Swallow est un film féministe, c'est évident, le réalisateur le revendique et a même dit qu'il avait grandi dans une famille profondément féministe. Là où le Portrait de la jeune fille en feu l'était également, ce dernier le mettait en réalité au second plan, ou plutôt le diluer dans une forme d'implicite. Swallow est quant à lui bien plus frontal, il s'attaque directement au patriarcat en montrant une jeune femme corsetée qui ne semble pas avoir d'existence propre, la sienne étant comme rattachée à son mari et rien d'autre. Sa seule activité lorsqu'elle attend ce dernier à la maison est de jouer à un jeu sur son téléphone, rien d'autre. C'est donc un personnage volontairement vide qui nous est proposé. La mise en scène sera froide, voire glaciale à l'image de ce personnage qui semble prisonnier en son for intérieur, malgré les couleurs vives qui parcourent le film (surtout le rouge), comme si l'apparence (les couleurs de l'appartement, des vêtements du personnage...) du "tout va bien, nous sommes un couple bourgeois heureux" ne pouvait cacher le drame intérieur que s'apprête à vivre Hunter.


Les premiers moments du film installent Hunter dans le cadre familial (famille qui n'est pas la sienne, elle semble d'ailleurs venir d'une famille bien plus modeste, celle-ci était vendeuse de toilettes avant de trouver ce jeune P-DG dynamique) et posent tout de suite sa condition de future ménagère parfaite. Son beau-père lui coupe la parole sans aucune forme de politesse, son mari semble l'aimer uniquement pour son physique etc. De plus, il est clair que Carlo Mirabella-Davis critique la bourgeoisie, notamment celle qui se complaît dans le patriarcat le plus primaire, mais aussi de manière générale (le beau-père qui pointe du doigt le ventre de Hunter qui dit que l'enfant sera le futur PDG de leur société, Bourdieu rigole au fond de la salle).


Le début du film est à ce titre malheureusement très peu subtil dans la démonstration de ce patriarcat qui soumet la femme, certaines scènes en deviennent presque caricaturales et c'est bien dommage


(à cela est possible d'ajouter le fait que le seul personnage en dehors de la famille et de la psychiatre qui semble vraiment avoir de l'empathie pour Hunter est le réfugié syrien qui est chargé de la surveiller, beaucoup vont probablement se froisser de ce semblant de "bien pensance")


, car plus le film avance et plus le propos s'affine et laisse de la place à l'interprétation, à des métaphores. En effet, il est évident que cette maladie de Pica laisse toute la place qu'il faut à diverses interprétations, et Carlo Mirabella-Davis a très bien compris que résidait presque tout l'intérêt de son film. A ce propos, Haley Bennett interprète très bien son personnage : lorsqu'elle a envie d'avaler un objet, elle n'en fait pas trop ni trop peu, elle semble avoir une relation quasi intime avec l'objet en question, elle le désire profondément, nous le lisons dans ses yeux et ça c'est génial.
Une première interprétation qui me pourrait être la plus pertinente est tout simplement que Hunter est en train de comprendre sa condition de femme-objet, femme-pondeuse (notamment lors de la scène où le beau-père la coupe, la caméra laisse penser qu'elle est en train de réaliser cela), et que c'est à partir de là que lui vient ce désir incompressible de manger des objets ou autre joyeusetés. C'est un plafond de verre qu'elle brise, c'est une forme de rébellion qu'elle opère (elle se cache souvent pour avaler ces objets, elle semble heureuse car elle fait une nouvelle chose comme lui conseillait un livre de développement personnel certainement tout pourri qu'on lui prête pour gérer mentalement sa grossesse). Elle semble trouver un certain refuge dans le fait d'ingérer ces objets : à mesure que la pression augmente sur elle (celle de son mari, de sa belle-famille), son désir de manger un objet augmente proportionnellement.
Proportionnellement en effet car il y a un effet boule de neige, plus le film avance, plus Hunter se rebelle, pour finir par vouloir réellement prendre le contrôle de la situation dans un dernier quart heure de film émotionnellement intense.


Petite anecdote pour finir en beauté : à la fin du tournage, l'équipe du film a appris que l'actrice était enceinte, et à un stade proche de celui de son personnage dans le film.

Seingalt
5
Écrit par

Créée

le 16 janv. 2020

Critique lue 1.3K fois

8 j'aime

Seingalt

Écrit par

Critique lue 1.3K fois

8

D'autres avis sur Swallow

Swallow
Electron
7

Pica… chu(t)

Hunter (la délicieuse Haley Bennett) est la charmante épouse de Richie (Austin Stowell). En ouverture du film (voir la bande-annonce), son père (David Rasche) annonce au cours d’un dîner que Richie...

le 25 janv. 2020

28 j'aime

2

Swallow
GadreauJean-Luc
9

Swallow... délicieusement bouleversant

Une petite pépite étrange et bouleversante sort ce mercredi 15 janvier après un très bel accueil dans plusieurs festivals, dont le Festival de Deauville qui lui a offert un prix spécial du Jury...

le 14 janv. 2020

19 j'aime

2

Swallow
mymp
7

Gorge profonde

Cela s’appelle le pica, pathologie caractérisée par une altération du comportement alimentaire avec ingestion de substances ou d’objets non comestibles. Avec, évidemment, des conséquences directes...

Par

le 17 janv. 2020

18 j'aime

4

Du même critique

Soul
Seingalt
4

Réchauffé au four à micro-ondes

L'exposition qui va à une vitesse folle, l'impression de voir le scénario s'écrire sous mes yeux tellement tout coche les cases du scénario classique d'un film d'animation. Le personnage principal...

le 25 déc. 2020

33 j'aime

9

Titane
Seingalt
4

Le naufrage du Titane

Dans une dimension parallèle, Titane est un film sublimement chaotique. Ici et là, de savoureuses bribes laissent entrevoir une vision profondément originale et jouissive du cinéma selon Ducournau...

le 14 juil. 2021

26 j'aime

5

Le Diable, tout le temps
Seingalt
6

He felt lucky that someone was giving him a ride

Le Diable, tout le temps, c'est une multiplicité de personnages dont les destins violents s'entrecroisent. La violence, la vengeance et la religion sont les dénominateurs communs à toutes ces pauvres...

le 17 sept. 2020

26 j'aime