Paul Schrader est énervé, veut en découdre et fait son retour en grâce avec une œuvre coup de poing qui sacrifie sur le toit de « l’autel » sa figure christique en perdition. Politique, engagé et réflexif comme du Robert Bresson, First Reformed passionne par son questionnement intérieur et son style épuré et minéral. Un grand film.


Quelques heures se sont écoulées depuis l’élection de Jair Bolsonaro, le « Trump tropical », à la présidence du Brésil. Climato-sceptique avéré, il est drôlement cynique de voir que ses propos font malheureusement écho au film de Paul Schrader et aux inquiétudes de son personnage principal. Dans le même temps, de l’autre côté de l’Atlantique, dans le sillage cinématographique américain, il est possible de voir de nombreux films s’attaquant aux États-Unis de Donald Trump : à l’image du dernier film de Spike Lee, Blackkklansman, qui s’avère être un pamphlet contre la politique sécuritaire et sociale de l’actuel président américain.


First Reformed, lui, qui dépeint une société en déliquescence et un pays qui se cache derrière des valeurs pieuses pour accroître son envie de grandeur, n’est pas un film à la marque militante. Politique, il est vrai, mais pas militant. Ce qui fait la force du long métrage, c’est de pointer du doigt un système global qui fait dégringoler notre civilisation, comme un cercle vicieux qui ne s’arrête jamais, pour au mieux dévisager les cicatrices intimes des personnages. Dans les premiers instants du film, nous apercevons un prêtre faisant un sermon devant un auditoire absent et une église presque vide. L’ambiance est froide, les contours de l’atmosphère paraissent aliénants. Mais cette absence de paroissien n’est pas seulement synonyme d’un manque d’intérêt pour la religion mais catalyse aussi un désarroi immense, une rage intériorisée qui gronde à l’image de ces nouveaux jeunes croyants dont les discours radicalisés sur l’immigration et le choc des cultures proche de ceux de Fox News font froid dans le dos.


L’une des rencontres qui va voir le prêtre chuter dans ses idéaux, est celle avec ce jeune activiste climatique qui ne veut pas que sa femme fasse naître leur enfant par peur de l’avenir : pour lui, il ne sert à rien que leur enfant voit le jour dans un monde qui court à sa perte. Sauf que cette confrontation avec cet homme gangrené par le désespoir n’est pas qu’une voix écorchée qui parle dans un océan de vide mais s’avère être aussi une caisse de résonance par rapport au passé du dit prêtre, qui lui-même est hanté par la perte de son fils durant la guerre en Irak. Il l’avait incité à partir en guerre contre l’avis de sa femme. A partir de ce moment-là, le film bascule dans un questionnement intérieur d’un croyant dont la foi est vacillante et où la crainte de fin du monde n’a jamais été aussi pesante. Une peur englobe notre aumônier pour ne plus le lâcher.


Dans son film, par sa faculté visuelle, ce cadrage minéral, cette économie dans la lumière et dans les mouvements de caméra, le cinéaste cite avec passion Bresson, Bergman ou Maurice Pialat version Sous le Soleil de Satan. C’est ce qui sépare la justesse de l’œuvre de Paul Schrader et la plupart des films actuels qui amènent leur aspect militantiste d’une manière outrancière tout en nous imposant une morale comme peut le faire le larmoyant et non moins pataud Capharnaüm de Nadine Labaki. First Reformed, référençant les anciens esthètes européens, n’ignore pas son époque et n’en reste pas moins une œuvre à la modernité mortifère.


Alors que l’œuvre aurait pu vite tourner à la démonstration didactique et la récitation vindicative et documentariste sur le changement climatique à la Al Gore, le film s’avère plus impressionnant et offre une profondeur de champ plus importante. En essuyant les critiques, en se confrontant à l’opportunisme même de l’église protestante, en voyant que son Église est elle-même financée par une entreprise qui pollue à grande échelle, le pasteur comprend l’inéluctabilité de ce serpent qui se mort la queue. Sous l’habit religieux, derrière cette apparence de curée de village réglant les problèmes domestiques, une haine grince le parquet, l’incompréhension devient de plus en plus omniprésente dans les pensées de ce jeune prêtre.


Pendant que la voix off du personnage nous explique à de nombreuses reprises ses égarements idéologiques, qu’il se sait presque condamné par une maladie qui montre le bout de son nez, que sa solitude devient un chemin de croix inévitable, c’est avant tout grâce à son acteur principal, Ethan Hawke, que cette incarnation du désespoir est autant tangible. En symbiose totale avec le reste du film, cette froideur dans le regard et cette tristesse taiseuse n’a jamais été aussi prégnante. Comme dans Oslo 31 aout Joachim Trier ou même Under The Skin de Jonathan Glazer, on assiste au parcours d’un personnage naviguant dans un monde dans lequel il ne se reconnait pas, dans lequel il est de plus en plus difficile de s’assimiler et de ne faire qu’un. Politique, le film ne l’est pas seulement par le biais de son propos et par ses thèmes économiques.


First Reformed est également politique par sa déconstruction de la figure christique au cinéma. Alors que le cinéma hollywoodien bâtit en ce moment à coup de boutoir des dieux sauveurs d’une humanité non représentée dans le brouhaha le plus alarmant, allant des Avengers, Superman ou Tom Cruise dans MI, Paul Schrader désacralise et se sert avec finesse et silence de la figure religieuse et paternaliste de son œuvre comme première arme potentielle à la destruction, comme premier témoin de ce monde désolant, ou comme premier recours à un terrorisme interne. Au lieu de créer une sphère héroïque ou anti-héroïque, il met l’humain au centre de son récit pour confronter l’infiniment petit à l’infiniment grand. Fou, passionnant, First Reformed est l’un des objets cinématographiques les plus importants de l’année. Pourtant, il n’est qu’un simple DTV en France.


Article original sur LeMagduciné.fr

Velvetman
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le 31 oct. 2018

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