Ne trouvez-vous pas qu’il y a quelque-chose de légèrement interpellant dans ce « Swallow » ?
Parce qu’au fond, pour un film qui entend nous faire partager l’enfer quotidien d’une jeune-femme captive de sa prison dorée, moi je suis pas mal surpris par les signaux qu’il nous renvoie. Des signaux appelant à un tout autre genre que le simple drame social.


Déjà ce titre : « Swallow ».
« Avale… »
J’ai l’impression d’être à mi-chemin entre le cinéma d’horreur et le cinéma porno.
L’affiche elle-aussi entretient cette drôle d’ambigüité. Une femme douce et délicate baignée d’une lumière rose d’un côté, mais d’un autre côté ce regard inquiet qui lorgne vers le hors-champ.
Me concernant en tout cas, tout à participé pour que je sois interpellé par ce film.
Titre. Affiche. Bande-annonce. Même le début du film en lui-même…
Or pour moi, c’est incontestablement la première force de ce « Swallow. »
Autour d’une intrigue aux allures ordinaires, il est parvenu à générer chez moi une posture singulière.


C’est que « Swallow » dispose selon moi clairement de deux qualités.
Il est d’abord un cinéma qui sait exacerber les sens.
Il est ensuite un cinéma qui parvient à surfer sur la brèche, entretenant toujours un certain malaise.


Cinéma des sens d’abord car – comme chacun aura pu le voir ne serait-ce que dans la bande-annonce – « Swallow » est un film assez rigoureux et élégant tout aussi bien dans sa plastique que dans son atmosphère sonore.
Lignes claires. Teintes harmonieuses. Et malgré cela toujours un élément qui vient rompre l’équilibre : une robe ou un rouge-à-lèvres trop vifs, un phrasé trop pincé, un bruit parasite qui finit par trop s’imposer dans l’espace.
Clairement, il y a toujours quelque-chose qui cloche dans ce joli paradis bourgeois.
La maison a beau être grande et confortable. L’homme a beau être charmant sous toutes ses coutures. Tout ce monde pue le fake. Il semble totalement artificiel. Malaisant. Etouffant.
Aussi n’a-t-on pas besoin de nous expliquer ce qui cloche dans le quotidien de cette pauvre Hunter car ce qui cloche, au fond, on le ressent déjà.


Mais ce « Swallow », c’est aussi du cinéma qui surfe sur la brèche.
Des actes étranges et difficilement explicables de Hunter au comportement de plus en plus oppressif de son entourage, le malaise n’est jamais loin.
Et si l’espace d’un instant j’ai craint que le film ne sache suffisamment se renouveler pour éviter l’enlisement, le développement de l’intrigue a fini par me rassurer sur ce point-là.
Petit à petit la prison se referme, révèle de nouveaux barreaux insidieux, transforme le palais en donjon et le prince en crapaud.
Pourtant, c’est dans cette manière d’évoluer que ce « Swallow » a fini par me diviser.


D’un côté je salue l’initiative qui a consisté à creuser sans cesse davantage le parcours de Hunter, au point de signifier de plus en plus clairement ce qu’implique pour elle le fait d’avaler, d’ingérer, voire même carrément de s’auto-pénétrer et de s’auto-lacérer. De l’autre côté, je n’ai pu m’empêcher de voir dans cette résolution une certaine simplification des choses, pour ne pas dire pire encore.


Par exemple voir Richie se transformer en bête sanguinaire qui ne pense plus qu’à pourchasser sa femme pour récupérer l’enfant qu’elle porte, c’est certes signifiant et assez essentiel pour la démonstration du film, et pourtant j’ai quand même trouvé ça too much. Richie était pour moi bien plus flippant quand il était ce prince charmant froid, calculateur et manipulateur.


Et même chose finalement pour la rencontre avec Erwin. D’un côté je trouve très intéressant de montrer qu’Erwin, au-delà d’être violeur, est aussi un papa et un époux plutôt sympa. Par contre, son discours – aussi utile pour l’intrigue soit-il – est aussi pour moi trop limpide, évident, démonstratif. Et chez moi c’est passé sans passer.


Ainsi suis-je ressorti de ce film sur un sentiment partagé.
D’un côté je venais de passer un vrai bon moment de cinéma face à un film qui a su me faire une proposition suffisamment singulière et inspirée pour qu’elle me parle.
De l’autre, je me suis senti bridé par un caractère légèrement trop démonstratif sur le final, au point que ça m’a laissé une certaine amertume dans la bouche.


Malgré tout, reste cette évidence : « Swallow » n’est pas un film anodin.
Et à mon sens, ce n’est pas un hasard s’il a su m’intriguer à ce point avant même que je ne le voie.
Donc à vous de vous faire votre idée mais moi, j’apprécie toujours que, dans le cinéma d’aujourd’hui, un film sache encore réussir cet exploit de plus en plus rare.
Celui d’intriguer.
Celui de surfer sur la brèche.
Voire, tout simplement, celui de faire tout simplement une vraie proposition de cinéma.

lhomme-grenouille
6

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Créée

le 18 janv. 2020

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