Les remakes et le public, c'est loin d'être une histoire d'amour.
Plutôt un genre de relation toxique où l'un va blesser l'autre, alors ils s'engueulent et se séparent, puis le temps passent et il se remettent ensemble, et c'est alors l'autre qui devient dangereux pour son conjoint, puis la séparation réopère, etc.
Il y a des remakes, donc on les déteste, donc ils nous détestent, donc on les déteste encore plus.
Mais dans ce cercle vicieux, on oublie trop souvent que remake n'est pas synonyme de mauvaise qualité. Des bons remakes, ça existe. Des films qui apportent quelque chose en plus au film originel.
Je ne referai pas toute la liste d'excellents remakes, mais pour moi Suspiria en fait clairement partie.


Pourquoi ?
Parce que le film ose faire des choses, il se désolidarise presque entièrement du Suspiria originel, n'a pas peur de faire différemment, ce qui est sacrément courageux quand on connait l'aura dudit film.
Parce qu'au fond, le premier Suspiria, il est très bon, on est d'accord, mais je le trouve assez kitsch. Les gros effets de lumières baroques, avec une nuit faite de rouge ou une scène de slasher éclairée en bleu, c'est très joli, c'est magnifique même, mais c'est trop ancré dans son époque. Si le remake avait essayé d'opérer la même approche esthétique, il aurait eu l'air ringard dès sa sortie. Pareil, les maquillages, les meurtres, ils sont sympas, mais vraiment trop ancrés dans les années 70, ils ont mal vieilli (Sans parler d'une conclusion pas mal décevante...). Certes, on peut toujours apprécier le film, mais il faut le re-contextualiser pour l'apprécier à sa juste valeur.


Suspiria le remake a bien appris sa leçon, et nous livre un ballet onirique et morbide qui ne laissera indifférents que ceux qui se seront fermé d'esprit avant même d'aller le voir.
Le réalisateur nous surprend déjà avec un choix intéressant : Faire de la danse le moteur principal de l'histoire. Le remake comme l'original se passent dans une école de danse en Allemagne, mais dans ce dernier, le bâtiment n'est traité que comme la demeure de cette fameuse Mère, sorte de déesse de l'angoisse, la danse n'y apparait quasiment jamais et n'a aucune incidence sur les événements, ce qui est quand même dommage, parce quand on y pense, un maitre du Giallo comme Argento filmant de la danse, ça aurait pu être intéressant. Tout le nouveau film, à l'inverse, est rythmé par les pas de danse, l’héroïne apprend, se dépasse, virevolte au rythme infernal des "1, 2, 3". Elle élève son niveau de danse tout en transcendant ses propres barrières spirituelles. Magie noire et danse se confondent et deviennent les 2 facettes d'une même pièce par la puissance de la caméra. Et cette scène de ballet complétement folle, une sorte de sabbat chorégraphié, à la fois beau et dérangeant, qui fera définitivement basculer le spectateur du monde rationnel à celui de l'occulte, où les sorcières sont seules maitresses de la loi, et où au bout du chemin, il n'y a que les soupirs.
Il se dégage, durant tout le film, une ambiance assez malsaine. On sait que des choses terribles se trament, le réalisateur ne se privant que rarement de nous les montrer ou nous les suggérer par les dialogues, mais, comme Dakota Johnson et Tilda Swinton, on est tellement emportés dans l'élan artistique qu'on ne peut s’empêcher de continuer à suivre le rythme sans réfléchir, recherchant au bout du chemin moins le fin mot de l'histoire que l'apothéose de la pièce. En clair : On est pris du vertige artistique, et on oublie tout le reste.
Dakota Johnson, d'ailleurs, qui a réussi à me surprendre. Je veux dire, passer de la trilogie 50 Nuances à Suspiria, là le sauvetage de carrière il équivaut aux 12 travaux d’Héraclès, ça rigole pas ! Et puis j'y connais rien à la danse, mais elle est quand même sacrément douée dans le domaine ! J'aurais jamais cru qu'on pouvait être aussi souple au niveau des omoplates.
Mais ça c'est rien comparé à Tilda Swinton, qui cumule quand même 3 rôles dans le film ! Bon ok, l'un des 3 n'apparait que dans une seule scène, mais quand même ! Y'a respect, là ! En plus, l'un de ses rôles est masculin et c'est le personnage le plus touchant du film ! Que du bonheur, cette dame ! Et puis son rôle de Madame Blanc qui est juste parfait : Elle dégage cette douceur, cette gentillesse mais en même temps une telle force, t'as limite envie qu'elle soit ta mère (Ce qui est un peu le but, le personnage servant de mère de substitution à l’héroïne). On voit bien que cette gentillesse cache de mauvaises intentions, mais le réalisateur arrive à entretenir l’ambiguïté de son personnage, le faisant au final plus transparaitre comme une chorégraphe que comme une sorcière.


