Qu’il est difficile de ne pas évoquer Old Boy quand il est question de Park Chan-wook, figure éminente du cinéma sud-coréen de ces dernières années : mais outre son statut d’adaptation culte, ce long-métrage s’insère surtout au sein d’un tryptique partageant la vengeance en tant que socle commun. Une trilogie initiée par l’entremise de Sympathy for Mr. Vengeance, qui par-delà son titre on ne peut plus évocateur en dit finalement long sur les intentions du cinéaste : de drôles d’oiseaux en tant que protagonistes, un récit sans concession saupoudré d’une atmosphère dérangeante... expérience coup de poing garantie ?


Découvrant voilà peu cet opus « fondateur », voici que mes convictions s’effondrent : le fait est que ce dernier s’apparente finalement à une drôle d’épreuve, pour ne pas dire carrément désagréable tant les destins croisés de Ryu et Dong-jin font montre d’une écriture balourde à l’envie. Subjugué par la verve viscérale de Old Boy il y a de cela huit ans, j’en viens ainsi à m’interroger sur les fondements de sa réussite et plus globalement des prétentions de Park Chan-wook... il va donc sans dire qu’une petite réactualisation des tribulations de Oh Dae-su me permettra d’y voir plus clair.


Mais revenons-en à l’échec désappointant qu’est son aîné, coupable de grossir le trait de façon crescendo : car si son introduction table sur une morne dynamique, pourvoyeuse idéale d’un climat d’emblée accablant, la descente aux enfers s’ensuivant va contaminer l’entièreté des strates du récit, qu’il s’agisse des actions et devenirs de ses infortunés personnages, de son message explicitement pessimiste ou encore du méthodisme d’une réalisation glaciale. Dans une veine moins dommageable, faire de Ryu un sourd-muet soulignait un choix fort et un potentiel de mise en scène originale : il subsiste à ce titre ci et là quelques bonnes idées à l’image du traitement du son, aussi bien révélateur que trompeur, mais qu’il est regrettable que Park Chan-wook s’en tienne à un académisme étriqué pour le reste (les cartons figés pour ne citer qu’eux).


À présent, le fait est que tout s’imbrique de telle manière à servir au « mieux » une intrigue poisseuse, noire et cruelle : un jusqu’au-boutisme malheureusement artificiel tant Sympathy for Mr. Vengeance va user d’une pléiade de grosses ficelles pour parvenir à ses fins. Et pour cela, tous les moyens sont bons : intelligence et stupidité fluctuantes des pauvres hères à l’œuvre, humanité en berne et tonalité régressive acide, sadisme soudain et désespoir ambiant, clous morbides et mortuaires en guise de rebondissements... tout y passe, au point d’ailleurs de saper sa propre cohérence ou du moins notre suspension consentie de l’incrédulité : le meurtre de sang-froid du livreur est à ce titre des plus parlants.


Nous pourrions cependant attribuer ce piètre constat à une simple affaire de goût, mais il s’avère dans le même temps que le long-métrage n’a pas grand chose à proposer en dehors de sa nature impitoyable : pire encore, sa narration est dans le même temps aussi confuse que « m’as-tu vu », la faute à des ressorts tantôt peu lisibles (le kidnapping de la fille de qui ?), tantôt exagérés. L’annonce du décès du môme sauvé par Dong-jin en est un bon condensé, non content de servir de prémices à un dénouement n’illustrant que trop bien l’apparente prétention d’une intrigue en faisant trop : si nous n’avions pas pris au sérieux les menaces proférées par une Yeong-mi Cha mise au supplice, le film parvient à se tirer une balle dans le pied en gâchant un coup de théâtre savoureusement ironique.


Car étant à même de remettre une fois de plus en perspective la nature implacable et cyclique du concept de vengeance (convenons qu’il a ça pour lui), le simple fait que la narration nous rabâche dans un dernier souffle les paroles de la susnommée anéantit tout le mordant de la séquence... tout en accroissant cette désagréable impression que, peut-être, Sympathy for Mr. Vengeance nous prendrait pour des idiots. Au même titre que ses protagonistes, pour qui il n’aurait finalement guère de considération ? Pas impossible.


Reste de bonnes interprétations (voire excellentes), une imagerie probante et un semblant de satire sur fond de lutte des classes (occultée en grande partie) : un maigre lot de consolation dans pareil marasme.

NiERONiMO
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le 12 nov. 2019

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