Attendu depuis des lustres (la dernière version cinématographique, peu glorieuse, date de 1987), le super-héros de tous les super-héros est de retour. Porté par l’énorme succès des adaptations récentes de comics célèbres, qu’elles soient plus ou moins auteuristes (Spider-Man, Hulk, Batman Begins) ou purement pop-corn (X-Men, Les Quatre Fantastiques), Bryan Singer a pris les commandes d’un projet plutôt complexe. Comment réactiver une icône ? Comment faire du neuf en dépit du slip rouge, des passages obligés et de la mémoire de Christopher Reeve ? Surtout, comment susciter l’intérêt pour un personnage qui, à l’heure des anti-héros tourmentés (Spider-Man est un ado maladroit qui ne peut concilier sa condition et sa vie affective, Batman est un héros sombre rongé par le désir de vengeance), est insupportable de perfection et de fadeur Ultra-Brite ?

Déjà aux commandes des deux premiers X-Men, belle réussite commerciale au fond plus complexe qu’il n’y paraît, Bryan Singer a eu la bonne idée d’assumer pleinement le kitsch du personnage. Du costume ringard aux invraisemblances scénaristiques (comment Lois Lane peut-elle ignorer que Clark Kent et Superman sont la même personne ?), tout y est. Et même plus : la meilleure idée de Singer est de ne pas remonter aux origines du super-héros mais de proposer une suite quasi directe du Superman II de 1980. Et pas seulement d’un strict point de vue scénaristique : du générique, identique à celui du film original, à l’utilisation de chutes des scènes tournées en 1978 par Marlon Brando dans le rôle du père de Superman, en passant par la reprise du thème musical composé par John Williams, Superman Returns réactive la saga en jouant la carte de la mémoire collective. Même l’inconnu choisi pour le rôle titre, Brandon Routh, étonne par sa ressemblance troublante avec Christopher Reeve. Initiatives intelligentes qui évitent soigneusement les pièges afférents à toute tentative de lifting intégral tout en posant, l’air de rien, de nouvelles bases pour d’éventuelles suites.

On retrouve donc Superman, de retour sur terre après cinq années passées sur sa planète Krypton. Pendant ce temps, le monde a appris à se passer de lui. Y compris Lois Lane, toujours reporter au Daily Planet, presque mariée et mère d’un petit garçon de 5 ans (tiens, tiens…), sur le point de se voir remettre le Pulitzer pour un article intitulé : « Pourquoi le monde n’a pas besoin de Superman ». Autant dire que le come-back du héros et de son alter-ego maladroit, Clark Kent, n’est pas franchement attendu, et encore moins par son ennemi de toujours, l’inénarrable Lex Luthor (incarné par un Kevin Spacey plus délicieusement cabot que jamais), fraîchement sorti de prison.

Sur ce postulat très simple, Bryan Singer signe un vrai divertissement à l’ancienne, à regarder avec ses yeux d’enfant grands ouverts. Superman Returns offre, en 2h30, une virée en Grand 8 dans les tréfonds de la culture pop. Surtout, au-delà des spectaculaires effets spéciaux (notamment une scène de sauvetage d’avion en plein vol, sidérante) et d’un réel souffle romanesque, Bryan Singer a retenu la leçon enseignée par Sam Raimi et ses beaux Spider-Man : tout héros qu’il est, Superman est avant tout un homme (enfin, presque). Amoureux éperdu d’une Lois Lane arrogante et glaciale, père potentiel d’un enfant asthmatique dont on se demande s’il a hérité des pouvoirs de papa, fils meurtri par la perte d’un père aux allures de légende (Marlon Brando, même dans ce qui reste son rôle le plus paresseux, réussit post-mortem à prendre le contrôle du film à chaque apparition)… Plus que jamais, Clark Kent transpire de tous les pores de Superman. Brandon Routh n’a pas grand-chose à faire : il lui suffit d’être là, incarnation physique parfaite du héros de BD, et d’attendre la suite des événements ; Superman ne fait pas autre chose, lui qui subit tout, de ses pouvoirs surhumains au féminisme « hepburnien » de Lois Lane.

Très ancré dans une conception volontiers nostalgique d’Hollywood et, par extension, de l’Amérique, Bryan Singer promène son héros dans une Métropolis (le New York de Superman) sans cicatrices, où les avions ne s’écrasent pas dans la foule, où la ville ne peut se détruire complètement qu’en l’état de maquette, où Lex Luthor et sa petite amie (Parker Posey, hilarante) ont l’air de sortir d’un épisode de Dynastie et où la mère adoptive de Clark Kent est incarnée par une autre légende d’un âge d’or révolu, Eva Marie Saint. Cette vision un brin passéiste, politique de l’autruche pour public fatigué de regarder la réalité droit dans les yeux, a de quoi agacer. Pourtant, le film peut se lire autrement. Fun et mélancolique à la fois, le Superman cru 2006 regarde derrière lui pour mieux affronter le présent. En bâtissant son film sur les cendres de l’icône (Superman) et du monde qui l’a créé (l’Amérique et Hollywood), Bryan Singer envisage l’avenir en prônant la reconstruction. Moins évidente mais tout aussi présente, la métaphore post-11-Septembre est bien là, dans ce désir d’aller de l’avant sans négliger le passé.

Après son discours sur la tolérance et l’acceptation de soi dans les X-Men, Bryan Singer trouve dans le super-héros ultime le messager idéal pour ses valeurs humanistes. Pas si naïf, le nouveau Superman termine le film prêt à assumer ses responsabilités. Ce qui, pour le symbole le plus inoxydable d’une Amérique jadis triomphante, est un sacré pas en avant.

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Auteur : Wesley
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le 16 oct. 2012

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