Après l’Adèle d’Abdellatif Kechiche, voici la Suzanne de Katell Quillévéré. Autre portrait de fille qui devient femme, autre portrait d’adolescente en mal de vivre qui s’affirmera à la fin. La vie d'Adèle était un fragment de vie, sur cinq ans. Suzanne est une vie en fragments, sur vingt ans. Une existence en morceaux, par à-coups. Dès le départ, on sent que, même gamine, Suzanne semble vouloir faire ce qu’elle veut, quitte à rater un repas à la cantine pour préférer s’amuser dans la cour de récré. Et puis la voilà mère à 17 ans d’un petit Charlie, puis s’entichant d’une petite frappe à 20, prête à le suivre n’importe où, carrément amoureuse, irréfléchie comme on peut l’être à cet âge des possibles, et tant pis alors s’il faut abandonner enfant, père et sœur derrière soi, constamment désemparés face à ses humeurs, ses sentiments lourds et ses (mauvais) choix.

Tant pis alors s’il faut faire de la prison, tant pis s’il faut briser ce lien si fort avec sa sœur, tant pis s’il faut décevoir son père, tant pis s’il faut accepter que son enfant appelle une autre femme "maman"… On suit ce destin ordinaire et chaotique par blocs, par soustractions, par hors-champs imposants, Quillévéré optant pour une narration tout en ellipses qui escamote des pans entiers de vie pour se concentrer sur ces moments d’entre-deux où les conséquences sont davantage affirmées que les actes. Actes qu’on encaisse ou qu’on devine, et qui fixent les joies, les erreurs et les jalons de sa propre vie qu’il faut recommencer pour embrasser ses origines, les siens (jolie scène où Suzanne s’émerveille de son fils tenant dans ses bras sa petite sœur). Ne plus être une autre, de fond en comble, et affronter enfin ses responsabilités.

Sara Forestier est magnifique (Adèle Haenel également dans le rôle de cette frangine complice et bienveillante), et preuve qu’elle sait l’être sans presque rien dire, sans s’exciter, s’affirmant dans une belle retenue où tout passe par les regards, regards butés, paumés, fragiles, brillants ou affolés (séquence bouleversante au tribunal où ses yeux s’agitent, n’osent pas se poser sur son père et sa sœur). Suzanne est d’abord un film d’acteurs et de scénario, ça se voit, ça se sent, mais qui oublie un peu trop le reste, la mise en scène, les prises de risque, les chemins de traverse… Film typique de cette frange du cinéma français désespérément agrippée à un souci du réel, à cette sacro-sainte "chronique sociale" frôlant parfois la tentation misérabiliste que Suzanne sait éviter de justesse, et qui finalement tourne en rond, se ressasse et se copie elle-même depuis un bout de temps. Un cinéma sans surprise, comme Suzanne. Honorable, mais sans surprise.
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le 23 déc. 2013

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