Comment je me suis réconcilié (ma vie artistique)

Nous trainons tous deux ou trois boulets sur le site. Des tares honteuses et presque inavouables.
Le fait de détester les Inconnus (à travers leur télé, ma critique la plus haïe ici, avec un ratio like/unlike démesuré), De Palma et Hitchcock me valent depuis un peu plus de trois ans sur SensCritique, un tombereau régulier d’insultes, de réprobations, de récriminations, de désabonnements voir, parfois, de listes affectueuses.
Que voulez-vous, on ne se refait pas, je ne vais surtout pas commencer à renier une ou deux vieilles convictions jamais démenties pour le simple plaisir de m’attirer les faveurs du plus grand nombre. Pour ce genre de choses (le côté amour universel, consensuel et béat), de célèbres membres du site, grands pourvoyeurs de messages privés affectueux, sont déjà dans la place.


C’est donc avec une conscience quasi-professionnelle que je subis régulièrement les affronts aux bons goûts du maîîîître du suspens (l’anglais sus-cité) et son rejeton (l’américain sur-évalué), pour me conforter dans cette conviction forte que la majorité de mes coreligionnaires ont de la merde dans les tuyaux à entendement.


Jusque là, ça marchait plutôt bien.
Un sens aiguisé de l’analyse, obtenue à coup de milliers de visionnages critiques, parvenait même à donner corps à un rejet né dès l’adolescence. Celui qui m’avait fait haïr la VF (un bon point pour lui) continuait à chaque fois à cultiver mon élevage d’urticaire à coup de scénarii téléphonés, d’effets de mise en scène légers comme un 38 tonnes sur ton pied droit (ou gauche, je ne suis pas sectaire) ou de jeux d’acteurs poignants comme un casting raté de la nouvelle Star.


Mais (vous me connaissez peut-être) si mon côté méridional amateur de ballon rond me prémunit naturellement contre quelque chose, c’est bien la mauvaise foi. Je n’ai pas pu, cette fois, détester ce Vertigo, revu au moins 30 ans après une première expérience traumatisante. Pire: je l’ai même aimé.
Je ne pouvais pas passer ceci sous silence. Voici donc un coming-out ostentatoire.


we deserve, Alfred, each a cock
(Pas terrible. Mais “Hitchcock sucker blues”, je l’avais déjà faite)


Ce qui est paradoxal, c’est que ce film d’Alfred ne se démarque que très peu du reste de sa filmographie.
Torpenn, depuis longtemps attentif à ce genre de phénomène, a élaboré une théorie qui consiste à dire que les gens qui n’aiment pas Ford apprécient en général "l’homme qui a tué Liberty Valance" et ceux qui n’apprécient pas Hitch peuvent trouver ce Vertigo à leur goût. Trop forte, la torpille.


En y réfléchissant bien, je dois avouer que j’ai surtout aimé le film pour trois raisons.
Evidemment, James Stewart, un des trois plus grands acteurs de tous les temps, apporte une caution incommensurable à l’ensemble (en termes de SC, ça donne un +5). C’est déjà grâce à lui que «fenêtre sur cour» avait atteint un improbable 6 de ma part.
La musique de Bernard Herrman, aussi, absolument envoutante, a cette fois réussi à ne pas être gâchée par un scénario indigent ou une mise en scène tapageuse.
L’histoire, enfin et justement, plutôt bien conçue, et débarrassée de tant d’artifices polluant si régulièrement les productions du maîîîîître. Pour seul exemple, je me contenterais d’évoquer le handicap du héros qui ne vient pas, comme si souvent, s’imbriquer dans la narration de manière totalement faussement fortuite mais au contraire s’intègre comme une brique de l’édifice échafaudé par le "vilain".


vertige de l’amour


Si j’ai cette fois bien eu l’impression d’assister à la naissance du thriller moderne (en 58, bien des codes de narration me semblent en effet assez précurseurs, pour le meilleur ou pour le pire) c’est avant tout par une ambiance mélancolique surprenante que je suis entré pour la première fois dans un des tours de magie du (pas encore trop) vieux roublard. Les scènes over the top concernent des séquences oniriques ou des moments de malaise, ce que je peux cautionner sans arrière-goût douteux.


Alors oui, je continuerai à tenter ma chance avec Alfred, et oui, trois fois oui, je tenterai sa période anglaise, qui compensera en affection britonne ce que l’absence de Jamie me fera perdre.
Mais ne criez pas victoire trop vite, bande de hyènes panurgesques, je resterai intraitable à chaque nouvelle tentative.
Je ne suis pas un garçon facile.

guyness

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