Critique / Cannes : Suzanne (par Cineshow.fr)

Après un premier long-métrage déjà présenté à la Semaine de la Critique en 2010, la cinéaste Katell Quillévéré est revenue sur la croisette pour présenter Suzanne, portrait d’une femme sur près de 25 ans, une jeune fille devenue mère trop tôt qui abandonnera tout pour suivre un voyou dans un amour inconditionnel qui bouleversera sa vie. Aidée par le prix Jean Vigo qu’elle reçut pour un Poison Violent, la réalisatrice Bretonne signe ici une œuvre encore plus mûre, à la densité émotionnelle puissante mais surtout une œuvre particulièrement bien écrite, entraînant les spectateurs sans jamais les égarer dans la découverte d’un destin tragique et d’une vie constamment brisée.

Ce qu’il y a de plus marquant dans Suzanne, c’est ce fameux parti pris d’aborder 25 ans de la vie d’une femme en à peine 1h30. Un choix sur le papier osé mais qui sous la caméra de la réalisatrice prend tout son sens, celle-ci préférant les ellipses aux démonstrations trop longues. Ainsi, chacune des actions régissant le destin de Suzanne sont éclipsées pour mieux s’attarder sur le personnage et sa réaction face aux murs de la vie. Il suffit parfois d’une séquence pour illustrer la jeunesse et son insouciance, ou d’un peu plus, selon sur quoi souhaite appuyer dans la réalisatrice. Il n’y a pas de schéma pré-programmé dans l’avancée du film, un logique qui suit la manière d’être dans la vie de Suzanne, rebondissant d’une situation à l’autre, d’un coup de pied de la vie pour mieux trouver la force de rebondir aux contact des êtres qui lui sont proches, son père, sa sœur ou encore son fils aîné. On pourrait penser que le film tenter de puiser dans un certains misérabilisme pour faire naître l’émotion, et faire en sorte que l’empathie vis-à-vis de Sara Forestier soit immédiate. Il n’en est rien. Tout en pudeur et sans émettre aucun jugement, même lorsque cette jeune femme foncièrement égoïste en commet d’énormes, Suzanne délivre un portrait d’une sensibilité rare et d’une sincérité remarquable, une réussite que l’on doit pour beaucoup à la prestation de Sara Forestier qui arrive à camper le personnage merveilleusement à tous ses âges. L’actrice demeure aussi convaincante en adolescente fougueuse et paumée qu’en mère possessive ou en femme passionnée.

Avec cette romance viscérale entre Suzanne et un jeune voyou amoureux, le film de Katell Quillévéré évoque un petit côté Bonnie & Clyde entièrement par l’ellipse centrale du récit qui permettra de basculer directement deux ans après leur fuite. La réalisatrice a semble-t-il un talent certains dans la peinture des personnages qu’elle présente, soulignant avec tact les traits bien spécifiques de chacun ‘eux mais en en montrant systématiquement le meilleur, même dans les situations les plus fragiles. Malgré une succession de mauvais choix de vie, Suzanne reste ce personnage attachant, frappé à toutes les étapes de sa vie par un destin accablant. N’y voyez pas une forme de braquage lacrymal, bien au contraire, Katell Quillévéré laissant le choix d’adhérer ou non au personnage, de se laisser emporter ou pas avec elle dans cette chronique d’une vie que l’on aurait souhaité un peu moins grise. Par instants, le film se révèle même d’une rare violence par ses dialogues qui font dans la plupart des cas mouche, à l’image de ces retrouvailles à la sortie de prison avec la famille d’accueil ayant accueilli son premier enfant. Une balade, un dialogue connivent entre une mère et son fils, mais un monde qui s’effondre lorsque ce dernier appelera “maman” sa mère de substitution devant sa mère biologique qui n’a rien perdu de son amour, bien au contraire. La spontanéité de la réponse de l’enfant est destructrice et sonne comme un coup de couteau en plein cœur, autant pour Suzanne que pour les spectateurs qui ne resteront pas indifférents devant cette séquence, un passage révélateur de la maîtrise formelle de la réalisatrice quant à son sujet.

Il se dégage quelque chose d’enivrant de Suzanne, un film à la grâce pas évidente du premier coup, mais extrêmement touchant par le propos, se refusant à faire couler les larmes à tout prix en brossant un portrait de personnage particulièrement intéressant. Sara Forestier est le pilier principal de cette entreprise qui doit également beaucoup à son casting de seconds rôles, de François Damiens en père attentif mais à l’apparence de pierre, à cette sœur / copine connivente campée par Adèle Haenel (La naissance des pieuvres). C’est vraiment brillant pour un second film, réellement abouti et épuré de toute fioriture pouvant nuire au propos. Suzanne évite les écueils les plus compliqués et se positionne directement comme l’un des meilleurs films vu depuis le début de ce Cannes 2013, toutes sélections confondues.
mcrucq
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le 18 mai 2013

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Mathieu  CRUCQ

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