Super témoin
6.8
Super témoin

Film de Franco Giraldi (1971)

Le cinéma italien des années 70 est moins facilement aimable que celui des deux décennies précédentes. Il souffre, comme chez les nations barbares remarquez, de la pellicule et de la mode pas vraiment chatoyantes de cette période, bien que ne manquant pas encore totalement de charme, comme cela sera le cas lors des suivantes.


Il connaît aussi une certaine radicalisation : la moquerie devient cruauté et la farce devient bouffonnerie. Par exemple, et du côté des réussites, on passe de Il Boom à Un bourgeois tout petit petit, ou de Pauvres mais beaux à Affreux, sales et méchants. Un autre exemple parlant est la différence entre Les monstres et Les nouveaux monstres, le second étant justement plus affreux, plus sale et plus méchant, et, aussi, moins bon.


Les grands s’en sortent quand même, Monicelli, Risi, Scola, Fellini, Rosi, Petri, mais il faut aussi se fader les perversions de Pasolini et Ferreri, et l’ensemble tend vers une auto-destruction qui mènera à la fin d’un cinéma admirable, que la télévision berlusconienne achèvera. Quelques tâcherons seront également passés par là, tel ce Franco Giraldi, qui après avoir fait dans le western spaghetti, s’essaye à la comédie, ce qu’il ne sait visiblement pas faire, à supposer qu’il sache faire quelque chose. Il a néanmoins la chance de pouvoir compter sur un scénario de Maccari et Guerra, qui heureusement pour lui connaissent la formule de la comédie italienne par cœur.


Parmi les acteurs de ces années là, Sordi bouge encore, Gassman se fait plus sérieux et international, Volontè devient activiste politique et Manfredi en profite pour gratter des premiers rôles. Les nouveaux ont du mal à rivaliser, à l’image d’un Giancarlo Giannini difficilement autre chose que pénible.


Et il y a Ugo Tognazzi, apparu à la fin des années 50, et qui est certainement celui qui s’en sort le mieux dans ces années mitigées. La postérité de Tognazzi souffre en France, me semble-t-il, d’un physique pas des plus agréables, et de sa participation paresseuse et réticente aux plus que dispensables et pourtant multi-rediffusées Cages aux folles. D’autres l’ont vu dans La grande bouffe, où il n’est guère plus que passable, dans un film du même métal. Pour ceux qui l’ont vu dans Les monstres, il apparaît davantage comme ce qu’il est, un acteur multi-facettes, capable de se glisser avec malice et intensité dans la peau du bourgeois cynique, du paysan rusé, du politicien véreux ou du policier dégénéré. Il donne néanmoins ses meilleures prestations dans les seventies, donc, de la plus drôle dans Mes chers amis, à la plus émouvante dans Dernier amour, en passant par la satire politique dans Nous voulons les colonels ou judiciaire dans Au nom du peuple italien.


Il est ici un maquereau obsédé par les chaussures, dont la gagneuse a été retrouvée morte, et qui est par conséquent rapidement suspecté. Malgré un alibi solide, il est condamné à vingt ans, sur la foi du témoignage de Monica Vitti, assurant l’avoir vu sur les lieux du crime le soir du meurtre. Celle-ci, gardienne d’enfant, vertueuse impénitente, et par conséquent hystérique, s’apercevant par la suite qu’elle s’est trompée de date, fera en sorte que sa condamnation soit annulée, mais il devra néanmoins purger quatre ans pour les diverses infractions mises à jour lors de son procès. La jeune femme lui apportera pendant son incarcération les brosses à chaussure et l’affection nécessaires, avec l’évolution (ou non) des personnages que cette situation va entraîner.


Tognazzi est parfait dans ce rôle taillé pour lui, il peut donner pleinement dans l’ambiguïté qui est sa marque de fabrique, il est absolument repoussant et pourtant pas nécessairement antipathique, il porte sur lui la saleté de son époque, il est le miroir parfait des hypocrisies et des perversions de sa société. Je suis toujours aussi dubitatif en revanche sur le talent de Monica Vitti. Evidemment, en nuisette, elle est incontestable. Pour le reste elle en fait toujours un peu trop, ou pas assez, en tout cas elle est toujours un peu à côté de son personnage, et je reste circonspect quant à la bonne réputation qui est la sienne quand Sophia Loren en souffre d’une aussi mauvaise. Mais enfin elle y met de la bonne volonté, et peut-être que les souffrances endurées lors de mes rencontres avec Antonioni jouent sur ma perception de la dame.


On peut difficilement plus mal filmer que Girardi, mais le scénario recèle de ce qu’il faut pour tenir le coup, les petites et grandes ignominies de la vie en prison sont là, c’est toujours agréable de voir un glaçon se réchauffer, et la bouffonnerie et la cruauté vont de concert pour offrir une comédie italienne des années 70 assez archétypal, dans le positif et dans le négatif, d’où ce long texte que personne ne lira.

Duan

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