Quand Tim Burton n'est plus que Tim Burton
Qu'est-ce qu'il y a de pire qu'une comédie musicale ? Une comédie musicale où les chansons sont majoritairement éprouvantes à écouter, voire franchement repoussantes.
C'était donc mal barré pour Sweeney Todd, dont je ne prendrai ni n'écouterai jamais la BO.
Pourtant, cette tragédie musicale a un vrai grain transgressif, un mauvais goût et un goût pour le malsain qui emporte la mise entre deux hauts-le-coeur, et elle ne se prend jamais les pieds dans le tapis de la rédemption.
Les héros blonds, les amants qui chantent des thèmes superbement ringards (réjouissants moments de second degré dans cette machine noire gothique) ne sont pas des axes d'échappatoires mais des à-côtés désuets, surannés.
Tout se joue en vérité dans les bas-fonds, avec cette fausse vengeance (une vengeance d'habitude se concentre sur les salopards qui l'ont inspiré, causant au pire quelques dommages collatéraux; ici, c'est de l'assassinat de masse sans considération pour qui se trouve sous la lame, parfois sans même un regard avant d'éjecter le cadavre à la cave et au four) qui ne laisse rien debout. On bouffe même les corps, sans le savoir, dans des tourtes qui cartonnent. C'est magnifique de noirceur, grahiquement éblouissant, parce que Burton ne cherche pour une fois jamais à sauver sa morbidité d'un trait de poésie salvatrice. Dégueulasse de bout en bout, point barre. Donc, véritablement barré, pas juste sur les bords, non, viscéralement.
Résultat : avec Ed Wood, le meilleur film de Tim Burton.
Les chansons valent par leur mise en scène débridée, toujours réinventée, et par la voix (on lui découvre ici ce talent, qu'il s'est découvert ici également paraît-il) de Johnny Depp. Parlons-en de Johnny Depp. Dans ce rôle, il n'esquisse rien, il ne se réfugie pas dans ces échappés de second degré ou de distanciation (qu'il maîtrise à merveille, au demeurant), il est impliqué jusqu'aux tréfonds. Il habite ce personnage dans le tourment insondable et assume son apparence grandiose (Burton a dans d'autres films légèrement tendance à faire le chemin inverse en le grimant "extrême" d'abord avant de le faire plonger dans son rôle).
Alan Rickman est inquiétant et perturbant à souhait, mais que voulez-vous, c'est Alan Rickman.
Un coup de chapeau à Helena Bonham Carter, toujours aussi dégommée mais sans cette facilité à tirer sur la corde cabotinage, comme elle peut le faire ailleurs. Ici, c'est avec sa retenue qu'elle est bizarre, avec son "romantisme" qu'elle inquiète. Ce n'était pas gagné d'avance, d'exister si joliment au côté d'un rôle et d'un interprète (en état de grâce) pareils, mais sa partie à elle réserve également des sombres surprises.