Strange Days
7.1
Strange Days

Film de Kathryn Bigelow (1995)

Ce n'est pas parce qu'on est divorcé que l'on ne peut pas faire de cadeaux à son ex. C'est ce que devait penser le cinéaste James Cameron quand il offrit le script de Strange Days à Kathryn Bigelow, qui fut sa charmante épouse de 1989 à 1991 et qui trouvait ici matière à ce qui reste à mes yeux son chef-d'oeuvre ultime. Bon, un peu empoisonné le cadeau, vu qu'avant de devenir un petit film culte, le film se vautrera méchamment, ne rapportant que huit millions de dollars pour un budget de quarante-deux. Cameron, pendant ce temps-là, était déjà parti explorer les mystères du Titanic.


Imaginé par James Cameron en 1986, avant de prendre véritablement forme au début des années 90 sous l'impulsion de Cameron donc, mais aussi de Kathryn Bigelow et du scénariste Jay Cocks, Strange Days est une sorte de condensé de la décennie 90's, d'un point de vue culturel comme politique ou sociologique.


S'articulant autour d'une structure de pur film noir avec tous les codes que cela implique (héros désabusé, femme fatale, récit tortueux, secrets brûlants...), Strange Days brasse tout sur son passage, se nourrit d'influences multiples et variées et surtout d'un climat chaud bouillant. Y passent dans une gigantesque marmite cyberpunk, voyeurisme, brutalité policière, peur du nouveau millénaire, Rodney King...


Un mélange qui, dans d'autres mains, donnerait une soupe indigeste, mais qui, sous la supervision du trio Cameron / Bigelow / Cocks, donne carrément une des bandes les plus mémorables de cette seconde moitié des années 90. Une bombe à défragmentation qui évite miraculeusement les ravages du temps et de plus, prophétise notre société actuelle. Par le biais du SQUID (un appareil connecté au cortex cérébral enregistrant et retranscrivant fidèlement une action vécue par un tiers), Strange Days annonce déjà les incroyables possibilités du monstre YouTube, mais surtout ses ravages et notre dépendance à ce shot de voyeurisme quotidien.


Portrait tendu et apocalyptique d'un monde au bord de l'implosion, où l'individualisme règne en maître absolu, où la connexion passe non plus par les échanges humains mais bien par un substitut brouillant la perception (finie la coke, bonjour le POV), Strange Days, tout violent et acide qu'il soit, fait pourtant le choix d'espérer, de croire en un avenir encore possible, notamment à travers ses personnages bouleversants d'écorchés vifs.


Interprétés avec un talent fou, ils sont le reflet du romantisme flamboyant d'un James Cameron à qui l'on donne un peu hâtivement une simple image de bourrin accro à la technologie, et de l'émotion à fleur de peau qui hante un certain nombre des longs-métrages de Kathryn Bigelow. Tout à la fois beau et désenchanté, poétique et cruel, Strange Days offre un des plus beaux triangle amoureux jamais vu sur grand écran.


Le chemin de croix d'un homme bloqué dans une réalité altérée par un passé douloureux, par une romance idéalisée, par son impuissance à "sauver" celle qu'il aime et incapable de voir l'amour que lui porte sa plus fidèle amie, représentation pourtant évidente d'une bonté d'âme qu'il camoufle sous un cynisme et une roublardise cancérigène. Charismatique en diable, à la fois touchant, sexy et pitoyable, Ralph Fiennes (en lieu et place de Andy Garcia), trouve son rôle le plus fort, le plus marquant, tout comme sa partenaire Angela Bassett, aussi badass qu'extrêmement émouvante. Ils sont parfaitement secondés par Juliette Lewis (au superbe timbre de voix), Michael Wincott, Vincent d'Onofrio, William Fichtner ou ce grand fou de Tom Sizemore.


Bien qu'un brin prévisible dans son déroulement, Strange Days est une réussite aussi bien formelle que narrative, menée de main de maître par une Kathryn Bigelow au sommet de son art. Un des films d'anticipation les plus pertinents de cette décennie, la rencontre plus que probante entre Raymond Chandler et William Gibson, au son d'une bande originale du tonnerre. Un film qui me fascine depuis toujours et que j'aime d'un amour fou, d'un amour que rien ni personne ne pourra altérer.

Créée

le 3 oct. 2016

Critique lue 2.9K fois

57 j'aime

7 commentaires

Gand-Alf

Écrit par

Critique lue 2.9K fois

57
7

D'autres avis sur Strange Days

Strange Days
Torpenn
3

La cour sale à mort de l'an 2000

Dans la vie, il y a finalement très peu de surprises, de ce film qui connut un bide monumental à sa sortie et dont je me souviens seulement des deux ou trois incultes dégénérés qui lui vouaient alors...

le 17 mars 2014

39 j'aime

28

Strange Days
Ugly
7

Thriller visionnaire

J'attendais le dernier jour de l'année pour poster cette critique sur un film qui est tout à fait de circonstance ; à la place du fameux bug de l'an 2000 qui constitue une partie de l'argument du...

Par

le 31 déc. 2020

32 j'aime

13

Strange Days
bboy1989
9

Critique de Strange Days par bboy1989

Il y a des soirs comme ça où tu t'ennuies tout seul devant ta tv en zappant sans grande conviction. Quand tout à coup, tu tombes sur un film qui vient de commencer depuis cinq minutes. En tous cas,...

le 7 déc. 2010

23 j'aime

Du même critique

Gravity
Gand-Alf
9

Enter the void.

On ne va pas se mentir, "Gravity" n'est en aucun cas la petite révolution vendue par des pseudo-journalistes en quête désespérée de succès populaire et ne cherche de toute façon à aucun moment à...

le 27 oct. 2013

268 j'aime

36

Interstellar
Gand-Alf
9

Demande à la poussière.

Les comparaisons systématiques avec "2001" dès qu'un film se déroule dans l'espace ayant tendance à me pomper l'ozone, je ne citerais à aucun moment l'oeuvre intouchable de Stanley Kubrick, la...

le 16 nov. 2014

250 j'aime

14

Mad Max - Fury Road
Gand-Alf
10

De bruit et de fureur.

Il y a maintenant trente six ans, George Miller apportait un sacré vent de fraîcheur au sein de la série B avec une production aussi modeste que fracassante. Peu après, adoubé par Hollywood, le...

le 17 mai 2015

208 j'aime

20