oct 2011:

Partagé. Je me retrouve dans une position inconfortable parce qu'à l'approche de la quarantaine, je trouve à ce film d'enfance beaucoup de choses à redire. Situation peu agréable : on aimerait tant que le merveilleux de l'enfance perdure!

Bien des aspects me l'ont fait longtemps croire. Heureux temps des effets spéciaux fabriqués à la main, quand les ordinateurs se contentaient à peine de renvoyer un point blanc entre deux longs tirets faisant "ping" et "pong". Tout reposait alors sur l'astuce des décorateurs, des maquilleurs ou du chef-opérateur. Cela donnait un show où le spectateur devait faire travailler son imagination pour accepter en bon public conciliant quelques approximations. Ce n'était pas sans attrait, cette démarche. C'était ça aussi, le cinéma!

Je me souviens d'être allé voir un Superman au cinéma quand j'étais tout môme. Je ne sais plus si c'est le premier ou le deuxième. C'était la première fois que j'allais seul dans une salle de ciné. Et j'ai retrouvé très vite cette joie enfantine en entendant la grandeur et la pompe étourdissante des notes de John Williams sur le générique, de même tout au long du film, quand Richard Donner se plait à nous servir des plans généraux et généreux sur les grands espaces du Mid-West. Il convoque ici les mânes de ses ancêtres qui ont construit la légende du cinémascope. On pense surtout à John Ford, bien sûr.

Entre en jeu toute la culture picturale américaine, celle qui immortalise le temps des pionniers. Cette famille que Glenn Ford et Phyllis Thaxter recréent sous nos yeux, c'est la famille américaine traditionnelle, celle qui a forgé le pays dans le travail de la terre et le respect de valeurs que Superman est sensé nous resservir.

On notera avec autant de stupéfaction que d'horreur que le "respect" ne fonctionne que dans un seul sens. Il disparait complètement en un plan, quand le studio impose un placement de produit dégueulasse, ruinant au passage toute la poésie d'une très belle scène, travaillée dans le cadrage et la lumière avec une science de l'art, sans doute un peu académique, mais tellement efficace. Quelle ruine! Quel sacrilège!

Du même coup, la belle gueule aux dents blanches éclatantes et les beaux discours du gendre idéal Superman perdent toute puissance. Il est vrai que le personnage n'avait pas besoin de ça pour être ridiculement factice. La nature réaliste ou vraie du personnage, il a toujours été extrêmement difficile de la cerner. C'est au forceps que l'on peut sans doute trouver chez cet américain en plastique une once d'humanité.

Trop parfait, trop propre, trop crétin, Superman ne l'est peut-être pas tout à fait. Ses difficultés à concilier sa mission de super héros et son amour pour Lois Lane (Margot Kidder), sa faiblesse face à la kriptonite sont autant de petites aspérités qui le rapprochent de loin au commun des mortels. Le problème du film ne se situe pas donc pas vraiment là si l'on accepte ces préalables très naïfs mais si proches des comics d'antan.

Non, le bât blesse essentiellement pour qui n'est pas américain. Comme souvent avec ces super héros de la guerre, l'aspect propagandiste et ultra nationaliste peut étouffer une partie de son adhésion à l'universel. Quand on est marmot, on n'est pas sensible à ce genre de choses, mais aujourd'hui pour le grand gaillard musclé et velu que je suis devenu, le propos grassement hyper-national m'a littéralement gonflé. Et je me rends compte que tout le film est axé sur cette espèce de répétition du discours laudateur sur le génie américain : Superman est élevé par des WASP pur jus, il joue au foot américain, empêche Air Force One de se crasher, propose à Lois Lane une promenade touristique de New-York, il passe son temps à sauver l'Amérique et j'en passe certainement. A la longue, c'est fatigant cet ethnocentrisme. A se demander finalement qui est plus américain, de lui ou de Captain America? Franchement entre un Batman caverneux et universel et ce fils de Reagan en bas bleus et moule bite rouge, mon choix est tout de suite fait.

Alors, certes, on est dans les années 80, celle des Républicains sur le point de triompher du joug soviétique et la crise économique suscite de vives inquiétudes pour l'avenir. Ce cinéma de divertissement n'a d'autres ambitions que de déconnecter le public américain de ces réalités, tout en lui vendant des Cheerios pour le petit-déjeuner. Mais dieu que ça a mal vieilli, dieu que c'est con et politiquement correct !

Heureusement il y a Gene Hackman qui fait le clown avec une bonhommie que je ne saurais trop louer. Entre la générosité pulmonaire de Valerie Perrine et sa trogne renfrognée, je trouve là deux petits îlots intemporels sur lesquels me reposer avec soulagement.
Alligator
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le 19 avr. 2013

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