L'esprit de famille à la coréenne

Avec ses airs de conte et son titre évocateur, Stoker avait de quoi attirer la curiosité, surtout quand l'on apprenais que ce n'était ni plus ni moins que le coréen Park Chan-Wook qui s’attellait à la réalisation du long-métrage. C'est vrai qu'après le très remarqué Old Boy le réalisateur a gagné en visibilité et son passage a hollywood en est la preuve. Si du côté de ses comparses le passage au bois de houx s'était plutôt mal passé, à l'instar du dernier rempart de Kim Jee-Woon à mille lieux de son excellent J'ai rencontré le diable ou de l’envoûtant 2 sœurs, on peut d'ores et déjà dire que Park Chan-Wook réussit admirablement à conserver la main sur son film en engageant notamment son directeur de la photographie habituel.

Mais trêve de bavardage, qu'en est-il réellement de Stoker ? Et bien à première vue il est clair que Stoker fait partie de ces films esthétiques qui privilégie la forme au fond. Sauf que dans le cas de Stoker il convient de nuancer ce propos. En effet, si le film hypnotise avant tout grâce à son ambiance et son soin formel il n'en est pas moins abouti dans le traitement de ses thèmes. Le premier et certainement le plus primordial de ces thèmes est le passage de l'age enfant à l'age adulte. L'aspect initiatique prend alors tout son importance au travers du personnage d'India Stoker, jeune fille perdue après le départ de son père qui se retrouve fasciné par son oncle Charlie, un homme aussi sympathique que dangereux. On se remémore alors tous ces contes pour enfant dont le but premier était avant tout d'éduquer l'enfant en le confrontant à ses peurs dont l'influence sur Stoker est manifeste comme le montre une scène qui n'est pas sans rappeler la morale du petit chaperon rouge. L'initiation du personnage prend alors chez Park Chan-Wook une forme aussi brutale que poétique. Partant de ce constat on ne peut donc qualifier Stoker de film purement formel tant les thèmes qu'abordent Stoker sont traités avec justesse. Cependant il faut reconnaître que, si le film jouit de thématiques qui amènent à des sujets adultes, il dispose aussi d'un scénario jouant la carte du mystère sans pour autant surprendre. C'est peut-être là le défaut principal du film car si le début annonce une intrigue aussi tordue qu'inédite, les révélations successives font perdre du charme au scénario qui finit par un retournement final de trop malgré l'intensité de la dernière scène qui clôture parfaitement le film. Malgré tout le scénario tient la route et reste intéressant et l'on ne boude pas son plaisir à suivre cette famille énigmatique.Ce mystère est renforcé par l'animalité ambiante qui se voit surtout au travers de Nicole Kidman, dont le personnage de mère froide est le personnage le plus expressif du film, mais aussi au travers de Mathew Goode, en oncle dont l'apparente extrême gentillesse met tout de suite mal à l'aise, et de Mia Wasikowska qui offre une véritable prestation entre candeur et violence qui rend son personnage tout aussi humain que rêveur.

La question du fond étant à présent traitée on peut donc naturellement regarder la mise en image de ce "thriller". Si le scénario rappelle évidemment un thriller, la réalisation de ce dernier se veut beaucoup plus trans-genre et ainsi perdre le spectateur dans ses propres repères. Car là où Park Chan-Wook réalise un tour de maître c'est dans sa faculté à dépasser les codes tout en rendant hommage à ses pères. L'une des références qui m'a le plus marqué est sans aucun doute celle au Carrie de Brian DePalma dont il reprend une scène qui s'intègre parfaitement à l'ensemble que forme le film. Il arrive à garder toute l'intensité de la scène originale déjà très intense au départ. On pourra aussi noter la forte influence d'Alfred Hitchcock avec notamment le personnage de l'oncle Charlie que l'on retrouve dans l'ombre d'un doute du maître du suspense. Mais plus qu'un film d'hommage, Stoker se distingue par son ambiance esthétisée et la virtuosité de sa réalisation. La photographie frappe dès le premier plan par la luminosité abondante qui s'en dégage, loin de la photographie sombre que l'on retrouve pourtant dans les films à l'ambiance proche de celle de Stoker. Stoker est donc avant tout un film coloré où les couleurs chaudes et froides sont présentes pour renforcer l'aspect prison du manoir qui sert de décor au film et l'univers dans lequel évolue India. Comme à son habitude, Park Chan-Wook réalise son film avec talent et subtilité et nous offre dans des travellings d'une extrême précision comme lors de l'une des scènes les plus intenses du film où le montage saccadé et les mouvement horizontaux de la caméra se succèdent avec une fluidité déconcertante. Il se dégage alors un sentiment d'admiration devant la beauté du film. On peut aussi noter l'accompagnement inspiré de Clint Mansell qui signe une bande originale d'exception toute en subtilité et en émotions.

Avec Stoker Park Chan-Wook signe un film inspiré autant sur le plan artistique que thématique et dirige un casting possédé et fascinant qui participe à la création d'une ambiance qui prend aux tripes par la perversité qui se dégage de certaines situations dérangeantes.
Bat-e-man
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2013

Créée

le 11 juin 2013

Critique lue 516 fois

8 j'aime

I Bat(e)man I

Écrit par

Critique lue 516 fois

8

D'autres avis sur Stoker

Stoker
guyness
7

Vin d'été pour une vendetta

Il est extrêmement simple de détester Stoker. Il y a en effet une telle débauche d'idées visuelles, une telle surenchère de mise en scène, de montage, d'esthétisme (y a qu'à voir le générique) pour...

le 19 août 2013

71 j'aime

11

Stoker
Pravda
3

Park Chiant-wook

SPOIL(S) INSIDE Park Chan-wook filme bien, sait choisir ses cadres et associe les couleurs avec maestria... le souci, c'est qu'il le sait, le bougre. Trop. C'est ultra-maniéré, tape à l'oeil et,...

le 24 oct. 2013

49 j'aime

12

Stoker
Gand-Alf
5

Killer instinct.

Répondant momentanément aux sirènes d'Hollywood, le sud-coréen Park Chan-Wook offre ses services pour mettre en images un scénario signé Wentworth Miller, le héros tatoué de la série "Prison break"...

le 1 févr. 2014

47 j'aime

2

Du même critique

Kick-Ass 2
Bat-e-man
4

Y a-t-il un pilote dans l'avion ? Non, juste Jeff Wadlow

Après un tapage médiatique intense et une longue attente pleine d'espérances pour tous las fanboy de cet OFNI qu'est kick-ass, savant dosage entre l'univers froid et violent des mafieux de la ville...

le 30 août 2013

24 j'aime

Killing Joke
Bat-e-man
9

Critique de Killing Joke par I Bat(e)man I

Le joker aparait comme la figure antagoniste la plus emblématique de l'univers des comics. Pourtant, qu'est-ce qui peut opposer deux hommes qui ne se connaissent pas ? C'est à cette question que...

le 11 mai 2013

10 j'aime

Stoker
Bat-e-man
7

L'esprit de famille à la coréenne

Avec ses airs de conte et son titre évocateur, Stoker avait de quoi attirer la curiosité, surtout quand l'on apprenais que ce n'était ni plus ni moins que le coréen Park Chan-Wook qui s’attellait à...

le 11 juin 2013

8 j'aime