Très cher DCEU : lâchez l'affaire, s'il vous plaît ; c'est fini, c'est foiré !

Honnêtement, à ce stade, le savoir-faire dans l'art de gâcher de façon aussi systématique de bons ingrédients dans des films foutraques et boursouflés, ça devient une prouesse. Warner devrait ouvrir une école pour enseigner ce qu'un studio ne doit surtout pas faire, parce que là, ils alignent à peu près toutes les conneries possibles et imaginables.


Ne surtout rien développer ni rien approfondir, jamais.
Faut le dire de suite : le seul truc présentant un quelconque intérêt dans ce foutoir, c'était de voir interagir le Joker et Harley – donc autant dire que, passée l'introduction relativement plus punchy que ne l'est le reste, t'as plutôt vite fait de déchanter quand tu réalises que l'essentiel du film va consister à regarder une tripotée de seconds couteaux sans intérêt foutre sur la gueule à une armée de limaces noires humanoïdes (présentant dans l'ensemble à peu de chose près le même danger qu'un bataillon de stormtroopers), le tout afin d'empêcher une déesse vaudou faisant ici office de grand égout à cgi dégueulasses de détruire l'humanité – oui, oui, de détruire l'humanité... si c'est pas affligeant. Afin de bien attester l'étendue du naufrage, d'ailleurs, précisons que ladite déesse – à n'en point douter, pire méchante en carton conçue de longue date – estimera mettre les chances de son côté en optant pour un fight à mains nues contre la demi-douzaine de péquenots venus la défier à coups de katana et batte de baseball, alors qu'elle vient de passer le film avant ça à démontrer des aptitudes de téléportation et psychokinésie qui en toute logique lui permettraient de désagréger leurs armes et tous les buter d'une pichenette du petit doigt ; au lieu de quoi elle leur proposera, je vous le donne dans le mille... de la rejoindre ! – pour quoi faire, on sait pas trop, sans doute jouer à la pétanque sur les champs de ruines, Dudune ayant résolu pour qui l'aurait déjà oublié de tout anéantir... m'enfin, passons.


Pour ce qui est du Joker et d'Harley – histoire de mentionner là où, même gâché, on sent le potentiel que ç'aurait pu exploiter – le pan reste anémique, bâclé de façon affligeante, le film se contentant d'expédier en express tout ce que l'on sait déjà du couple, sans rien y apporter de neuf ni rien approfondir... Si quelqu'un, donc, espérait voir Harleen Quinzel devenir Harley Quinn sous l'emprise de Mr J, regarder opérer le charme, approcher la folie, contempler l'abîme, sans surprise il en sera pour ses frais. Le Joker en gangsta et Harley qui minaude, en revanche, ça, il y a, on est servi ; et en prime, il faut le dire, Jared Leto et Margot Robbie sont purement, absolument parfaits pour les rôles – ce qui augmente d'autant la frustration de voir lesdits rôles aussi mal écrits et survolés : pondez un scénario qui les traite dignement, et sur ce parti pris de punks urbains déglingués, Robbie et Leto feront quelque chose de mémorable !


Juste du style, pas de tripes.
Mais en l'état, le parti pris punk urbain, comme à peu près tout le reste de ce film, n'est que de l'effet de style avec rien dans les tripes : on a le Joker qui bute des types pour montrer qu'il est méchant, en sortant bien ses dents pourries pour montrer qu'il est crade, en s'esclaffant à l'envi pour montrer qu'il est dingue, mais les types qu'il bute sortent de derrière les fagots juste pour se faire buter, on ne sait pas qui ils sont, ils ne représentent rien, donc on s'en fout ; on nous montre qu'il a torturé Harley, mais on ne sait rien de leur relation à ce stade, ni de ce qui l'y pousse, ni de la nature du traumatisme que cela engendre chez elle, et la scène doit durer douze secondes à tout péter, donc on s'en fout ; plus tard, on les retrouve en train de se jeter tous les deux dans une cuve de produits toxiques, mais une fois de plus la scène sort de nulle part, déconnectée de tout contexte qui la justifie, purement arbitraire, donc, et lesdits produits toxiques pour couronner le tout laissent les personnages après la cuve dans le même état où ils y sont entrés, donc devinez quoi : bah, on s'en fout. Il n'y a pas de personnages, il n'y pas d'émotion, pas d'enjeux, pas de danger... comme je disais : de l'effet, sans rien dans les tripes.


Alors à la rigueur, il y a David Ayer qui essaie de se faire plaisir, du côté toujours de l'esthétique punk exubérante, avec ses saillies de roses, verts et violets électriques, ses syncopes clipesques, son mauvais goût brandi en banderole... et à vrai dire, c'est relativement sympa. Mais ça dure quoi ?... la première demi-heure du film, à tout casser ? Puis aussitôt, l'on retombe dans le truc le plus aseptisé du monde, avec sa batterie d'effets numériques lisses, de ralentis hideux et de scènes d'action hachées menu pour faire croire au semblant d'intensité désespérément absent. Et ce n'est pas le fait d'ajouter par-dessus le tout la compil' des "dix morceaux de rock que tu ne peux pas ne pas avoir entendu cent-cinquante fois dans ta vie" qui change quoi que ce soit à l'affaire. À nouveau : du style, pas de tripes.


