De l'utilisation parcimonieuse de l'ail de Garrone en pâtisserie

La pâtisserie, quand on veut bien la faire, est avant tout une question de dosage et de mesure. On a beau parfois utiliser les meilleurs ingrédients du monde, si on ne suit pas la recette ou si on verse les éléments dans le saladier sans respecter les proportions, le délicieux gâteau se transformera en truc raté, qui peut parfois être bon, mais qui ne pourra en aucun cas être servi sur une table réputée. C'est dans ce piège qu'est tombé Matteo Garrone dans son adaptation à l'écran de Giambattista Basile.


Le réalisateur avait pourtant tous les bons ingrédients sur son plan de travail : la farine du conte, le sucre du merveilleux, le beurre de ses décors fastueux, le chocolat de son bestiaire malheureusement sous-exploité, et sa touche secrète, l'ail de sa mise en scène devant laquelle se pâme une certaine critique, celle qui pense et qui rit. Sauf que la pâtisserie, sous ses airs d'après midi quatre-quarts récréatifs dans la cuisine de maman, bah, c'est pas donné à tout le monde de la réussir. Car Garrone, il perd en route, tout simplement, l'esprit du genre qu'il aborde. Certes, il en résulte, par instants, dans une impression tenace, un beau livre d'images avec certains de ses décors chargés et de ses costumes magnifiques. Mais son conte des contes se montre étrangement creux et chiche de tout ce qui en fait le charme : l'ambiguité, faussement annoncée via le personnage de Vincent Cassel, la métaphore, le merveilleux. Celui-ci pointe souvent aux abonnés absents. Et les rares fois où il apparaît à l'écran, c'est pour servir d'alibi et s'évaporer presque aussitôt, comme la chaleur du four qui se dissipe quand on ouvre sa porte pour surveiller la cuisson de son gâteau.


Le spectateur a ainsi le sentiment d'une oeuvre, finalement, terriblement terre à terre, filmée sans grande finesse, comme une pâtisserie trop cuite dont on aurait réduit la teneur des éléments qui en font tout le goût et toute la saveur. Le scénario se trouve ainsi être très premier degré, le rythme assez lent. Tant et si bien qu'on se demande pendant longtemps où Garrone veut nous emmener et ce qu'il veut nous dire. Jusqu'à ce qu'un nécromancien, qui aurait pu faire office de narrateur et donner un peu de liant, nous énonce à plusieurs reprises que le désir ne peut que se satisfaire dans la violence et/ou la séparation.


Si le final renoue un peu tard avec le genre du conte dans son irruption de violence relative, Garrone arrive à perdre quelques personnages en route, dont on se demande ce qu'ils deviennent au sein de l'histoire et de ce que le réalisateur veut raconter. Le goût de ce film étonne, la pâtisserie concoctée par le cuistot italien se révélant plus salée que sucrée, relevée d'une saveur d'ail étrange et mal adaptée, qui démontre que ce Tale of Tales ne fera pas de Matteo Garrone le prochain grand pâtissier.


Behind_the_Mask, qui aime bien tremper son doigt dans la pâte.

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le 27 juil. 2015

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Behind_the_Mask

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