Années 70.Travis Bickle,ancien marine qui a fait la guerre du Vietnam,traînasse à New York et prend un boulot de taxi de nuit.Le mec n'est pas très équilibré et ce job ne va pas l'arranger."Taxi driver",Palme d'Or à Cannes en 76,est considéré comme le premier grand film de Martin Scorsese,même si "Mean streets",sorti trois ans plus tôt,était déjà impressionnant.Mais l'oeuvre est tout autant celle du scénariste Paul Schrader,qui passera deux ans plus tard à la réalisation.Techniquement,toute la science du cadrage,de la mise en scène et de l'installation d'ambiance de Scorsese est déjà présente.Il choisit d'enfermer ses personnages dans des cadres assez étroits qui reflètent leurs limites mentales et sociales.Ils évoluent ainsi dans des espaces exigus comme l'habitacle du taxi,des appartements minables,des couloirs poisseux,des chambres d'hôtels de passes,des bureaux,des petites boutiques ou des bistrots.Mais le réalisateur évite de trop serrer par l'abus de gros plans,utilisant plutôt le plan moyen et sachant élargir la focale quand c'est nécessaire,mais même quand on est dans des extérieurs plus vastes,le cadre reste relativement circonscrit.La dextérité avec laquelle sa caméra se glisse dans ces espaces confinés est proprement hallucinante et assure une belle fluidité et une grande lisibilité à l'action.Et puis il y a New York,la ville de Scorsese,qui est un personnage à part entière du film.On s'y croirait et Marty nous balade dans Big Apple avec ses fameux taxis jaunes,ses bouches à incendies qui dégorgent la flotte,ses immeubles miteux bardés d'escaliers extérieurs.Les plans nocturnes sont de toute beauté et doivent énormément à la photo très typée seventies de Michael Chapman,avec son grain épais qui entre en parfaite osmose avec les chaussées luisantes de la ville et ses enseignes au néon tapageuses qui masquent mal la crasse sordide qui les entoure.Car nous sommes dans le New York des bas quartiers,genre Harlem ou Bronx,dans lequel Bickle accepte de travailler.C'est la Grosse Pomme que décrira plus tard Abel Ferrara,pas la ville de Woody Allen et de ses intellos blindés de Central Park.Bernard Herrmann,le compositeur attitré d'Hitchcock,signe ici sa dernière partition car il est mort en 75 et le film lui est dédié.Sa musique extrêmement cool apporte un contrepoint inattendu et efficace à l'âpreté de l'histoire.Le script de Schrader analyse brillamment le basculement de la société américaine de l'époque,qui arrivait à un moment charnière de son histoire.Ces années post Vietnam,consécutives aux grands bouleversements sociaux de la fin des sixties,voyaient l'Amérique en proie à une explosion de son système fondateur.Schrader faisait partie de cette vieille Amérique puritaine à la fois fascinée et effrayée par les transformations d'un pays en pleine mutation et soudain confronté au laxisme,à la violence,à la drogue,à la pornographie,à la criminalité de proximité,toutes les anciennes valeurs étant emportées par le vent d'une liberté portant en elle les germes de la décadence.Travis est en quelque sorte le double du scénariste,son porte-parole.Bien sûr,il en est aussi très différent car c'est un paumé,un loser inculte et inadapté socialement.Mais le mec a cependant des principes,qui vont faire basculer sa fragile psychologie.Révolté et écoeuré par la déliquescence physique et morale à laquelle il est quotidiennement confronté,il opte pour la pureté totale,ce qui va l'entraîner vers de dangereuses extrémités.Conscient d'être de trop dans ce monde qu'il n'accepte pas et dont il refuse de s'accommoder comme le font les autres,il veut partir sur un coup d'éclat mais les circonstances en décideront autrement et feront de lui,ironiquement et contre toute attente,un héros célébré et un homme apaisé.On peut s'interroger quant au choix de sa cible initiale,mais il est vraisemblablement dû à un désir de vengeance contre la belle Betsy,qui a rejeté ses avances.Les scènes de violence,en dépit de la tension constamment sous-jacente,sont rares et d'autant plus choquantes qu'elles éclatent en de brutales flambées.C'est un Robert de Niro juvénile qui tient le rôle de Bickle avec un talent extraordinaire,ce qui fera de lui une star incontestable dans ce rôle qu'il avait plus ou moins rôdé en 70,dans un registre beaucoup plus léger, dans "Hi,mom!",un des premiers films de Brian de Palma.Cybill Shepherd,qui aurait pu être une fantastique blonde hitchcockienne,est toujours aussi émoustillante dans le genre feu sous la glace.Il y a également Albert Brooks en gommeux ridicule et Peter Boyle en chauffeur de taxi faussement sage.Harvey Keitel,déjà partenaire de De Niro dans "Mean streets" est très bon en maquereau malveillant,alors que Jodie Foster crève l'écran en lolita prostituée.Son personnage est sensé avoir douze ans,elle en avait quatorze à l'époque et tournait depuis l'âge de six ans.Scorsese en personne fait une saisissante apparition en client du taxi,et on aperçoit Victor Argo,acteur fétiche de Ferrara,et Joe Spinell,la vedette du "Maniac" de William Lustig.Il est à noter que le nettoyage de la cité souhaité par Bickle surviendra des années plus tard sous le mandat du maire Rudolph Giuliani et que NewYork n'est désormais plus le coupe-gorge géant décrit ici.Le sénateur candidat à la présidentielle qu'on voit dans le film se nomme Palantine,et on se demande si George Lucas ne s'en est pas inspiré pour son sénateur puis empereur Palpatine dans "Star Wars".Quoi qu'il en soit,il symbolise parfaitement le politicien hypocrite et arriviste aux discours creux et démagos qui sévissaient déjà à l'époque.Ses airs effarouchés,ainsi que ceux de son staff face aux déclarations réacs de Travis valent le coup d'oeil.

