Tarnation
7.2
Tarnation

Film de Jonathan Caouette (2004)

Quand les premières images et les premières coupures surviennent devant nos yeux, on ne peut qu’être intrigué par ce spectacle qui est en train de se dérouler devant nous. Un texte vient ensuite nous raconter l’histoire d’une famille made in USA avec en fond une musique country toute mignonne et tout est beau, de quoi encore plus nous déconcerter surtout quand le texte qui suit parle d’hospitalisation, d’électrochocs (on peut aussi qualifier ça comme l’histoire d’une famille made in USA) et encore avec cette musique country toute mignonne. Dès lors, on sait que Tarnation va déstabiliser, créer des chocs et surtout des ruptures.

Si le synopsis du film se focalise sur la vie de Jonathan Caouette, c’est avant tout de la mère (Renée) dont il va être question durant tout ce long-métrage. Cette mère, à la vie des plus atypiques, représente le noyau du film, c’est par lui qu’on commence et qu’on finit, et c’est autour de lui qu’on va graviter durant tout le long de ce métrage. Que sait-on d’abord ? Elle est belle, très belle même si bien qu’elle est en voie pour devenir mannequin professionnel, et les photos sont là pour nous le montrer, mais à la suite d’une mauvaise chute du haut de son toit, ses parents décident, sans véritable raison valable, de lui faire subir des électrochocs. Les séquelles la marqueront à jamais et elle n’a que 13 ans.

13 ans et déjà le début d’une existence de merde qui sera par la suite partagée par son fils, ce fameux Jonathan. Et il nous parle ce Jonathan, et ce dès ses 11 ans où on le voit imiter une mère de famille américaine typique des années 1960 avec un mari alcoolique qui rentre tard et qui la bat. Ce qui est le plus troublant dans cette interprétation, c’est qu’on a l’impression que ce petit garçon a déjà vécu cette histoire tant l’interprétation est convaincante, et tant son passé qu’on connaît déjà vient déranger notre vision de la scène. À 13 ans il se sait homosexuel, et décide de tenter toutes sortes d’expériences en allant dans des clubs gays (en se déguisant en femme punk pour y aller) ou en testant toutes sortes de drogues, dont certaines ayant de graves effets sur lui. Oui la jeunesse se sent, et même si on n’a clairement pas eu la même enfance (il est vrai qu’à 13 ans mes connaissances en chimie étaient moins accrues que ce garçon) on ne peut qu’admirer ses paroles lâchées en l’air comme un cri à l’aide, un cri d’un garçon qui n’arrive pas vraiment à se trouver et qui décide de tester ses limites. Les limites justement c’est ce que le Jonathan Caouette de 30 ans décide d’explorer avec celles du montage, en hésitant pas à mettre des split-screens, des effets de déformation de l’image en brûlant la pellicule ou bien en la saturant à fond.

Là est toute la magie de ce film. En réalisant le montage de sa propre vie, Jonathan Caouette essaie de revivre ces moments à travers le prisme d’une table de montage. Les images sont déjà prises donc ce qui est fait est fait, mais comment faire ressentir au spectateur toute la subversion qu’a représenté les 25-30 années de sa vie ? En l’écrivant à l’aide des images, en créant un bazar visuel qui trouve toujours une justification et qui sublime ce qui est montré.

Pourtant quand le film se termine on n’est pas révolté ou pris d’une soudaine envie de se rebeller contre la société. Non quand le film se termine avec au générique une musique mêlant guitare et piano très calme, on a juste envie de ne pas bouger et de contempler ce qu’on vient de voir. Ce film est humaniste mais ce n’est pas une leçon d’humanisme car il n’est en rien moralisateur, il va montrer les défauts de tous les personnages et va juste montrer simplement une vie d’un homme qui aime sa mère et tente de la connaître un peu plus. Et nous aussi en fin de comptes on l’aime sa mère, car on comprend son histoire, et on est attristé de voir son état proche de la folie quand elle ne fait que rigoler sur une chanson parlant de citrouille. Mais c’est dans ce rire qu’on sent comme une gêne chez elle, comme si, finalement, une partie d’elle se rendait compte de ce qui lui était arrivé mais voyait qu’elle ne pouvait rien faire. C’est ce que Jonathan Caouette voit, et dans cette scène aussi sublime que tragique il la laisse chanter, continue de la filmer puis la suit en l’empêchant alors de s’enfuir. C’est avec la caméra qu’il est le plus actif sur le moment et il le sait, et c’est avec ses coupures au montages qu’il nous bouleverse au plus haut point.

Merci Jonathan pour ce pur moment de cinéma, des visionnages comme celui-ci sont rares et font toute la richesse de cet art en qui chacun y voit ce qu’il veut ou peut, mais y voit surtout un peu de soi.

NocturneIndien
9
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le 3 mai 2020

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