Parmi les sorties de ce début d’année figurait ce film réalisé par un jeune cinéaste, Carlo Mirabella-Davis. Swallow, un film intrigant, récompensé à Deauville, et aujourd’hui dans nos salles, pour une surprise intéressante à la clé.


Richie et Hunter, le couple parfait, jeunes, beaux, riches, vivant dans une superbe villa en banlieue, remplissant tous les critères de ce que nous pourrions définir comme étant le succès tel qu’il est conçu dans notre société. Lui vient d’être nommé directeur de son entreprise, est accaparé par son travail, pendant qu’elle tue le temps en restant à la maison toute la journée. Swallow met alors rapidement en lumière les fragilités de ce couple en apparence irréprochable, dont la perfection semble de plus en plus être basée sur des artifices. Des sentiments, il y en a certainement, mais la société, ses principes, et ses préjugés, va les mettre à mal en faisant de Hunter sa cible privilégiée.


Si le message véhiculé par Swallow est clair, le film avance progressivement pour isoler Hunter toujours un peu plus des autres personnages. Lorsqu’elle prépare un dîner qu’elle partage à son mari, celui-ci la délaisse pour répondre à un e-mail en lien avec son travail. Lorsqu’elle dîne avec son mari et ses beaux-parents, et qu’elle commence à raconter une anecdote, son beau-père se met soudainement à changer le sujet de la conversation. Pas de crédit pour la jeune femme au foyer, dont on n’est heureux pour elle que lorsqu’elle annonce qu’elle est enceinte. En dressant ce portrait de femme docile réduite à ses fonctions reproductrices, Carlo Mirabella-Davis prépare le terreau de sa critique envers une société patriarcale qui n’écoute que trop peu les femmes, leur accordant peu de crédit et, surtout, ne les comprenant pas.


Pour représenter la perte de contrôle de l’isolement d’Hunter, le cinéaste invoque le Pica, un trouble alimentaire qui pousse les personnes touchées à ingérer divers objets souvent non-comestibles. Cette pathologie est incomprise par l’entourage d’Hunter, qui cherche à la surveiller 24h/24, à lui prodiguer des remèdes qui n’en sont pas, l’infantilisant pour mieux se préoccuper du succès du fils prodigue. L’évolution de cette pathologie permet à la fois de montrer à quel point l’entourage d’Hunter est incapable de la comprendre, mais elle questionne également le spectateur lui-même. Comment ne pas être frappé par le comportement d’Hunter ? Comment ne pas le trouver « étrange » ? C’est alors que, le parti pris de Swallow étant clairement de nous mettre du côté d’Hunter, nous ravalons (sans mauvais jeu de mots) nos a priori pour renvoyer cet étrangeté vers les autres personnages.


Un soir, alors que le mari d’Hunter rentre à la maison, alcoolisé, avec des collègues, l’un d’entre eux vient voir Hunter pour lui demander un câlin car il se sent seul. En parallèle de la position difficile d’Hunter dans une société patriarcale qui veut choisir son destin à sa place, Swallow cherche également à illustrer un monde aliéné, déconnecté des réalités. Ce même monde qui maintient ces vieux principes sous couvert d’une forme de sophistication, rendant alors ce discours directif vis-à-vis des femmes encore plus absurde qu’il ne l’était déjà. En n’hésitant pas à appuyer certains clichés, et en nourrissant une ambiance relativement malsaine, Swallow cherche également à teinter sa dramaturgie d’absurdité, pour mieux illustrer le grotesque de la situation.


Le discours véhiculé par Swallow est limpide, et s’il se transmet bien au spectateur, c’est également grâce au travail effectué sur la forme, qui surprend par sa qualité, en tant que premier long-métrage. Privilégiant les plans fixes, il se concentre sur l’essentiel, s’agrémentant par ailleurs d’une ambiance sonore et visuelle permettant le développement de ce climat associant sophistication et étrangeté, imagerie viscérale et imagerie plus « technologique ». C’est un film très soigné, qui laisse la place à Haley Bennett pour s’exprimer et construire son personnage. Swallow réussit à tenir et à véhiculer un discours engagé et qu’il est important d’adresser tout en étant de bonne qualité d’un point de vue cinématographique. En effet, s’il présente déjà de belles qualités, il fait aussi figure de très bonne promesse pour la suite de la carrière du jeune cinéaste. Une belle surprise.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 28 janv. 2020

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