Dans la famille Stoker, je demande l’oncle dérangé.

« On fait parfois du mal pour s’empêcher de faire pire »
Richard Stoker

Qu’ont en commun Wentworth Miller ( le célèbre gros bras tatoué Michael Scofield de Prison Break ), Ridley Scott et son frère Tony et Park Chan-wook réalisateur sud-coréen ? Réponse : Stoker. Le nouveau film de Park Chan-wook réunit Wentworth Miller au scénario et les frères Scott à la production. Ce mélange donne un film déroutant et plein de poésie ( très noire ). Cette drôle d’équipe nous entraîne donc dans la famille Stoker au moment de l’enterrement de Richard Stoker ( Dermot Mulroney ). Evie Stoker ( Nicole Kidman ), la veuve, et sa fille India ( Mia Wasikowska ) voient arriver dans leur maison et leur vie, Charlie Stoker, le frère mystérieux de Richard pour lequel chacune ressent attraction et méfiance. Si l’histoire peut paraître déjà vue en traitant des thèmes rebattus ( les secrets de famille, une mort mystérieuse, un personnage énigmatique ), nous sommes pris au piège ( avec un plaisir malsain ) dans l’énorme bâtisse des Stoker. Désir et violence se côtoient dans une étonnante beauté.

Ce qui frappe aux premiers abords, c’est l’esthétique d’une finesse absolue. Du générique qui suit India dans sa course sauvage et s’intègre donc d’une façon subtile dans le film, à la lumière la plupart du temps naturelle. L’atmosphère renvoyée est très anglaise avec cette grosse maison de famille, les vêtements chics et parfois vintage. Nous retrouvons l’ambiance et la campagne anglaise ( et les thèmes ) que nous avons pu retrouver dans les films anglais comme Secret de famille, Joyeuses Funérailles ( qui traite avec humour des secrets de famille révélés par une mort ) ou Quatre mariages et un enterrement. Nous sommes hors du temps et hors de toute réalité. La réalisation est le point fort de Stoker. Les surimpressions, le montage parfois impressionniste, les transitions poétiques vers des flash back, le gros plan des herbes hautes faisant suite au gros plan des cheveux d’Evie par exemple, nous embarquent dans un réel univers presque onirique ( ou cauchemardesque ).

Cette réalisation très léchée et ces personnages raffinés enrobent toutefois une atmosphère angoissante, malsaine, voire pesante. La caméra, suivant les personnages, se donne des airs de danger qui rôde. Elle glisse à leur côté dans leurs nombreux déplacements comme un voyeur. La caméra fait écho aux personnages qui s’épient les uns les autres ( ou sont épiés ), à travers une fenêtre, un rideau ou une porte. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de remarquer que le nom de cette étrange famille est Stoker, qui fait penser au mot «stalker» désignant une personne qui suit et épie quelqu’un. Les personnages ont tous plus ou moins quelque chose à cacher, du père mort dans un accident de voiture étrange, à l’oncle inconnu qui envahit la vie d’Evie et India, en passant par India elle-même.

Les personnages parlons-en justement. Malgré leur apparence et leur caractère clichés et déjà vu dans maints films, ils n’en sont pas moins attachants et intéressants. Celle qui accumule tous les clichés est Mia Wasikowska. La jeune fille incarne une fois de plus une adolescente un peu rebelle, solitaire, voire morbide. India, décrite comme une fille qui voit ce que les autres ne voient pas, n’est pas sans rappeler une certaine Alice dans son pays des merveilles. Exit la chevelure blonde et bonjour à la chevelure foncée, faisant penser à une Mercredi Adams moins glauque ( quoique... ). Elle regroupe les clichés d’une adolescente perturbée, avec un rapport ambigu à la mort, qui refuse tout contact physique avec les autres, qui est en conflit perpétuel avec sa mère. Ce conflit entraîne une réelle rivalité féminine autour de Charlie ( qui révèle les vraies personnalités des deux femmes ), Evie se remettant étonnamment vite de la mort de son mari.

L’oncle n’échappe pas aux clichés du personnage énigmatique, belle gueule/sale secret. Car en effet, derrière ce sourire angélique se cache des choses. S’il n’est pas d’une folle originalité dans le caractère et l’histoire il a le mérite de fasciner tout de même. Il crée une tension de plus en plus grande et sa relation avec India, qui le craint autant qu’elle le désire honteusement, est malsaine, dérangeante mais tient tout le film. Ce caractère malsain atteint son paroxysme au moment où nous assistons à une scène de douche dans laquelle India, que l’on croit bouleversée au premier abord, se touche en pensant aux actes de son oncle. Symboliquement, nous pouvons voir sur un plan une araignée ( image de Charlie? ) grimper le long de la jambe de l’adolescente, jusqu’à atteindre le dessous de sa jupe.

Donc si India déteste sa mère et est fascinée par Charlie, c’est en son défunt père qu’elle avait trouvé un alter ego. Leur amour trouve sa base encore une fois dans un contexte étrange, leur passion commune étant de tuer des oiseaux pour ensuite les empailler. Ce qui attire par-dessus tout India, c’est la mort, elle en jouit. Elle prend plaisir à tuer des animaux aux côtés de son père. Le rapport à la mort est omniprésent dans ce film, commencé par un enterrement, il ne cesse d’exacerber une fascination morbide. Les deux personnages sont réunis par la mort et peuvent nous mettre parfois mal à l’aise tant leur relation se fait peu à peu romantique.

Là où Alice voulait peindre les roses en rouge, India, elle, éclabousse les fleurs de sang. Malgré certaines effusions de violence, le film garde sa poésie et sa subtilité du début à la fin ( qui sont intimement liées ). Si le début du film marque des arrêts sur images sur la nature, la fin révèle les morceaux manquants avec un immense tact. La boucle est donc bouclée. Toutefois cette boucle offre un message quelque peu dérangeant, le film semble nous parler d’une histoire de gènes. L’oncle aux comportements condamnables auraient-ils comme légués ces gènes à India ? Ce message d’hérédité perverse n’apporte pas grand chose et est dommage dans le fond alors que la forme reste irréprochable. Oubliez la volonté des explications et cherchez les symboles et les associations d’idées et de sentiments glissés tout le long du film avec finesse.
Laissez-vous prendre au stalk et osez jeter un oeil dans le trou de la serrure. Vous pourriez être aspiré dans un pays pas si merveilleux que cela.

Morgane Jeannesson
MorganeJ
7
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le 28 sept. 2013

Critique lue 285 fois

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