A l'heure où la plupart des blockbusters ne propose plus que des corridas hystériques souvent montées à coups de truelles et de tronçonneuses, où les effets pyrotechniques gratuits et les bandes-son tonitruantes sont légions, où les acteurs s'effacent, emportés par le torrent de l'ère numérique, subsiste une race d'irréductibles artisans du grand spectacle populaire, dont le credo réside avant tout dans les noces de l'art et du divertissement. Christopher Nolan, Peter Jackson, Guillermo del Toro, Alfonso Cuaròn, Baz Luhrmann ou encore Sam Raimi : leur escouade se compte sur les doigts de la main, mais ils sont quasiment les seuls à connaître encore les incantations et formules magiques d'un cinéma capable de nous émerveiller, nous fasciner, nous éblouir, nous faire vibrer. Membre phare et incontestable de cette génération de cinéastes héritiers de Spielberg ou férus de Ridley Scott, J. J. Abrams, après son incursion pleine de panache dans l'univers de Star Trek, revient flatter nos mirettes et nos cœurs avec Super 8.

Fable délicieusement rétro, où des petits cinéastes en herbe font face à l'arrivée du mystérieux occupant d'un train qui vient de dérailler tout près de leur paisible patelin, Super 8 s'impose comme un hommage magnifique, émouvant et trépidant, au cinéma des années 80. Pas tant dans la reconstitution aussi tendre qu'amusante d'une époque chérie (vêtements, voitures, appareils, gadgets, jeux, musique, films...), car c'est surtout à travers une facture audio-visuelle irréprochable, héritée de cette décennie devenue culte grâce à ses œuvres (E.T., Star Wars, Retour vers le Futur, Indiana Jones...), qu'Abrams parvient à nous hypnotiser. La puissance évocatrice de Super 8 repose essentiellement sur sa structure : s'ouvrant sur une scène de deuil (les funérailles de la mère de Joe, le jeune héros) puis une scène cauchemardesque de destruction (le déraillement du train, outrancièrement spectaculaire, emblématique du cinéma actuel), le film se lance dans la voie de la reconstruction, dans tous les sens du terme. Reconstruction d'une famille brisée, reconstruction d'un étrange véhicule éparpillé par l'accident initial, mais surtout reconstruction, ou plutôt résurrection, réparation de toute une esthétique propre aux films des années 80. Face à un art actuel de la prise de vue parkinsonienne et du montage épileptique, Super 8 nous propose un spectacle aux images posées, cadrées avec goût et mesure, montées avec une élégance et une fluidité confondantes. Prenant soin de toujours placer idéalement sa caméra, Abrams nous prend par la main pour nous plonger, doucement mais sûrement, au cœur de son aventure. Adoptant le point de vue de ses petits héros sans jamais s'en écarter, il nous implique dans son récit en réveillant notre âme d'enfant, cette âme qu'on ne perdra jamais totalement, qui aime toujours se nourrir d'invraisemblables histoires de monstres, qui se remémore avec nostalgie ce temps révolu peuplé de jouets, de figurines et de maquettes.

Si l'enfant, chez Rimbaud, est un poète, risquons-nous à maintenir cette analogie pour avancer que chez Abrams, l'enfant est un cinéaste. Ce que l'on peut, en premier lieu, appréhender comme une simple mise en abyme (les gamins réalisent un film dans le film), se révèle comme la ligne poétique tout entière de Super 8. Le réalisateur exprime avec ferveur et émotion sa croyance en un cinéma de l'innocence, qui se bâtit à travers un regard d'enfant. Un cinéma pur, aux images simples et fortes. Un cinéma qu'Abrams parvient à faire rayonner à travers tout son film. Ou presque. Car dans sa volonté acharnée de livrer le plus bel hommage qui soit à l'art de ses maîtres (Spielberg en tête), le jeune réalisateur semble parfois tétanisé par la peur de les décevoir, à tel point que son travail apparaît à plusieurs reprises comme un peu trop appliqué, oubliant le temps de quelques scènes sa propre identité. On pourra ainsi taxer le dénouement – pour ne citer que l'exemple le plus flagrant – de trop « spielbergien ». Mais ce serait injuste de n'y voir qu'une preuve de faiblesse, car Abrams réussit in fine à retourner cet oubli de lui-même en sa faveur. Quand on sait que le premier film amateur de Spielberg, tourné en super 8, causait du déraillement d'un train, le film d'Abrams prend une tout autre dimension : bien plus qu'un banal hommage au maître, on pourrait le voir comme un biopic fantasmé sur Spielberg enfant. Fantasmé dans la mesure où c'est sa propre jeunesse (il était adolescent dans les années 80) qu'Abrams met en scène. La mise en abyme devient alors vertigineuse, un jeu de miroirs fascinant entre deux générations de cinéastes...

Si l'on peut lui reprocher son manque évident d'originalité, dans sa parenté avec celui d'E.T., le dénouement parvient néanmoins - justement grâce à cette parenté - à irradier une belle émotion, aussi puissante qu'inattendue, à travers la seule force évocatrice de ses images muettes, bercées par les notes déchirantes de Michael Giacchino. Le finale de Super 8 reflète l'essence même du film, qu'on aurait tort d'anticiper comme une histoire tordue, affublée d'un twist dément. Il s'agirait non seulement d'un contre-sens, mais aussi d'une source (évitable) de déception. Conscient qu'il s'aventure dans des sentiers battus, Abrams mise moins sur le contenu de sa fable que sur la manière de la raconter. Il nous prouve encore une fois qu'il est un sacré conteur et parvient même à nous donner, avec sa bande de petits cinéastes, l'envie irrésistible de faire des films !
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le 31 juil. 2011

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