Expliquer la débâcle.
Pour faire simple et résumer la débâcle du DCEU – et, plus encore que la débâcle, d'ailleurs, la vaste déception occasionnée à chaque fois – il faudrait cibler, je crois : des directions artistiques prometteuses sabordées par des scénarios de merde, du charcutage infâme en salle de montage, des changements de pied à répétition au cours du processus créatif et un poids écrasant de la stratégie d'univers partagé, rushée n'importe comment, au détriment complet de l'intégrité respective des films. On se retrouve par conséquent avec ces trucs informes et bordéliques qui passent leur temps à s'annoncer les uns les autres au lieu de se préoccuper de raconter une histoire et de développer des personnages, en les faisant simplement évoluer d'un point à un autre avec un enjeu dramatique fort et, si possible, l'émotion qui en découlerait. Ici, chaque scène doit durer une minute, deux au maximum : rien n'est développé, rien ne prend jamais d'importance ; d'où pourrait sortir l'émotion ?


Et même si, en la matière, je continue à me demander à quel point les manquements béants sont le fait des scénaristes et à quel point le fait de ce que le studio inflige après coup aux scénarios, toujours est-il que voir une si colossale machine à fric s'accommoder de tares scénaristiques aussi flagrantes – flashbacks inclus de façon aléatoire et désarticulée ; scènes humoristiques surajoutées qui se grillent de suite ; dialogues honteux, qui semblent avoir été rédigés par un générateur de répliques automatique, du fameux : « Oh, oh ! on a de la visite ! », au : « C'est fini, Deadshot ! ne me force pas à faire ça devant ta fille ! », en passant par l'éternel : « Tu t'en es pris à mes amis ! » [si ça, c'est pas une réplique de super vilain, je sais pas ce qu'il faut !] – c'est tout de même assez ahurissant, ne serait-ce que d'un point de vue cyniquement commercial, pour ne pas parler du désastre artistique...


Bref, une fois encore, j'ai voulu y croire. Une fois encore, j'y suis allé la bouche en cœur, prêt à faire le "bon public" pour peu que ça ait quelque chose à proposer, quoi que ce soit, un tant soit peu de personnalité... Et une fois encore, c'est de la merde. Remarque, vu la tronche que tirent les bandes-annonces des prochains, je crois que je serai vivement dissuadé de me remettre à espérer, cette fois-ci.

trineor
2
Écrit par

Créée

le 3 août 2016

Critique lue 2.4K fois

58 j'aime

22 commentaires

trineor

Écrit par

Critique lue 2.4K fois

58
22

D'autres avis sur Suicide Squad

Suicide Squad
guyness
3

Show must go home

Le grand bouleversement qui a terrassé l'industrie du divertissement, au cours de ces 30 dernières années, tient en deux points. La fin d'une certaine possibilité d'émerveillement serait presque...

le 2 août 2016

217 j'aime

131

Suicide Squad
Velvetman
3

Sabotage

« Fuck Marvel » criait David Ayer durant la vaste promotion de Suicide Squad. Ironiquement, c’est à se demander si le réalisateur a réellement vu la gueule de son film. On a beau vouloir...

le 4 août 2016

205 j'aime

23

Suicide Squad
Behind_the_Mask
6

Eh ! Ma Harley, elle est cotée à l'A.R.G.U.S. ?

Pendant les deux tiers de ce Suicide Squad, on se surprend à penser que, l'un dans l'autre, DC donne l'impression de tenir pas trop mal la barre de son univers partagé et propose un spectacle, même...

le 3 août 2016

170 j'aime

52

Du même critique

Midsommar
trineor
9

Le sacre de l'été

Le plus immédiatement troublant devant Midsommar, c'est sans doute – comme à peu près tout le monde l'aura relevé – de se retrouver face à une œuvre horrifique toute faite d'été, de ciel bleu, de...

le 3 août 2019

201 j'aime

61

10 Cloverfield Lane
trineor
4

Un acteur de génie ? Un huis-clos pas trop mal écrit ? Si on gâchait le tout avec une fin moisie !

Voilà, voilà... Le titre résume pas trop mal ce que j'ai à en dire. Ceci étant, il faut concéder que ça tient plutôt bien ses promesses sur, disons... les trois premiers quarts du film, allez, et que...

le 17 mars 2016

170 j'aime

30

Premier Contact
trineor
5

Breaking news : t'es à court sur la drogue bleue de Lucy ? Apprends l'heptapode !

Bon, bon, bon. Faut que je réémerge d'une apnée boulot déraisonnable, rien que le temps d'un petit commentaire... parce que c'est que je l'ai attendu, celui-ci. Et fichtre, je suis tout déçu ...

le 7 déc. 2016

153 j'aime

61