"Au fait, c'est quoi la noirceur ?"

Ce film est particulier, en ce qu'il possède de multiples facettes et c'est pourquoi une critique se doit de tenter d'envisager toutes ses facettes.

Ce film est d'abord un cri, un cri venu d'Orient, de Téhéran. Un cri contre la censure, contre la maltraitance pour ne pas dire l'acharnement ou le passage à tabac de la culture. Un cri comme une interpellation, un cri de détresse : tourner un film, ce n'est pas rien, et dans certains pays encore aujourd'hui, cela peut vous coûter la vie. Un cri d'alerte salvateur pour nous rappeler à nous, Occidentaux, que si nous pouvons accéder à la culture pour une somme d'argent, d'autres n'ont que la clandestinité pour pouvoir approcher Kurosawa. C'est aussi un cri étouffé de larmes, le cri d'un réalisateur enfermé dans un pays tyrannique, qui ne peut pas créer comme il le voudrait. Car oui, Jafar Panahi est un cinéaste dont le talent est étouffé par la censure, presque réduit au silence depuis de nombreuses années.

Ce film est ensuite une volonté, une volonté de passer outre la censure, la menace, pour faire une oeuvre d'art. Une volonté de dire, sans masque, le quotidien iranien. Alors en une heure et vingt minutes, de nombreux thèmes se suivent frénétiquement et parfois se ressemblent : la prison, la bienséance, la justice, la peine de mort, la censure, la religion, la culture et j'en oublie.

Mais ce film est aussi et avant tout un film. C'est là pour moi la différence profonde avec Ceci n'est pas un film, documentaire de Panahi sorti en 2011 sur une journée du cinéaste condamné à six ans de prison et vingt ans d'interdiction de travailler. Car un film doit satisfaire certaines exigences : une mise en scène, un montage, etc. Ici, pris par la nécessité, Panahi ne peut presque pas réaliser un film : les moyens sont inexistants, les acteurs bon marché, la mise en scène trop théâtrale pour susciter l'empathie. Empli de défauts, Taxi Téhéran est classé ''comédie dramatique" et non pas "documentaire" comme l'était Ceci n'est pas un film, et la différence de classification révèle une chose : la force d'un documentaire ne permet pas de faire une comédie dramatique et les défauts que l'on est prêt à pardonner au premier ne sont pas pardonnables pour le second.

Et je ne peux m'empêcher de vous conseiller de voir ce film, malgré ses défauts, car un tel film doit pouvoir exister, et ne peut exister qu'avec sa visibilité en-dehors de l'Iran. C'est pourquoi il a reçu l'ours d'or à Berlin, pour montrer le soutien politique du monde de cinéma lorsque l'un des siens est menacé ; il ne faut pas chercher plus loin. Cependant, le message était bien plus puissant, bien plus profond dans Ceci n'est pas un film. Taxi Téhéran est donc à voir comme un acte citoyen, mais pas comme un véritable acte de cinéma réussi selon moi.