Jeff Nichols fait partie de ces quelques cinéastes américains contemporains à s’être imposé dans le registre du cinéma d’auteur ces dernières années. Ma première rencontre avec le cinéaste avait eu lieu avec Midnight Special, drame tendant vers le thriller et la science-fiction. Une découverte concluante, avant de retrouver, assez longtemps après, Jeff Nichols avec Take Shelter, le film qui l’a révélé et qui lui a permis d’obtenir une reconnaissance internationale.


À une époque où tout va très vite, il est toujours agréable de voir un film qui sait prendre son temps. Take Shelter prend son temps pour poser ses problématiques, pour familiariser le spectateur avec ses personnages et le contexte dans lequel se déroule le film. Nichols choisit de délayer lentement son intrigue, en racontant le quotidien de cette famille américaine, pour y imbriquer, petit à petit, des éléments de mystère ou qui posent au moins question. C’est ce qui permet à Nichols de mettre en place un processus d’identification vis-à-vis des personnages, mais qui permet aussi d’ancrer son récit dans une réalité palpable et identifiable, avant d’y intégrer des éléments de fantastique. En effet, le personnage de Curtis (joué par Michael Shannon) est un homme ordinaire, mais il est torturé en son for intérieur, étant en proie à des visions de catastrophe, de tempêtes monstrueuses qui le menacent lui et sa famille.


Le comportement du personnage de Curtis, et cette représentation d’un quotidien de famille banal, créent un décalage, mettant rapidement Curtis en marge de son monde alors qu’il est au cœur de ce même monde. Le spectateur, lui, s’interroge sur la nature de ces catastrophes, qui semblent d’abord anodines, avec de gros orages qui grondent au loin, pour progresser vers des scènes de destruction bien plus violentes et inouïes. Ce qui semblait de prime abord être une menace extérieure se mue alors en une menace intérieure. Curtis est-il fou ? Pourquoi a-t-il ces visions ? S’agit-il du fruit d’une maladie ou d’un traumatisme ? Il est possible de répondre à toutes ces questions par l’affirmative. En réalité, Take Shelter se présente comme un récit intimiste, au discours universel, invoquant l’immense, des forces qui nous dépassent, pour revenir à l’essentiel et à l’intime.


Il n’y a pas forcément besoin de savoir que la paternité de Jeff Nichols a servi de base au scénario de Take Shelter pour se rendre compte que le film s’intéresse notamment à la paternité et à la capacité à faire face à ses propres responsabilités, ainsi qu’à la capacité à trouver sa place dans la société et dans le monde. Il est intéressant de voir, ici, comment Jeff Nichols a puisé des éléments ayant attrait au film catastrophe pour invoquer une symbolique éloquente, et pour raconter sa propre expérience. C’est l’une des grandes richesses du cinéma, qui permet de partir d’un postulat simple pour ensuite délayer un scénario dans une intrigue pouvant prendre un nombre quasiment infini de formes. L’orage, les tempêtes, les forces de la nature, font partie de ces choses qui effraient les Hommes depuis les origines de l’humanité, les dépassant et les ramenant à une échelle minuscule. Et ce lien avec nos origines contribue également à l’universalité du propos évoqué par Jeff Nichols au sujet de la famille et de la paternité.


Take Shelter fait partie de ces films qu’il faut laisser décanter pour prendre conscience de sa dimension. Sa lenteur certaine peut rebuter, mais elle est nécessaire. C’est un film qui reste en tête longtemps après l’avoir vu, notamment grâce à une fin très réussie, mais je n’en dirai pas plus. Take Shelter convainc autant sur le fond que sur la forme, posant de bonnes questions et en leur offrant des réponses intelligentes. Si le tonnerre gronde, gagnez votre abri, mais n’en devenez pas prisonniers.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 27 oct. 2019

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