Le cinéma français est-il en voie de féminisation ? Rien n’est moins sûr car si la gente féminine est majoritaire devant la caméra, encore aujourd’hui elles sont très peu nombreuses derrière (moins de 20%), le cinéma étant sans doute l’un des derniers milieux aussi éloigné d’une égalité homme-femme. Pourtant les années 2000 ont vu émerger de talentueuses réalisatrices qui nous incitent à dire qu’une parité se dessine. En effet, Rebecca Zlotowski (Belle épine, Grand central), Valeria Bruni Tedeschi (Un château en Italie) ou encore Céline Sciamma (Naissance des pieuvres, Tomboy) font preuve d’une originalité thématique et d’une maîtrise scénique des plus remarquables.
Cette année, dans la lignée de ces 3 cinéastes de génie, une nouvelle venue émerge : Katell Quillévéré. Elle est la réalisatrice émérite de Suzanne, une fresque intimiste subtile et d’une originalité admirable. Le long métrage se déroule ainsi sur 25 ans et suit le parcours chaotique de Suzanne, mère à 16 ans, amoureuse d’un homme en cavale et les répercussions de ses choix sur l’ensemble de sa famille (son père, sa sœur, son fils). De ce portrait de femme plutôt classique (tout quitter par amour), Katell Quillévéré a l’intelligence d’en éviter tous les lieux communs (en s’intéressant non pas à la fugitive mais à ceux qui l’attendent) et fait preuve d’une audace scénique très intéressante. Le récit est, en effet, construit sous forme d’ellipses, les scènes retraçant les instants émotionnellement forts de la famille (L’annonce de la grossesse au père, la découverte de la fuite de Suzanne, la rencontre mère enfant), cette pratique donnant une énergie et un élan incroyable au récit. Le seul petit bémol de cette déconstruction est sans doute le manque d’identification qu’elle induit, ces ruptures constantes ne permettant pas de s’attacher réellement aux personnages. Il n’en reste pas moins que Suzanne est une œuvre d’une grande sensibilité portée par trois acteurs d’exception (Sara Forestier, Adèle Haenel et François Damiens) et qui a le mérite de moderniser un cinéma français de plus en plus uniforme.


Zoom sur… Sara Forestier, actrice lumineuse et surdouée


Révélée en 2004 par Abdellatif Kechiche qui lui confie le rôle principal de L’esquive (et pour lequel elle recevra le césar du meilleur espoir féminin), Sara Forestier n’a pas cessé depuis de surprendre. En effet, son énergie, sa gaieté et sa sensibilité à fleur de peau ont été mis au service d’œuvres toutes plus différentes et pourtant sa beauté solaire irradie chaque fois ses personnages d’un même éclat. Qu’elle joue France Gall (Gainsbourg vie héroïque), l’ingénue militante du Nom des gens ou une combattante torturée (Mes séances de lutte), Sara Forestier instille à ses personnages une telle intensité que chaque rôle semble avoir été conçu pour elle. L’actrice avoue d’ailleurs donner tellement pour incarner la protagoniste d’un long métrage qu’elle en prend les traits de caractère pour un temps (Lors du tournage du Nom des gens, par exemple, elle est sortie nue d’une loge comme son personnage). A seulement 27 ans, elle fait ainsi déjà partie de ses rares actrices dotées à la fois d’un grand talent et d’une force de travail remarquable, de celles qui se donnent à corps perdu dans leur métier, telle Romy Schneider, dont on lui souhaite la même carrière mais un destin plus radieux.

Mélany_Tllet
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le 26 janv. 2015

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