Au départ, j'étais impatient. Le nouveau film de Christopher Nolan est toujours un événement, et le voir revenir à la science-fiction avec ce projet aussi mystérieux qu'intrigant, forcément, c'était excitant. Et puis le confinement est arrivé : report de la date de sortie mais toujours autant de motivation, si ce n'est plus tant le mastodonte Warner est le seul titre-événement ayant le courage de sortir après le 11 mai. Les premiers retours sont alors arrivés : beaucoup de déception, y compris parmi les plus grands fans du cinéaste. La motivation redescend, traînant un bon moment (aussi pour des raisons professionnelles et la volonté de le voir sur un vrai bel écran (comprenez pas le cinéma de ma ville) avant de me décider, espérant être du côté des pro-« Tenet » tout en expliquant fièrement par la suite à quel point le scénario n'était pas si compliqué et que désormais, dès qu'on appelait au moindre effort intellectuel, il n'y avait plus personne pour répondre présent.


Malheureusement, je suis loin, TRÈS loin de pouvoir le faire. Pire : je n'ai absolument RIEN compris (ou presque), et je crois même que c'est la première fois de ma vie que ça m'arrive à ce point-là. Dès la première scène (extrêmement efficace, au demeurant), j'étais un peu perdu, même si, pour le coup, c'est en grande partie volontaire afin de créer une étrangeté. Mais celle-ci s'enchaîne avec les explications « scientifiques » de Clémence Poésy, censées nous éclairer sur (presque) tout ce qui va suivre, sauf que je n'ai pas pigé un seul mot de ce qu'elle disait. Ça va trop vite, nous embrouillant plus qu'autre chose sur les questions de temps inversé, si bien que j'étais inquiet pour la suite : à raison. Le pire, c'est que j'ai très vite renoncé à comprendre quoi que ce soit, saisissant juste (et encore) les grandes lignes pour me concentrer sur le « show », éminemment imposant.


Car Nolan reste Nolan, et point de vue formel, « Tenet » est un bulldozer lancé à 200 kilomètres/heures ne s'arrêtant jamais. Aucun temps mort, et pourtant pas tant de scènes d'action, ce qui permet de les mettre d'autant plus en valeur :


l'opéra, donc, le crash de l'avion, la course-poursuite sur l'autoroute, le combat inversé, l'assaut final...


Le problème, c'est que l'indescriptible flou autour des voyages temporels, de qui est qui, de qui fait quoi et pourquoi, contrôle quoi et comment (Andrei Sator (vaguement) excepté), a été un tel blocage pour m'immerger que je n'ai pas réussi à prendre beaucoup de plaisir, comprenant tout juste que tout ce que nous avions vu auparavant était en réalité


les conséquences de l'action du « commando futuriste » et que Neil se sacrifiait à la toute fin du film


(et encore, après explications de quelqu'un qui est lui-même allé les chercher sur la toile).


Après, j'ai du mal à croire qu'un réalisateur de cette trempe se soit à ce point désintéressé de son scénario. Il y a forcément des idées fortes, séduisantes, m'ayant échappé. Aussi, je n'exclus pas de le revoir un jour, quitte à m'arrêter sur certaines scènes, m'en imprégner histoire de voir la suite avec plus d'implication émotionnelle. Ce n'est toutefois pas bon signe qu'on en soit réduit à ce genre de pratiques pour comprendre (un peu) une œuvre, d'autant qu'il est évident que Nolan a cédé à certaines modes du moment pour l'occasion. Cet aspect sentimental avec l'amour d'une mère pour son fils (à ce titre, Elizabeth Debicki semble reprendre quasiment à la lettre son rôle dans « The Night Manager »!), cette volonté de ne jamais s'arrêter, de ne presque jamais prendre de pauses narratives, même très brèves, de proposer des personnages moins ambigus, moins complexes que d'habitude, une chanson très dispensable au générique de fin (cela peut paraître anodin, mais ça ne l'est pas tant que ça)...


Au final, j'aurais pu mettre quatre ou six que ça n'aurait pas changé grand-chose. « Tenet » n'est pas un mauvais film. Il est même plutôt au-dessus de la moyenne des blockbusters contemporains et d'écrire que je me suis ennuyé serait mentir tant je n'ai jamais senti ces 2 heures 30 passer. Reste qu'on était en droit d'attendre plus d'un tel réalisateur. Certes, ses scénarii n'ont jamais fait dans la simplicité, mais j'avais toujours réussi à les suivre, les comprendre en grande partie. C'était justement ça (au-delà d'une impressionnante maîtrise technique) qui le distinguait des autres grosses productions. Là, ne reste que le plaisir des images (saisissantes), du son (impressionnant) et une ambition semblant démesurée sans qu'elle se concrétise jamais (ou presque) sous nos yeux : si même l'auteur de « The Dark Knight » et « Inception » n'est plus à la hauteur de sa réputation, il y a vraiment de quoi être inquiet pour l'avenir...

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le 5 oct. 2020

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Caine78

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