants de connaitre avec certitude la véritable nature des différents personnages.

L’écriture de la mère, d’India ou de Charlie est suffisamment fine pour éviter les sempiternels twists de fin de film et susciter l’étonnement forcé des spectateurs. Avec Stoker cette sensation de ne jamais être dans une situation confortable et stable est permanente, mais demeure aussi probablement le point le plus intéressant du récit qui joue de l’imaginaire que l’on construit pour mieux en prendre le contrepied. Une situation que n’a de cesse d’exploiter le réalisateur, à l’image d’une séquence de douche avec Mia Wasikowska pour la moins révélatrice de son état d’esprit, ou d’une séquence admirable de leçon piano mise en scène et interprétée telle une véritable scène de sexe intense. La maîtrise est totale, tant sur le fond avec cette peinture déroutante d’une famille en proie aux bouleversements internes et externes, que sur la forme avec une nouvelle démonstration de force du talent de Park Chan-Wook, plus virtuose que jamais. Stoker est une expérience à vivre, une plongée passionnante dans un univers riche en genres abordés, et porté par un casting divinement dirigé. Il ne fait aucun doute que Mia Wasikowska, star déjà très montante outre atlantique, finira de prouver l’étendue de son talent grâce à une composition sur le fil extrêmement convaincante. Au final, Stoker se résume en deux mots : un choc !
mcrucq
8
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le 11 avr. 2013

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Mathieu  CRUCQ

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