Suzanne par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Nicolas, chauffeur routier, est père de deux fillettes adorables: Suzanne et Maria. Malheureusement ce papa très attentionné élève seul les enfants car son épouse est décédée. Les filles ont grandi sans problèmes particuliers et tout normalement le moment des sorties et l'approche des garçons a sonné. C'est alors que Suzanne fait la rencontre de Julien. Un beau jour Nicolas est convoqué par une assistante sociale pour lui apprendre que Suzanne qui est alors collégienne est enceinte et a décidé de garder l'enfant. Cette nouvelle provoque la colère de Nicolas mais heureusement la future maman peut compter sur la complicité de sa sœur Maria. Charly va naître mais cela ne va pas empêcher Suzanne de s'enfuir avec Julien qui n'est pas un garçon particulièrement honnête puisque Maria et Nicolas ne reverront la fugueuse que deux ans plus tard dans un tribunal pour un procès concernant une série de graves méfaits commis par le couple. Pendant ce temps Charly est placé dans une famille d'accueil.


Cette histoire est simple et complexe à la fois. C'est tout simplement une avalanche de drames qui va mettre à l'épreuve une famille heureuse après le terrible drame de la maman décédée très jeune. Elle laisse alors un père courageux qui, en plus de son métier prenant, élève seul ses deux filles tout à fait différentes mais très liées. De plus elles sont toutes deux très attachées à ce papa qui donne beaucoup afin de trouver un équilibre familial. On sent une vraie tendresse envers lui de la part de ses deux filles. Malheureusement l'adolescence arrive très vite, plus vite qu'on ne le pense, avec son lot d'insouciance mais aussi parfois de cruauté. Suzanne est moins mature que sa sœur Maria qui lui est d'un soutien actif. La jeune fille manque certainement de repères et la fatalité a voulu que ce soient les bras de Julien qui l'accueillent. C'est vrai qu'il est beau garçon avec son minois sympa, mais lui aussi manque de repères. Il est indépendant ce que Suzanne recherche. Attirée comme une éphémère par la lumière d'un lampadaire, la jeune fille est conquise et amoureuse jusqu'à suivre ce Julien corps et âme, donnant vie à un charmant petit Charly. Il faut bien tenter de vivre dans cette aventure malsaine et Suzanne aspirée, complice, va se retrouver dans un enfer qu'elle va faire subir indirectement à ce qui lui reste de famille. De fugues en fugues, entrecoupées d'éclaircies, elle ne peut se sortir du piège de Julien, certes amoureux mais toujours truand. Ce sera une nouvelle maternité puis le choc le plus terrible qui puisse lui arriver avec le décès accidentel de sa sœur Maria, l'être qu'elle vénérait le plus au monde. Ce soutien disparu va t-il permettre à Suzanne, seule devant ses responsabilités, de devenir enfin adulte et de retrouver sa stabilité? C'est la grande question que pose ce film.


C'est une œuvre émouvante et captivante que nous propose Katell Quillévéré pour son second film. Personnellement je trouve que les problèmes de Suzanne consécutifs à sa situation familiale, aux différents traumatismes subis durant sa jeune existence et à son manque de maturité sont très bien exposés dans cette œuvre. La réalisatrice nous présente la vie tourmentée de cette famille par épisodes ce qui nous offre un film remarquablement bien structuré, nous permettant de suivre de manière très claire l'évolution des différents personnages. La situation tragique dans laquelle se trouve Nicolas et ses filles n'est pas traitée avec complaisance, bien au contraire, l'analyse de Suzanne notamment et de son environnement nous sont soumis avec beaucoup de réalisme et de délicatesse. Ainsi nous suivons l'évolution des deux sœurs depuis leur enfance pour mieux se rendre compte de leurs différences malgré cette osmose qui les unit et force est de constater que Katell Quillévéré nous a construit un film très travaillé tant au niveau psychologique que dramatique. Il a su également tirer une brillante leçon de cette intrigue en nous démontrant que même dans les moments les plus improbables, les plus difficiles de la vie, il peut y avoir parfois une petite lueur d'espoir susceptible de faire apparaître des sourires sur les visages défaits des personnes en grand danger psychologique. Cette belle leçon est portée par l'excellente interprétation de Sara Forestier remarquée notamment dans "L'esquive". Elle nous campe ce personnage de Suzanne, aussi vrai que nature, en adolescente éprise d'amour, de liberté, d'excès et pleine de vie malgré les épreuves subies inconsciemment ou non. Elle se révèle vraiment comme une grande comédienne car ici son rôle n'est pas particulièrement simple. J'ai découvert avec beaucoup de plaisir Adèle Haenel dans le rôle de Maria, actrice pleine de sobriété et de sensibilité, qui se montre très crédible dans son personnage plein de complicité avec sa sœur même dans les instants les plus difficiles. François Damiens incarne avec brio Nicolas, ce père modèle émouvant et harassé par les malheurs qui s'abattent sur lui. Paul Lamy tient très bien le rôle de Julien, le mauvais génie qui entraîne Suzanne dans la tourmente.


J'ai vraiment apprécié ce film qui a tout de même connu un succès assez estimable auprès du public et des critiques. Il est heureux que de telles œuvres arrivent à se frayer une place au milieu de ces supers productions qui envahissent régulièrement nos écrans. Je vous invite donc à voir cette œuvre grave et émouvante que n'aurait certainement pas déjugé un réalisateur comme Maurice Pialat.


Ce film a obtenu :



  • Festival du Film de Cabourg - Journées romantiques 2014 Premier rendez-vous: Paul Hamy

  • César de la Meilleure actrice dans un second rôle pour Adèle Haenel

Grard-Rocher
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le 8 déc. 2014

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