pierrick_D_
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les titres de critiques auxquels vous avez failli échapper, Top 10 Scorsese et Top 10 De Niro

Créée

le 3 mai 2020

Critique lue 254 fois

9 j'aime

5 commentaires

pierrick_D_

Écrit par

Critique lue 254 fois

9
5

D'autres avis sur Taxi Driver

Taxi Driver
Kobayashhi
9

La prostituée et le Chauffeur de Taxi. La Scorsese

"All the animals come out at night - whores, skunk pussies, buggers, queens, fairies, dopers, junkies, sick, venal. Someday a real rain will come and wash all this scum off the streets. " C'est par...

le 15 oct. 2014

155 j'aime

3

Taxi Driver
DjeeVanCleef
10

Un Prophète.

On pourrait disserter des semaines sur les qualités de ce film, un pur chef-d’œuvre, peut être même le seul vrai joyau de Scorsese. Celui qui, sous mes yeux, dans mon cœur brillera pour des millions...

le 29 sept. 2013

135 j'aime

25

Taxi Driver
JimBo_Lebowski
10

Le Solitaire

Mon expérience avec Taxi Driver a commencée dans une salle de cinéma de quartier il y a 15 ans, tout jeune lycéen ouvert à l'œuvre des Kubrick, Tarantino, von Trier et autres P.T. Anderson, j’étais...

le 27 oct. 2015

130 j'aime

9

Du même critique

L'Exorciste
pierrick_D_
10

Critique de L'Exorciste par pierrick_D_

Chris MacNeil,actrice célèbre,loue une maison à Washington où elle tourne un film.Regan,sa fille de douze ans,se met à avoir un comportement relativement bizarre,genre visage qui se déforme et change...

le 21 avr. 2020

29 j'aime

22

Robin des Bois - Prince des voleurs
pierrick_D_
8

Critique de Robin des Bois - Prince des voleurs par pierrick_D_

12e Siècle,pendant la Troisième Croisade.Robin de Locksley,jeune noble anglais parti guerroyer avec les troupes de Richard Coeur de Lion,est prisonnier des arabes à Jérusalem.Il parvient à s'évader...

le 3 oct. 2022

28 j'aime

22

The Ghost Writer
pierrick_D_
7

Critique de The Ghost Writer par pierrick_D_

Un écrivain anglais raté décroche le pactole lorsqu'il est embauché pour rédiger les mémoires d'Adam Lang,ex premier ministre britannique très médiatique.Il se rend dans la propriété du...

le 14 nov. 2021

27 j'aime

8