De l'intérêt de parfois faire des suites

Longtemps que je n'avais plus vu d'animé DC Comics/Warner, et comment refuser la proposition alléchante d'un Superman communiste pour perpétuer l'exercice? Il paraissait dur de louper cette première adaptation en long-métrage du comics Red Son, surement l'une des alternatives les plus célèbres au Superman que tout le monde connaît, celui qu'est bien bâti, bien beau gosse et surtout bien capitaliste (puisque bien américain, si l'on en croit cette cuvée 2020 d'animation DC).


Mais l'exercice était tout de même douteux : comment résumer un chapitre aussi important de l'histoire éditoriale de l'Homme d'acier dans le format habituel des dtv animés Warner, tous compris entre 1h15 et 1h30 (grand maximum)? L'idée même de le partager en deux films n'étant pas prévue, il faut donc se contenter d'une version forcément raccourcie allant à l'essentiel et qu'on n'espère pas trop édulcorée non plus.


S'inscrivant dans une période d'adaptations en dessins animés de plus en plus violentes, la question de l'absence de violence ne se pose pas : c'est surtout sur son propos qu'on peut avoir peur d'une simplification grand public visant plus le public adolescent qu'adultes; ceux pour qui le comics originel était finalement le plus intéressant et pertinent pourraient ne pas se sentir visés par cette adaptation, ou même trahis par une possible simplification extrême le coupant de toute la moelle engagée et réflexive de l'oeuvre de Mark Millar et ses compères.


Il faut préciser dès le départ que les films d'animation DC Comics, s'ils ne se contentent pas de reproduire les mêmes schémas plaisant au grand public (ils préfèrent au contraire adapter tout un tas de comics aux ambiances et époques différentes afin de ne pas se répéter continuellement), ont connu une baisse significative de leurs qualités visuelles depuis disons 2018 et les sorties de Batman Ninja, Batman et les Tortues Ninja, Le Règne des Supermen et Batman Silence.


Surprenant son public tellement qu'il est laid, Superman : Red Son régresse de plus de quinze ans niveau animation en nous proposant d'une part des personnages inexpressifs aux proportions corporelles sans queue ni tête et d'autre part des mouvements saccadés qu'on croirait sortis d'un mauvais jeu PS2 Terminator; faut voir la cape de Superman passer de droite à gauche sur ses épaules pour imiter qu'elle vole, ou la cigarette de Lois Lane s'écraser par terre comme si elle percutait les marches d'un escalier dans sa chute.


Si le début est une douleur particulière pour les yeux, on tentera de se rabattre sur le reste (sur ce qui importe finalement le plus dans l'adaptation), la qualité de son écriture et la profondeur de sa réflexion. On pourra citer en principale qualité le fait que tout s'enchaîne sans temps mort avec suffisamment de maîtrise pour parvenir à développer à la fois ses personnages secondaires, son intrigue principale et ses thématiques les plus chères (toute mesure gardée).


Entre Lana, Loïs, Lex et Brainiac, vous aurez le choix d'à qui vous attacher et de qui détester, encore que le personnage de Wonder Woman, sorte d'adolescente sans grande logique, fera preuve de comportements des plus incohérents conduisant le spectateur vers ce qui handicape le plus cet animé 2020 : l'évolution brinquebalante de ses personnages et de son intrigue affaiblie par sa trop grande ambition pour sa trop courte durée.


Exit la complexité attendue et les rapports ambigus entre les protagonistes : il faut résumer en 1h25 de projection ce qu'un comics de 180 pages développait avec le talent et la maîtrise d'un auteur reconnu internationalement pour ses capacités de narrateur. Il enchaînera donc ellipses sur ellipses, présentera personnage sur personnage sans jamais vraiment les approfondir, comptant sur la puissance évocatrice d'un lore entièrement dénaturé dans un contexte presque dystopique pour toucher un aficionados de DC Comics qui sera forcément conquis (ou ne serait-ce que perturbé/intrigué) par cette nouvelle vision d'un univers vaste et riche qu'il pensait connaître.


Malgré l'aspect charmeur de la réadaptation intéressante et bien foutue d'icônes de la culture geek, on ne pourra s'empêcher de regretter la superficialité de l'entreprise, qui se contente donc d'enchaîner les scènes d'action, de meeting, de menace ou d'alliances plutôt que de privilégier de courts dialogues aux termes évocateurs : ce qu'il fait, enchaîner les mots complexes pour former des hyperboles métaphoriques ou de réflexion politique, lui fait prendre les traits d'un élève de terminale voulant passer en société pour plus intelligent qu'il n'est, comme s'il débattait finalement d'un sujet qu'il ne comprenait pas vraiment, ou ne maîtrisait visiblement pas du tout.


On ne ressent pas toute l’ambiguïté d'un Luthor dont l'égo dépasse l'amour qu'il a pour son pays, ou même le plus important, le changement de personnalité de Superman, qui passerait, si l'on en croit les personnages sans jamais comprendre un moindre mot de ce qu'ils avancent, du statut d'idéaliste naïf à celui de dirigeant rendu extrémiste, dictateur monstrueux par sa volonté de protéger le monde; et si l'idée de suivre un Homme d'acier dont la seule volonté est finalement de le contrôler plus que de le protéger sera rapidement abordée, on l'abandonnera à peine évoquée pour repartir dans un style comics banal, où les deux camps s'allieront contre un grand méchant vraiment méchant qu'il faut impérativement détruire.


Ce manichéisme là, principalement du à son temps trop court pour ce qu'il avait à raconter, laisse le spectateur dans un drôle de ressenti tant il ne comprend pas d'un côté ce que les personnages racontent sur un Superman jusqu'ici toujours juste dans ses actions, et un Luthor clairement érigé comme antagoniste qu'on tente de faire passer pour le gentil de l'histoire, surement du fait de son rôle de président américain.


Bien trop mainstream dans son analyse, Superman : Red Son ne propose pas, comme on pouvait l'attendre, une parabole réflexive et neutre sur la possibilité d'un monde protégé par un Superman communiste, préférant axer son déroulé sur le détachement progressif du personnage de l'URSS, forcément ennemie du film puisqu'elle était, fut un temps, ennemie de l'Amérique. Trop propagandiste, Red Son manque de prises de risque et ne développe jamais des personnages qui pourraient avoir une profondeur fascinante (cette version de Batman était une mine d'or), clouant d'autres potentiels par des comportements incompréhensibles (Wonder Woman, outre son discours rébarbatif sur sa mère et son île qu'on ne verra jamais, décide de quitter l'intrigue sur un coup de tête tellement forcé qu'il termine dans le registre du surjeu et du caricatural).


Ce petit divertissement gâche donc son potentiel en ne s'étant pas dédoublé pour rendre justice à l'un des comics les plus importants et influents de l'Histoire de l'Homme d'acier.

FloBerne

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