Tant qu'on a la santé, troisième long métrage d'une courte filmographie de cinq longs et plusieurs courts essentiellement tournés et écrits avec son complice Jean-Claude Carrière dans les années 1960, fait suite au remarqué Yoyo, primé lors du Festival de Cannes de 1965. Film sorti initialement en 1966, le cinéaste remonta une nouvelle version définitive cinq années plus tard. En 2010, après des années de procédures judiciaires et deux décennies d'invisibilité, l'auteur retrouva finalement les droits sur son œuvre cinématographique. Ses films, désormais restaurés, pouvaient à nouveau être diffusés au plus grand nombre.


Tant qu'on a la santé est scindé en quatre parties indépendantes intitulées : Insomnie, Le cinématographe, Tant qu'on a la santé et Nous n'irons plus aux bois. Le court métrage Insomnie, tourné à l'origine en 1962 fut en fait inclus dans la nouvelle version de 1971, tandis que la séquence originelle prénommé En pleine forme est ressortie en 2010. Divertissement intemporel en quatre tableaux distincts, ce dernier se distingue par son comique visuel, hommage éternel aux rois du burlesque qu'étaient Buster Keaton ou le français Max Linder.


A l'exception du premier segment filmé pour moitié en couleur, les trois autres ont été tournés entièrement en noir et blanc. De même, si la forme le différencie de la suite du métrage, Insomnie s'en détache également sur le fond. L'ancien assistant de Jacques Tati y narre les mésaventures d'un insomniaque qui lit un roman de vampires dans l'espoir paradoxal de trouver dans l'effroi un vecteur du sommeil. Le personnage principal, joué par le cinéaste lui-même, laisse libre cours, à mesure de sa lecture, à son imagination jusqu'à confondre et à mêler la réalité à la fiction. Si cette mise en bouche apparaît après visionnage décalée du reste, Étaix et Carrière jouent néanmoins magistralement avec les codes du cinéma d'horreur (du Dracula de Tod Browning au Cauchemar de Dracula de Terence Fisher) en dépassant le simple cadre de la parodie.


Le cinématographe, Tant qu'on a la santé et Nous n'irons plus aux bois s'inscrivent plus, sinon dans la critique, du moins dans la douce satire des travers des contemporains de l'époque, en particulier la classe moyenne, fruit chéri des Trente Glorieuses. La société des loisirs incarnée un premier temps par la salle de cinéma et ses usagers, et la société de consommation symbolisée par sa myriade de nouveaux produits aussi farfelues que révolutionnaires, des lunettes invisibles à la bombe universelle, deviennent la cible de cet ironique deuxième chapitre. Entre ses déboires pour trouver une place disponible dans une salle bondée, et ses amis férus de modernité, le personnage d'Étaix n'aura d'autre choix que de trouver une sortie radicale pour échapper à ce monde qui lui échappe.


Segment qui donne son nom au film, Tant qu'on a la santé est sans doute celui qui se rapproche le plus de Tati, avec en ligne de mire l'ambitieux Playtime (1967). Cette fable sur la vie citadine avec son lot de désagréments (surpopulation, pollution, bruit et embouteillage) a comme fil conducteur un médecin au bord du surmenage. Prescrivant à tour de bras des traitements contre le stress dont il devrait être le premier bénéficiaire, cet avant dernier chapitre sert de transition idéale à la conclusion Nous n'irons plus aux bois. Quittant la promiscuité urbaine pour le grand air des campagnes, à l'image du couple venu profiter de cet espace champêtre pour pique-niquer, cet éloignement momentané se fera cependant au détriment de la quiétude de l'autochtone. Quand l'homme devient un élément perturbateur et générateur de réaction en chaîne catastrophique, et sans doute la partie la plus proche de l'humour des maîtres du slapstick.


Artiste aux multiples talents, Pierre Étaix livre dans ce troisième film un divertissement complet. Sa puissance comique et son amour du jeu trouve de nouveau un allié de choix en la personne de Jean-Claude Carrière, la poésie burlesque du premier s'associant à merveille avec la précision et le don d'observation du second.


Fortement conseillé.


http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2013/11/tant-quon-la-sante-pierre-etaix-1966.html

Claire-Magenta
9
Écrit par

Créée

le 25 déc. 2013

Critique lue 337 fois

2 j'aime

Claire Magenta

Écrit par

Critique lue 337 fois

2

D'autres avis sur Tant qu'on a la santé

Tant qu'on a la santé
Garcia
5

Critique de Tant qu'on a la santé par Garcia

Peut-être n'est-ce pas mon type d'humour. En tout cas j'ai trouvé les gags de Tant qu'on a la santé vraiment très lourds. En plus d'être franchement éculés et relativement puérils, quand les gags...

le 30 avr. 2012

6 j'aime

Tant qu'on a la santé
Boubakar
8

Montée en puissance.

"Tant qu'on a la santé" représente quatre courts-métrages, tous basés sur l'absurdité des gens dans les années 60, que ce soit dans la ville, ou la campagne, dans une salle de cinéma, voire dans les...

le 19 déc. 2011

4 j'aime

Tant qu'on a la santé
Claire-Magenta
9

Critique de Tant qu'on a la santé par Claire Magenta

Tant qu'on a la santé, troisième long métrage d'une courte filmographie de cinq longs et plusieurs courts essentiellement tournés et écrits avec son complice Jean-Claude Carrière dans les années...

le 25 déc. 2013

2 j'aime

Du même critique

Low
Claire-Magenta
10

En direct de RCA

— Si nous sommes réunis aujourd’hui messieurs, c’est pour répondre à une question, non moins cruciale, tout du moins déterminante quant à la crédibilité de notre établissement: comment va -t-on...

le 7 mai 2014

20 j'aime

8

Sextant
Claire-Magenta
9

Critique de Sextant par Claire Magenta

La règle générale voudrait qu'un artiste nouvellement signé sur un label, une major qui plus est, n'enregistre pas en guise de premier disque contractuel son album le plus expérimental. C'est...

le 28 juil. 2014

18 j'aime

Y aura t-il de la neige à Noël ?
Claire-Magenta
8

Critique de Y aura t-il de la neige à Noël ? par Claire Magenta

Prix Louis Delluc 1996, le premier film de Sandrine Veysset, Y'aura t'il de la neige à Noël ?, fit figure d'OFNI lors de sa sortie en décembre de la même année. Produit par Humbert Balsan, ce long...

le 19 déc. 2015

16 j'aime

1