Inutile de dire que la mise en scène de Guadagnino est réussie, se permettant même d'employer des effets vieillots, comme le zoom ou le ralenti saccadé, qui pourraient paraitre kitschs, mais passent bien dans le contexte du film.
Et tout ce travail organique sur les corps qui se meuvent, se courbent dans tous les sens pendant les scènes de danse, le sound-design avec cette grosse insistance sur la respiration, et ces rêves au montage frénétique et aux idées visuelles complétement folles (dont entre autre, l'image qu'on voit sur la sublime affiche du film). Il y a vraiment un coté très sensoriel dans la mise en scène.
Et puis bon, on est dans un film sur la magie noire, donc y'a quand même de bonnes scènes qui justifient l'interdiction aux moins de 16 ans. Rien que cette séquence où l’héroïne démontre ses talents de danseuse en parallèle de la mise à mort particulièrement douloureuse d'un personnage, une scène qui dure, qui dure, qui ne s’arrête pas, c'est juste fou à quel point elle a réussi à me mettre mal à l'aise. Et je ne parlerai pas de la fin, un véritable opéra baroque, démesuré, explosif et malsain, un ballet de sang et de cris où art et réalité, mort et renaissance, amour et destruction forment un grand tout chaotique, puissant, viscéral. Et en plus, ça éloigne encore d'un cran le remake de l'original.


Car oui, Luca Guadagnino s'est totalement réapproprié le Suspiria de Argento, sans pour autant lui cracher à la gueule. Suspiria n'est pas un hommage déguisé, un film qui se cache derrière la grandeur de l'original pour exister comme trop de remakes, c'est une œuvre qui vit par elle-même, pour elle-même, et qui se fout bien si vous êtes pas contents.


Après, je n'ai pas trop compris pourquoi, pendant les 2 tiers du métrages, on nous fait suivre en parallèle de l'histoire principale l'avancement d'une prise d'otages en Allemagne via les journaux télé et les manifestations dans les rues berlinoises. J'imagine que l’événement a réellement eu lieu, mais je ne comprends pas pourquoi le réalisateur a tenu à l'évoquer dans Suspiria. Est-ce une façon pour lui de montrer que les choses horribles se déroulant au sein de l'école de danse sont un reflet du contexte socio-politique trouble de l'Allemagne durant la Guerre Froide ? D'autant qu'il est également fait référence à l'Holocauste. Qu'est-ce que le réalisateur a voulu nous dire à travers cela ? Parce que quand je vois Suspiria, j'ai pas l'impression que Guadagnino soit le genre de mec à nous faire "Regardez, je parle guerre et terrorisme, démerdez-vous avec ça !" Non, il a sans doute voulu nous dire quelque chose. Quoi exactement, c'est tout mon problème.
De même, j'ai trouvé que la dernière partie du film (l'Acte 6 et l’Épilogue) traine trop en longueur. Je comprends l'envie du réalisateur d'instaurer une ambiance lourde, de créer un certain poids qui nous fait ressentir la catastrophe imminente, pas de soucis. Mais c'est quand même sacrément long, peut-être qu'en coupant quelques minutes à la fin, ça serait mieux passé.


Mais ne boudons pas notre plaisir.
Suspiria est un vraiment très bon film. Un spectacle de danse à la fois horrible et sublime.
Les corps bougent, les corps saignent, les pas de danse se succèdent et la magie opère.
Après, monsieur Guadagnino, si vous êtes chaud pour nous faire des remakes de Inferno et Mother of Tears, je dis pas non.

Arkeniax
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le 16 nov. 2018

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