Cela fait un petit moment que j'ai lâché la filmographie de Johnny Depp. Trop de maquillage, trop de redites... L'acteur s'est enfermé dans un style qui ne trouve plus sens à mes yeux.
Jusqu'à "Strictly Criminal". Enfin ce titre de substitution est quand même difficile à prononcer (et à lire), donc on gardera le titre original de "Black Mass".
Alors oui certes, Depp rempile pour un nouveau rôle d'acteur travesti... Mais je dois avouer que cette fois-ci le personnage a suscité ma curiosité, peut-être parce qu'il s'agit d'un putain de salaud de connard de sa race.
Yeux bleus délavés, calvitie creusée, chicos dépareillées, traits marqués. Depp campe un James J. Bulger des plus flippants... A l'image de cette scène introductive où le gangster fixe l'un de ses sbires tourner ses gros doigts sales dans un bol de cacahuètes d'un vieux troquet de quartier.
Bulger est un gangster, un tueur, un assassin, un sadique. Mais comme tout grand criminel qui se respecte, il a des principes et des valeurs qu'il tâche de faire appliquer chaque jour que le bon Dieu fait.
"Black Mass" n'est pas seulement l'histoire de Bulger. Le film retrace de manière plus large le deal entre un voyou de seconde zone à Boston et le FBI. Chacun à ses intérêts dans cet "échange de bons procédés", mais cela va surtout permettre à Bulger d'étendre son empire.
De fait, le film de Cooper trouve un bon équilibre dans la narration, malgré un traitement classique. Le long-métrage évolue dans une forme assez traditionnelle, mais qui au final permet de bien suivre le déroulement des péripéties et leurs influences sur les différents personnages.
Car si Johnny Depp est la star de promo' du film, il faut avouer que "Black Mass" puise sa principale force dans sa distribution. L'ensemble du casting assure en effet le taff.
A commencer par Joel Edgerton dans la peau de cet agent double, prétentieux mais terriblement faible. L'équilibre est parfaitement trouvé avec l'excellent David Harbour, qui s'avère être la voix de la raison dans ce catastrophique engrenage. Seul Kevin Bacon reste dans un exercice plus limité, en jouant le rôle du chef de meute casse-burne, tout comme Benedict Cumberbatch en politicien frustré.
Du côté des méchants, beaucoup de figures à noter. On démarre avec Jesse Plemons, une gueule qui monte (vu dans "Breaking Bad") ! Le très doué Peter Sarsgaard campe, quant à lui, une petite frappe sous cocaïne aussi détestable qu'attachant. Mais mention spéciale pour Rory Cochrane (déjà vu aux côtés de Depp dans "Public Enemies") dans le rôle du bras droit de Bulger. Une vraie gueule de cinéma qui n'a pas besoin de sortir six répliques pour faire passer une émotion à l'écran.
Toute cette galerie arrive donc à faire vivre un film à la mise en scène assez plate.
Pourtant, quelques scènes marquent. Une, centrale, à moitié dévoilée dans la première bande-annonce du film et exposant Bulger à table autour d'un repas chez Connelly. Le gangster branche Morris, un autre agent du FBI, sur le secret de sa recette de cuisine. Et s'ensuit un échange glaçant où Bulger explicite le code d'honneur dans le milieu des assassins. Une leçon de jeu de part et d'autre, mis en exergue par une mise en scène minimaliste donnant toute la place à l’angoisse (Morris va-t-il se manger un pruneau en pleine face ?).
Si le film laisse place à de nombreuses exécution sanguinaire, la plus marquante reste celle de la pute de Flemmi. La séquence démarre par un échange assez humoristique entre la jeune blonde et Bulger, après que cette dernière ait été arrêtée par les flics. Puis s'en suivra son exécution, froide, dans un silence pesant, à mains nues. C'est à ce moment là qu'on prend conscience de toute la monstruosité de Bulger alimentée par une paranoïa sans limite. Le plus troublant est que cette exécution se passe sous les yeux de Flemmi qui essaye de contenir sa peine face à ce meurtre facile et injuste.
"Black Mass" est certes un film classique où rien ne surprend dans la forme ni dans le fond (excepté quelques scènes citées ci-dessus), mais c'est une agréable surprise. Très content de revoir Depp dans un rôle où il peut d'avantage mettre en avant ses qualités d'acteur, sans non plus bouffer toute la place. Car ses camarades de jeu ne sont pas reste !
Un film équilibré, sans grosses fausses notes apparentes. Et un film qui retrace avec justesse l'évolution de l'un des plus gros salopards que l'Amérique n'est jamais porté.